Le spectre lumineux, ai-je dit, est superposé à un spectre calorifique; il y faut ajouter encore un troisième spectre, le spectre chimique. Les rayons les plus riches en couleur ne sont pas les plus puissants comme réactif chimique. il y a même des rayons tout à fait invisibles qui n'agissent plus que chimiquement. De même que les sons trop graves ou trop aigus ne peuvent être perçus par notre oreille, il y a des rayons lumineux qui ne sauraient exciter le nerf optique. Mais d'invisibles, ces rayons peuvent devenir visibles si l'on met sur leur trajet quelque substance particulière, l'oxyde d'urane, le sulfate de quinine, une infusion de chlorophylle; qu'on place à côté des rayons violets d'un spectre, dans la partie déjà obscure, un papier couvert de caractères tracés avec du sulfate de quinine, le papier restera noir et l'on y verra seulement apparaître ces caractères devenus lumineux. Supposez une chambre fermée où ne puissent entrer que ces rayons très-réfrangibles, on pourra la rendre à volonté obscure ou claire, suivant la peinture des murs ou la nature des vitraux qui recevront la lumière. Les parties invisibles de la lumière, comme celles qui éclatent à nos regards et éclairent le monde pour notre usage, sont donc incessamment actives autour de nous; qui peut soupçonner aujourd'hui quel est leur labeur dans les éternelles métamorphoses de la nature? La science n'a pas encore, je ne dirai pas résolu, mais posé ce problème; quelques physiciens aventureux ont annoncé que la lumière agit directement sur les aiguilles magnétiques ou sur certains appareils électriques, qu'elle a une action mystérieuse sur le phénomène de la cristal lisation; mais sur tous ces points, on ne possède aucune donnée sûre et positive. Un médecin français a passé plusieurs années à étudier l'action du soleil sur des sphères très-légères, pénétré qu'il était de l'idée que le mouvement rotatoire des planètes était dû à la lumière solaire; mais jamais il n'est arrivé à un résultat qu'il jugeât digne d'être communiqué au monde savant. Parmi les rares expériences qui démontrent que la lumière a une véritable force vive, je citerai celles de M. Niepce de Saint-Victor, qui est parvenu à reproduire des gravures par l'insolation. Quand on laisse une gravure longtemps exposée au soleil, les parties blanches se pénètrent, se saturent en quelque sorte de lumière; elles deviennent des foyers où le mouvement lumineux persiste longtemps après que l'insolation est terminée. Aussi, qu'on mette dans l'obscurité ces gravures en contact avec un papier photographique très-sensible, la force vive accumulée dans les parties blanches de la gravure se dissipera graduellement, le mouvement se communiquera aux atomes du sel métallique qui imprégne le papier sensible, et l'on obtiendra une épreuve négative, d'une admirable fidélité. La gravure longtemps insolée est semblable à une mer encore agitée longtemps après que la tempête a cessé. La persistance des impressions lumineuses sur la rétine est un phénomène d'ordre semblable quand le mouvement vibratoire se communique au nerf optique, il ne s'évanouit pas tout d'un coup; un temps sensible s'écoule jusqu'à ce qu'il soit dissipé. C'est ce qui nous fait voir un cercle de feu quand la main tourne rapide ment un charbon; et l'on pourrait citer mille autres illusions pareilles. L'oeil humain fournit aussi un exemple direct de la transformation du travail en lumière quand les paupières sont fermées, on peut, en imprimant à certaines parties du globe de l'œil de petits chocs, faire naître sur la rétine une impression lumineuse; ces petits éclairs fugaces qui paraissent dans l'œil se nomment les phosphènes : ce phénomène étrange fournit des données très-importantes à l'oculiste et lui donne en quelque sorte une mesure de la sensibilité des diverses parties de la rétine. On ne peut l'interpréter, ce me semble, que d'une manière : la force vive du choc en se communiquant au nerf optique par les milieux liquides de l'oeil se transforme en