Page images
PDF
EPUB

ne se borne pas à faire sentir l'injustice et la déraison du vice, il le fait trouver difforme, haïssable; vous ne pouvez plus vous souffrir sous l'empire, de ce cruel tyran; vous ne l'envisagez plus que comme l'ennemi juré de votre félicité : entrant dans une sainte indignation contre vous-même, vous vous trouvez si aveugle, si injuste, si malheureux, que vous ne voyez d'autre ressource que de, vous jeter entre les bras de la vertu.

Des Sermons composés dans ce goût ne pouvoient manquer d'être écoutés avec une extrême attention. Chacun se reconnoît dans ces tableaux vifs et naturels, où le prédicateur peint le cœur humain, et montre les ressorts qui le font mouvoir : chacun s'imagine que c'est à lui que le discours s'adresse, que l'orateur n'en veut qu'à lui : de là l'effet prodigieux de ses instructions. Après l'avoir entendu, on ne s'arrêtoit point à faire l'éloge ou la critique du Sermon; l'auditeur se retiroit dans un morne silence, l'air pensif, les yeux baissés, le recueillement sur le visage, emportant l'aiguillon que l'orateur chrétien lui avoit laissé dans le cœur. Ces

suffrages muets valent bien les plus grands applaudissements: ceux-ci flattent le ministre, et lui prouvent qu'il a su plaire; ceuxlà le consolent, et l'assurent qu'il a touché. Aussi, lorsque Massillon eut prêché son premier Avent à Versailles, Louis XIV lui dit ces paroles remarquables: Mon Père, j'ai entendu plusieurs grands orateurs dans ma chapelle ; j'en ai été fort content: pour vous, toutes les fois que je vous ai entendu, j'ai 'été très-mécontent de moi-même. Eloge parfait, qui honore également le goût et la piété du monarque, et le talent du prédicateur.

Le style de Massillon, quoique noble et digne de la majesté de la chaire, n'en est pas moins simple et à la portée du peuple. La vivacité de son imagination ne prête à ses expressions que ce qu'il faut d'agrément pour satisfaire l'homme d'esprit, sans que la multitude soit réduite à admirer ce qu'elle n'entend pas.

Ennemi de tout ce qui ressent l'affectation dans le style, il l'étoit encore plus de ces pensées qui n'ont d'autre mérite que le brillant, qui ne font qu'amuser l'esprit et

le détourner de l'attention qu'il doit aux vérités importantes qu'on lui annonce. Massillon n'offre partout que des idées grandes et sublimes, qui élèvent l'ame, qui montrent la religion sous ce caractère de noblesse et de majesté qui lui est propre, et qu'elle semble perdre quelquefois, parce qu'on l'a confiée à des mains qui, loin de l'embellir, ne peuvent que la défigurer.

On croira sans doute que des discours si éloquents, dans lesquels il y a d'autant plus d'art qu'il n'y paroît rien que de naturel, étoient le fruit d'un travail long et pénible, et que cette belle et noble simplicité, qui se refuse souvent aux efforts mêmes des plus grands hommes, n'est pas venue se présenter à lui, sans qu'il l'ait long-temps recherchée point du tout. Ces Sermons ont été composés avec une facilité qui tient du prodige; pas un seul qui ait coûté plus de dix à douze jours. Combien de gens, même du métier, trouveroient que ce temps suffiroit à peine pour en former et pour en bien digérer le plan! En 1704, il parut pour la seconde fois à la cour. Louis xiv, après lui XIV,

avoir témoigné dans les termes les plus gracieux son extrême satisfaction, ajouta : Et je veux, mon Père, vous entendre désormais tous les deux ans. Sur le champ Massillon forma le dessein de ne revenir à Versailles qu'avec des sermons nouveaux. Il est fâcheux qu'un tel projet n'ait point eu de suite. A n'en juger que par cette abondance, cette richesse, cette variété qui règne dans tout ce qui est sorti de sa plume, on sent qu'il étoit parfaitement en état de l'exécuter.

En 1718, déja nommé à l'évêché de Clermont, il fut chargé de prêcher le carême devant le Roi, qui entroit alors dans cet âge, où la raison commence à se développer. Il crut qu'en cette occasion il devoit prêcher pour le prince lui-même, et pour l'instruire des devoirs de la royauté. Mais pour cela il falloit des sermons tout différents de ceux qu'il avoit prêchés jusqu'alors, lesquels, et pour le fonds des choses et pour la manière, ne pouvoient convenir à un jeune prince de neuf ans. Il inventa donc, pour ainsi dire, un nouveau genre d'éloquence; le style, l'instruction, tout fut proportionné à l'âge

PETIT CAREME.

b

du jeune monarque. Dans le style, il répandit plus de vivacité, plus d'agréments, plus de fleurs, et même quelque chose d'académique. Les instructions, dépouillées de la sécheresse du raisonnement, furent des maximes sur les devoirs des princes, exprimées en peu de mots, mais présentées de manière à faire une vive impression sur l'esprit et sur le cœur. Ce style et cette façon d'instruire étoit quelque chose de tout nouveau pour Massillon; cependant six semaines suffirent pour composer ces dix sermons si admirés, si vantés, qui renferment en abrégé tout ce qui peut former un prince chéri de Dieu et des hommes, et qui furent souvent interrompus, ou par des applaudissements, ou par les larmes de son auguste auditoire.

A l'égard de l'action, cette partie si essentielle à l'orateur, ce ne fut pas d'abord par cet endroit qu'il se fit admirer. Le goût du temps n'étoit pas le sien. Il ne pouvoit souffrir qu'au lieu de cet air naturel qui porte avec soi la conviction, l'on prît un certain air emprunté, et un ton de déclamateur,

« PreviousContinue »