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sible d'en faire de meilleurs. Dans cette satire, qui est entièrement dans le goût d'Horace, Boileause fait son procès à lui-même, pour avoir le droit de le faire aux autres, et s'excuse ainsi de ses critiques.

Et je serai le seul qui ne pourrai rien dire !
On sera ridicule, et je n'oserai rire !
Et qu'ont produit mes vers de si pernicieux,
Pour armer contre moi tant d'esprits furieux ?
Loin de les décrier, je les ai fait paraître;

Et souvent, sans ces vers qui les ont fait connaître
Leur talent dans l'oubli demeurerait caché;
Et qui saurait, sans moi, que Cotin a prêché?
La satire ne sert qu'à rendre un fat illustre;
C'est une ombre au tableau, qui lui donne du lustre.
En les blâmant, enfin, j'ai dit ce que j'en croi,
Et tel qui m'en reprend en pense autant que moi.

Sa satire vi, qui est dans le goût de Perse, le dispute également à tout ce que les anciens ont fait de meilleur en ce genre.

Ses épîtres sont généralement regardées comme encore supérieures à ses satires; on place la neuvième au-dessus de toutes les autres. Rien de plus séduisant pour la versification, et de plus profond en morale que cette peinture du vrai :

Un cœur noble est content de ce qu'il trouve en lui,
Il ne s'applaudit point des qualités d'autrui.
Que me sert en effet qu'un admirateur fade
Vante mon embonpoint, si je me sens malade,
Si dans cet instant même un feu séditieux

Fait bouillonner mon sang et pétiller mes yeux?
Rien n'est beau que le vrai : le vrai seul est aimable;
Il doit régner partout, et même dans la fable:
De toute fiction l'adroite fausseté

Ne tend qu'à faire aux yeux briller la vérité.

J'aime un esprit aisé qui se montre, qui s'ouvre,
Et qui plaît d'autant plus, que plus il se découvre :
Mais la seule vertu peut souffrir la clarté ;
Le vice, toujours sombre, aime l'obscurité :
Pour paraître au grand jour il faut qu'il se déguise;
C'est lui qui de nos mœurs a banni la franchise.

On admire dans le Lutrin le feu, la verve, la fécondité qui, sur un pupitre remis et enlevé, ont pu créer un poème en six chants. La fable, pêndant les six premiers chants, est bien conduite; la vérité des caractères, la vivacité des peintures, y répandent un intérêt dont le sujet ne paraissait pas susceptible, c'est-à-dire l'amusement à de grands débats pour de petites choses. Parmi une foule de portraits d'une perfection et d'une vérité admirables, on distingue celui du prélat endormi, et que la Discorde vient réveiller:

Dans le réduit obscur d'une alcôve enfoncée,
S'élève un lit de plume à grands frais amassée;
Quatre rideaux pompeux, par un double contour,
En défendent l'entrée à la clarté du jour.
Là, parmi les douceurs d'un tranquille silence,
Règne sur le duvet une heureuse indolence!
C'est là que le prélat, muni d'un déjeuner,
Dormant d'un léger somme, attendait le dîner.
La jeunesse en sa fleur brille sur son visage;
Son menton sur son sein descend à double étage;
Et son corps, ramassé dans sa courte grosseur,
Fait gémir les coussins sous sa molle épaisseur.

L'art Poétique de Boileau joint les meilleurs préceptes aux plus beaux exemples, et fait regarder avec raison son auteur comme le législateur des lettres; ce poème didactique, qui est peut-être le chef-d'œuvre de Boileau, a pour garant de son immortalité, l'art étonnant de répandre les fleurs de l'imagination sur l'aridité des préceptes, et le mérite d'une utilité générale. Ce poème est imité d'une épître d'Horace, mais Boileau a fait un poème dans toutes les règles de ce qut n'était qu'un recueil de réflexions écrites, pour ainsi dire, comme elles se présentaient à l'esprit du poète, et avec l'abandon qui doit régner dans une lettre ; car l'épître n'est autre chose qu'une lettre écrite en vers, Boi

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leau, dans son poème, prend toujours le style du genre d'ouvrage dont il enseigne le précepte et dont il dépeint les difficultés; ainsi, en parlant de l'idylle, toutes ses expressions sont douces et simples comme ses images.

