Après cela, quelle que fût l'organisation nouvelle adoptée par la constituante, les principes dont elle émanait, ou en vertu desquels on avait décidé qu'elle était possible, avaient pour conséquence immédiate de subordonner la religion à l'État, et de détruire, même dans l'ordre spirituel, la suprématie du saintsiége. Cette conséquence ne ressort pas moins des quatre articles dont se compose la constitution civile du clergé. Aux termes du premier article, les évêques et les curés ne devaient désormais tenir leurs pouvoirs que de la confiance des fidèles ou de l'élection. Le second article soumettait cette élection purement religieuse aux mêmes conditions que l'élection politique et administrative, c'est-à-dire que tous les Français jouissant de la plénitude de leurs droits de citoyens étaient admis à y concourir. Le troisième article, en supprimant pour les évêques l'institution spirituelle du souverain pontife, la remplaçait par celle du métropolitain. Par le quatrième, enfin, la circonscription des diocèses, échappant comme l'institution canonique à l'intervention du pape, devenait une des attributions du pouvoir civil. Toute opinion religieuse mise à part, et si l'on n'écoute que l'impartialité historique, il est impossible de ne pas reconnaître dans cette prétendue ré forme tous les caractères d'un véritable schisme. Le chef de la catholicité y est dépouillé de tous ses pouvoirs; je veux parler de ses pouvoirs spirituels. Il ne peut écarter personne de l'épiscopat, ni pour cause d'indignité morale, ni pour cause d'hétérodoxie. Les évêques sont nommés sans lui, et peuvent l'être malgré lui, contre lui. Si l'arianisme venait à ressusciter, ils pourraient être ariens, ils pourraient être protestants comme en Angleterre et en Suède. De plus, par le système électoral qui les a élevés sur leurs siéges, ils sont livrés entièrement, eux et les curés, par conséquent tout leur clergé, à toutes les fluctuations de l'opinion publique, à tous les hasards de la pensée humaine, à toutes les passions d'un grand peuple. Il pourra se faire qu'ils soient choisis, non pour leurs vertus, leur piété et leur science, mais au contraire pour leurs vices, leur ignorance et leur incrédulité même, pourvu qu'ils flattent l'esprit du temps et les caprices de la multitude. Ce ne sera plus le troupeau qui suivra les pasteurs, mais au contraire les pasteurs seront obligés de suivre le troupeau. Ce n'est pas ainsi que saint Louis et Charles VII entendaient restituer à l'Église le droit de choisir ses dignitaires; le droit d'élection, ils ne l'accordaient qu'au clergé, et non pas à l'universalité, je ne dirai pas des fidèles, mais des citoyens. Si ce mode de suffrage, ainsi que le soutenaient les canonistes de l'assemblée, a été réellement en usage dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, il se justifiait alors par la ferveur de la foi, par la pureté des mœurs et l'union de tous les fidèles sous le poids de la persécution; mais comment le rétablir quand toutes ces conditions ont disparu? Et surtout comment imposer une réforme, c'est-à-dire une révolution religieuse (car dans l'ordre spirituel comme dans l'ordre temporel une restauration est toujours une révolution), comment imposer une réforme religieuse par la seule puissance des lois, par la seule autorité du pouvoir civil? La religion que la constituante a voulu privilégier est donc précisément celle qu'elle mettait en dehors et au-dessous du droit commun, celle qu'elle a été conduite à asservir pour l'accabler ensuite de ses rigueurs. Telle est la conséquence inévitable de l'établissement d'une religion d'État, quand l'État ne veut pas lui-même se laisser asservir par l'Église. La convention, non contente de suivre la voie qui lui était ouverte par la constituante, s'y précipita avec violence et opprima aussi bien les religions dissidentes que celle de l'État, ou pour mieux dire elle ne les opprima pas, elle tenta de les supprimer. Ce n'est pas dès les premiers jours de son existence qu'elle laissa voir ce dessein. Tout au contraire, le 23 juin 1793, elle votait une nouvelle déclaration des droits dont l'article 7 consacrait solennellement, non plus la liberté de conscience, comme la déclaration émanée de l'assemblée de 1789, mais la liberté religieuse la plus absolue. Voici le texte de cette disposition: « Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, le droit de s'assembler paisiblement, le libre exercice des cultes, ne peuvent être interdits. La nécessité d'énoncer ces droits suppose la présence ou le souvenir récent du despotisme. » C'était aller au delà de la tâche du législateur; c'était déclarer le droit qu'elle voulait consacrer supérieur à la loi elle-même. Mais la convention pouvait être libérale en paroles; car elle ne reculait dans ses actes devant aucun excès de tyrannie. On sait que cette magnifique déclaration n'a eu aucun effet, que la constitution qu'elle précédait, à peine promulguée, a été suspendue indéfiniment et n'a jamais été appliquée. Un mois après qu'elle fut votée, la convention prononçait la peine de la déportation contre les évêques même assermentés (elle n'en reconnaissait pas d'autres), contre les évêques constitutionnels qui cherchaient à entraver, soit directement, soit indirectement, et, par conséquent, par l'usage de leurs pou voirs spirituels, le mariage des prêtres. C'était interdire aux évêques l'exercice des attributions qu'ils tenaient de la loi aussi bien que des canons de l'Église; c'était les placer comme évêques hors la loi et opprimer leurs consciences. Mais ce n'était encore qu'un premier pas dans la carrière que la terrible assemblée allait suivre jusqu'au bout. A peine avait-elle rendu ce décret que ses proconsuls, les représentants en mission, interdisaient dans toute la France, sous les peines les plus sévères, toute manifestation extérieure de la religion. Dans un arrêt sur les inhumations, signé d'un nom devenu célèbre dans notre histoire, publiée par un homme qui après avoir été pendant plusieurs années le chef de la police de l'empire, est devenu, sous le règne de Louis XVIII, un des ministres du roi très-chrétien; dans un arrêté,. signé Fouché, on ordonne que les portes des cimetières portent cette inscription: «La mort est un sommeil éternel. » Un jour, la séance de la convention est interrompue par un étrange incident. Le citoyel Gobel, évêque constitutionnel de Paris, et ancien évêque de Lydda, entre dans l'assemblée suivi d'une grande partie de son clergé. Il vient devant les représentants de la nation, et en quelque sorte devant la nation elle-même, abjurer le catholicisme et toute croyance religieuse; puis il couvre sa tonsure |