mouvements lumineux. Tout le monde connaît le sens de cette expression populaire « Voir trente-six mille chandelles », et l'on sait par quel travail mécanique on peut donner à quelqu'un cette vision. Magnétisme et électricité. J'arrive à des manifestations de la force qui sont en quelque sorte plus humbles, plus tangibles, en ce sens qu'elles nous montrent le mouvement dans l'atome pondérable, dans les groupements moléculaires : l'agitation de l'éther y devient secondaire; c'est un pas de plus, si l'on me permet ce mot, vers la matérialité pure et simple, vers la spécification, vers la détermination corporelle. Le mouvement lumineux traverse le vide éthéré en vagues puissantes et impétueuses. Le mouvement électrique ne saurait se communiquer au vide absolu. On avait longtemps cru le contraire, on avait admiré les splendides apparitions qui accompagnent le passage de l'électricité dans un réservoir d'air, épuisé par la machine pneumatique: mais tant que ces apparitions continuent, c'est un signe que dans le réservoir il reste des molécules matérielles qui reçoivent l'impulsion communiquée par le passage du courant. M. Gassiot, un physicien anglais, a obtenu un vide plus parfait en remplissant d'acide carbonique un réservoir où il laissait de la potasse anhydre: le vide était fait par les moyens ordinaires, mais ce qui restait d'acide carbonique était absorbé par la potasse, quand on soumettait cette substance à la fusion sur un foyer de chaleur. Dans ce vide vraiment vide, plus de jets lumineux analogues aux langues de feu de l'aurore boréale, plus d'anneaux lumineux projetés en succession rapide d'un pôle à l'autre, plus de courant électrique. Cette expérience capitale justifie ce que je disais, quand, classant les diverses manifestations de la force vive universelle, je rangeais l'électricité parmi celles qui sont asservies à la matière pondérable. Il n'est point de phénomène moléculaire où l'électricité ne joue un rôle plus ou moins appréciable: il y a longtemps qu'on a cessé de croire à l'existence de deux fluides électriques, fluides qui entreraient dans les corps. ou s'en écouleraient comme l'eau glisse entre les mailles d'une éponge. L'état électrique n'est qu'un mouvement particulier la vibration qu'il provoque n'est qu'une transformation des mouvements ordinaires. On s'en as sure assez, quand on réfléchit que la source la plus ordinaire, et la plus anciennement connue d'électricité, n'est autre que le frottement. Dans la machine classique qui se voit dans tous les cabinets de physique, le travail du frottement est transformé en mouvement électrique : les cylindres de cuivre, les bouteilles de Leyde, les condensateurs ne sont que des réservoirs de force vive emmagasinée. L'effort que je fais en tournant la manivelle de l'appareil se retrouve métamorphosé, soit en choc, dans les décharges et secousses électriques, soit en chaleur et en lumière, dans les étincelles qui jaillissent sur les points où la tension est la plus forte. Dans toutes les expériences où l'électricité est à l'état dit statique, le travail est emmagasiné en quantité déterminée, et la source est promptement tarie quand elle trouve un écoulement; dans celles où l'électricité est à l'état dynamique, la source est toujours vive; une force qu'on nomme la force électro-motrice est sans cesse en action et le mouvement dont elle est la cause peut être métamorphosé de mille manières diverses. Même avec une simple machine électrique à frottement, il est loisible d'obtenir un courant électrique, c'est-à-dire une propagation de mouvement qui dure autant que l'effort causé par le frottement. Mais c'est là une source trop peu abondante de force électro-motrice; on en trouve d'autres dans les actions calorifiques et chimiques. Que faut-il pour qu'un foyer de chaleur ou un centre troublé par l'affinité chimique puisse devenir le point de départ d'un courant électrique? Il est nécessaire que les choses soient disposées de telle manière que le flux de chaleur ait un LAUGEL. 8 |