Telle qu'une bergère, au plus beau jour de fête,
De superbes rubis ne charge point sa tête,

Et, sans mêler à l'or l'éclat des diamans,

Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornemens ;
Telle, aimable en son air, mais humble dans son style,
Doit éclater sans pompe une élégante idylle.
Son tour simple et naïf n'a rien de fastueux,
Et n'aime point l'orgueil d'un vers présomptueux.
Il faut que sa douceur flatte, chatouille, éveille,
Et jamais de grands mots n'épouvante l'oreille.
Mais souvent dans ce style un rimeur aux abois
Jette là, de dépit, la flûte et le hautbois,
Et, follement pompeux dans sa verve indiscrète,
Au milieu d'une églogue entonne la trompette.
De peur de l'écouter, Pan fuit dans les roseaux,
Et les Nymphes, d'effroi, se cachent sous les eaux.

Au contraire, cet autre, abject en son langage,
Fait parler ses bergers comme on parle au village.
Ses vers plats et grossiers, dépouillés d'agrément,
Toujours baisent la terre, et rampent tristement.
On dirait que Ronsard sur ses pipeaux rustiques
Vient encor fredonner ses idylles gothiques,
Et changer, sans respect de l'oreille et du son,
Lycidas en Pierrot, et Phylis en Toinon.
Entre ces deux excès la route est difficile ;
Suivez, pour la trouver, Théocrite et Virgile;
Que leurs tendres écrits, par les grâces dictés,

Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés.

Seuls, dans leurs doctes vers, ils pourront vous apprendre
Par quel art sans bassesse un auteur peut descendre;
Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers;
Aux combats de la flûte animer deux bergers, etc.

DE LA FABLE.

LA FONTAINE.

DANS tous les genres de poésie, la supériorité plus ou moins disputée a partagé l'admiration

TOME I.

S'agit-il de l'épopée, Homère, Virgile, le Tasse, se présentent à la pensée. Dans la tragédie, l'ode, la satire, Athènes, Rome, Paris, nous offrent des talens rivaux. Après Molière, on peut encore citer Regnard. Il n'existe qu'un genre de poésie dans lequel un seul homme ait si particulièrement excellé, que ce genre lui est resté en propre, et ne rappelle pas d'autre nom que le sien. Nommer la fable, c'est nommer La Fontaine; le genre et l'auteur ne font plus qu'un. Il a tellement imprimé son caractère dans ses écrits, ce caractère est si aimable, qu'il s'est fait des amis de tous les lecteurs. On adore en lui la bonhomie, devenue pour la postérité un de ses attributs distinctifs; le bonhomme La Fontaine, voilà le nom qui lui est resté. Molière dit un jour à Racine et à Boileau : « Messieurs, ne raillons point du bonhomme La Fontaiue; il ira plus loin « que nous». La fable du Chêne et du Roseau, celle du Statuaire, celles du paysan du Danube, des deux Pigeons, des deux Amis, offrent des exemples du sublime de sentiment et du sublime d'expression; il règne dans une infinité d'autres une délicatesse, une naïveté, non moins admirables.

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Quoique ses fables soient sues par cœur dès l'enfance, nous ne pouvons nous refuser à transcrire ici celle du Chêne et du Roseau.

Le Chêne un jour dit au Roseau :
Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête;

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.

Encor, si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrais de l'orage:

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel : mais quittez ce souci;

Les vents me sont moius qu'à vous redoutables :
Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfans

Que le nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon, le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

La douce philosophie de La Fontaine se peint dans ces vers tirés de Philémon et Baucis :

Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux.

Ces deux divinités n'accordent à nos væœux

Que des biens peu certains, qu'un plaisir peu tranquille :
Des soucis dévorans c'est l'éternel asile;

Véritable vautour, que le fils de Japet

Représente enchaîné sur son triste sommet.
L'humble toit est exempt d'un tribut si funeste;
Le sage y vit en paix, et méprise le reste :
Content de ses douceurs, errant parmi les bois,
Il regarde à ses pieds les favoris des rois;

Il lit au front de ceux qu'un vain luxe environne,
Que la fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne.
Approche-t-il du but, quitte-t-il ce séjour,

Rien ne trouble sa fin, c'est le soir d'un beau jour.

On retrouve sans cesse dans ses fables la simplicité de son caractère et de ses mœurs, la saine raison, l'amour de la vertu, la vraie sagesse, et l'art de la faire aimer.

BOURSAULT.

Les fables de Boursault ne sont pas sans talent;

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