souffrir à son tour. Veut-on faire évanouir ce sentiment de crainte, il faut que le délit soit aussi constamment suivi de la satisfaction que de la peine. S'il était suivi de la peine sans satisfaction, autant de coupables punis, autant de preuves que la peine est inefficace: par conséquent autant d'alarme qui pèse sur la société. Mais faisons ici une observation essentielle. Pour ôter l'alarme il suffit que la satisfaction soit complète aux yeux des observateurs, quand même elle ne serait pas telle à ceux des personnes intéressées. Comment juger si la satisfaction est parfaite pour celui qui la reçoit? La balance entre les mains de la passion pencherait toujours du côté de l'intérêt. À l'avare, on n'aurait jamais donné assez. vindicatif, l'humiliation de son adversaire ne paraîtrait jamais assez grande. Il faut donc supposer un observateur impartial, et regarder comme suffisante la satisfaction qui lui ferait penser qu'à ce prix il aurait peu de regret à subir un tel mal. Au CHAPITRE VIII. DES DIVERSES ESPÈCES DE SATISFACTION. On peut en distinguer six : 1. Satisfaction pécuniaire. Gage de la plupart des plaisirs, l'argent est une compensation efficace pour bien des maux. Mais il n'est pas toujours au pouvoir de l'offenseur de la fournir, ni convenable à l'offensé de la recevoir. Offrir à un homme d'honneur outragé le prix mercenaire d'une insulte, c'est lui faire un nouvel affront. 2. Restitution en nature. Cette satisfaction consiste, soit à rendre la chose même qui a été enlevée, soit à donner une chose semblable ou équivalente à celle qui a été enlevée ou détruite. 3. Satisfaction attestatoire. Si le mal résulte d'un mensonge, d'une opinion fausse sur un point de fait, la satisfaction s'accomplit par une attestation légale de la vérité. 4. Satisfaction honoraire. Opération qui a pour but, soit de maintenir, soit de rétablir, en faveur d'un individu, une portion d'honneur que le délit dont il a été l'objet lui a fait perdre, ou courir le risque de perdre. 5. Satisfaction vindicative. Tout ce qui emporte une peine manifeste pour le délinquant emporte un plaisir de vengeance pour la partie lésée. 6. Satisfaction substitutive, ou satisfaction à la charge d'un tiers, lorsqu'une personne qui n'a pas commis le délit se trouve responsable dans sa fortune pour celui qui l'a commis. Pour déterminer le choix d'une espèce de satisfaction il faut considérer trois choses, la facilité de la fournir, la nature du mal à compenser, et les sentiments qu'on doit supposer à la partie lésée. Nous reprendrons bientôt ces différents chefs pour les traiter avec plus d'étendue. CHAPITRE IX. DE LA QUANTITÉ DE SATISFACTION À ACCORDER. AUTANT qu'il manque à la satisfaction pour être complète, autant de mal qui reste sans remède. Ce qu'il faut observer pour prévenir le déficit à cet égard peut se réduire à deux règles. Première règle. S'attacher à suivre le mal du délit dans toutes ses parties, dans toutes ses conséquences, pour y proportionner la satisfaction. S'agit-il d'injures corporelles irréparables, il faut considérer deux choses: un moyen de jouissance,-un moyen de subsistance ôtés pour toujours. Il ne saurait y avoir de compensation de même nature, mais il faut appliquer au mal une gratification périodique perpétuelle. S'agit-il d'homicide, il faut considérer la perte des héritiers du défunt, et la compenser par une gratification une fois payée ou périodique pour un temps plus ou moins long. S'agit-il d'un délit contre la propriété, nous verrons, en traitant de la satisfaction pécuniaire, tout ce qu'il faut observer pour faire monter la réparation au niveau de la perte. Seconde règle. Dans le doute, faire pencher la balance plutôt en faveur de celui qui a souffert l'injure qu'en faveur de celui qui l'a faite. Tous les accidents doivent être pour le compte du délinquant. Toute satisfaction doit être plutôt surabondante que défectueuse. Surabondante, l'excès ne peut que servir à prévenir des délits semblables en qualité de peine: défectueuse, le déficit laisse toujours quelque degré d'alarme : et dans les délits d'inimitié tout le mal non satisfait est un sujet de triomphe pour le délinquant. Les lois sont partout bien imparfaites sur ce point. Du côté des peines, on a peu redouté l'excès. Du côté de la satisfaction, on s'est peu embarrassé du déficit. La peine, mal qui au delà du nécessaire est purement nuisible, on la répand d'une main prodigue. La satisfaction, qui se transforme tout entière en bien, on s'en est montré fort avare. CHAPITRE X. DE LA CERTITUDE DE LA SATISFACTION. LA certitude de la satisfaction est une branche essentielle de la sûreté autant de diminution à cet égard, autant de sûreté perdue. Que penser de ces lois qui aux causes naturelles d'incertitude en ajoutent de factices et de volontaires? C'est pour obvier à ce défaut que nous poserons les deux règles suivantes : 1. L'obligation de satisfaire ne s'éteindra point par la mort de la partie lésée. Ce qui était dû à un défunt à titre de satisfaction reste dû à ses héritiers. Faire dépendre de la vie d'un individu lésé le droit de recevoir satisfaction ce serait ôter à ce droit une partie de sa valeur: c'est comme si on réduisait une rente perpétuelle en rente viagère. On n'arrive à la jouissance de ce droit que par une procédure qui peut durer longtemps. S'agit-il d'une personne âgée ou infirme, la valeur de son droit périclite comme elle: s'agit-il d'un moribond, son droit ne vaut plus rien. D'ailleurs, si vous diminuez d'une part la certitude de la satisfaction, vous augmentez dans le délinquant l'espoir de l'impunité. Vous lui montrez en perspective une époque où il pourra jouir du fruit de son crime. Vous lui donnez un motif pour retarder par mille entraves le jugement des tribunaux, ou même pour avancer la mort de la partie lésée. Vous mettez du moins hors de la protection des lois les personnes qui en ont le plus grand besoin, les mourants, les valétudinaires. Il est vrai qu'en supposant l'obligation de satisfaire éteinte par la mort de la partie lésée, le délinquant pourrait être soumis à une autre peine mais quelle autre peine serait aussi convenable que celle-là ? 2. Le droit de la partie lésée ne s'éteindra point par la mort du délinquant ou de l'auteur du dommage.-Ce qui était dû de sa part à titre de satisfaction sera dû par ses héritiers. Faire autrement ce serait encore diminuer la valeur du droit et encourager au crime. Qu'un homme, en considération de sa mort prochaine, commette une injustice sans autre objet que d'avancer la fortune de ses enfants, c'est un cas qui n'est pas bien rare. Dira-t-on que si on satisfait la partie lésée après la mort du délinquant, c'est par une souffrance égalée imposée à son héritier ? Mais il y a bien de la différence. L'attente de la partie lésée est une attente claire, précise, décidéo, ferme à proportion de sa con fiance dans la protection des lois. L'attente de l'héritier n'est qu'une espérance vague. Qu'est-ce qui en forme l'objet ? Est-ce la succession entière? Non: ce n'est que le produit net inconnu, après toutes les déductions légitimes. Ce que le défunt aurait pu dépenser en plaisirs, il l'a dépensé en injustices. CHAPITRE XI. DE LA SATISFACTION PÉCUNIAIRE. IL est des cas où la satisfaction pécuniaire est demandée par la nature même du délit: il est d'autres cas où c'est la seule que les circonstances permettent. Il faut l'employer de préférence dans les occasions où elle promet d'avoir son plus grand effet. La satisfaction pécuniaire est à son plus haut point de convenance, dans les cas où le dommage essuyé par la partie lésée, et l'avantage recueilli par le délinquant, sont également de nature pécuniaire, comme dans le larcin, le péculat et la concussion. Le remède et le mal sont homogènes, la compensation peut se mesurer exactement sur la perte, et la peine sur le profit du délit. Ce genre de satisfaction n'est pas si bien fondé lorsqu'il y a perte pécuniaire d'un côté, sans qu'il y ait profit pécuniaire de l'autre : comme dans les dégâts faits par inimitié, par négligence ou par accident. Il est encore moins bien fondé dans les cas où l'on ne peut évaluer en argent, ni le mal de la partie lésée, ni l'avantage de l'auteur du délit, comme dans les injures qui concernent l'honneur. Plus un moyen de satisfaction se trouve incommensurable avec le dommage,-plus un moyen de punition se trouve incommensurable avec l'avantage du délit, plus ils sont respectivement sujets à manquer leur but. L'ancienne loi romaine qui assurait un écu de dédommagement pour un soufflet reçu ne mettait pas l'honneur en sûreté. La réparation n'ayant pas de commune mesure avec l'outrage, son effet était précaire, soit comme satisfaction, soit comme peine. Il existe encore une loi anglaise qui est bien un reste des temps barbares: manent vestigia ruris. Une fille est considérée comme la servante de son père: est-elle séduite, le père ne peut obtenir d'autre satisfaction qu'une somme pécuniaire, prix des services domestiques dont il est censé privé par la grossesse de sa fille. Dans les injures contre la personne, une indemnité pécuniaire peut être convenable ou non, selon la mesure des fortunes de part et d'autre. En réglant une satisfaction pécuniaire, il ne faut pas oublier les deux branches du passé et de l'avenir: la satisfaction pour l'avenir consiste simplement à faire cesser le mal du délit: la satisfaction pour le passé consiste à dédommager pour le tort souffert. Payer une somme due, c'est satisfaire pour l'avenir; payer les intérêts écoulés de cette somme, c'est satisfaire pour le passé. Les intérêts doivent courir de l'instant où le mal qu'il s'agit de compenser est arrivé,-de l'instant, par exemple, où le payement dû a été retardé, où la chose a été prise, détruite, endommagée,où le service auquel on avait droit n'a pas été rendu. Ces intérêts accordés à titre de satisfaction doivent être plus forts que le taux ordinaire du commerce libre, au moins lorsqu'il y a soupçon de mauvaise foi. Cet excédant est bien nécessaire: si l'intérêt n'était qu'égal, il y aurait des cas où la satisfaction serait incomplète, et d'autres cas où il resterait un profit au délinquant; profit pécuniaire, s'il a voulu se procurer un emprunt forcé au taux commun de l'intérêt; plaisir de vengeance ou d'inimitié, s'il a voulu tenir la partie lésée dans un état de besoin et jouir de sa détresse. Par la même raison, on doit calculer sur le pied de l'intérêt composé, e'est-à-dire que les intérêts doivent être ajoutés chaque fois au principal, à l'instant que chaque payement d'intérêt aurait dû se faire selon les usages du prêt libre. Car le capitaliste, à chaque échéance, aurait pu convertir son intérêt en capital ou en retirer un avantage équivalent. Laissez cette partie du dommage sans satisfaction, il y aurait de la part du propriétaire une perte, et de la part du délinquant un profit. Entre les délinquants, les frais de la satisfaction doivent être répartis suivant la proportion de leurs fortunes, sauf à modifier cette répartition selon les divers degrés de leur crime. En effet, cette obligation de satisfaire est une peine, et cette peine serait au comble de l'inégalité, si des codélinquants de fortunes inégales étaient taxés également. CHAPITRE XII. DE LA RESTITUTION EN NATURE. La restitution en nature importe principalement pour des effets qui possèdent une valeur d'affection*. Tels sont les immeubles en général: reliques de famille, portraits, ouvrages travaillés par des personnes chéries, animaux domestiques, antiquités, curiosités, |