Page images
PDF
EPUB

MEM AOBK

(N°. 1)

PROCES

DE LOUIS XVI

O U

COLLECTION complette de tous les Discours, Opinions Plaidoyers, publiés pour ou contre Louis XVI, dans le grand procès pendant au tribunal de la Nation, avec les Pièces justi ficatives des différens faits qui lui sont imputés.

[ocr errors]

Opinion de L. M. LEPELETIER, sur le jugement de Louis XVI, ci-devant roi des Français.

AVERTISSEMENT.

CETTE opinion avoit été préparée lorsque la question de l'inviolabilité du ci-devant roi avoit été séparée. des autres, et soumise seule à la discussion.

2

Je ne dirai qu'un mot relativement à la forme du jugement. Je pense que la convention doit prononcer sur le sort de Louis. 1o. Aucun des tribunaux existans ne peut le juger " parce que chaque tribunal appartient à une section de la république, et le roi n'est justiciable que de l'universalité de la nation, ou du corps qui représente la nation toute entière.

2o. Il y auroit les plus grands inconvéniens à établir un tribunal spécial pour juger ce procès.

Il s'écouleroit plusieurs mois avant qu'il pût être formé. A chaque pas de la procédure il s'élèveroit des incidens, qui tous vous seroient renvoyés, et sur lesquels vous auriez à porter des décrets interprétatifs. On seroit peut-être obligé d'y appeler comme nécessaires des témoins répandus sur toute la surface de l'Europe: avec ces formes, l'affaire ne seroit pas jugée dans un an; et, à mon avis, de longs délais sont ici un grand mal politique.

Remarquez encore combien la corruption seroit à craindre vis-àvis de jurés connus plusieurs mois avant le jugement, votans secrètement (*), dont il suffiroit d'acheter le quart des voix, et à la vertu

[ocr errors]

(*) Dans le système actuel des procédures criminelles, les boulles sont déposées par chacun des jurés hors de la présence du public, des juges, & des jurés eux mêmes, Procès de Louis XVI, Tom. II. ( Supplément.)

A

desquels les puissances étrangères ne manqueroient pas d'opposer l'écueil d'immenses trésors.

[ocr errors]

3o. Le parti à prendre sur le sort du ci-devant roi, est une mesure politique qui concerne la sûreté de toute la république : c'est tout-à-lafois une loi à rendre et un jugement à prononcer. Le titre d'accusation est un vaste complot qui couvroit toute la France et dont les fils agitoient tous les cabinets étrangers. Vous ne pouvez pas déléguer une si haute surveillance. Quel autre tribunal que celui des représentans de toute la république, peut poursuivre avec calme et sécurité un procès où nous verrons peut-être, mais sans la craindre, toute l'espèce royale de l'Europe intervenir avec 300,000 hommes?

Je crois important de n'admettre, pour ou contre Louis, que les preuves écrites: la preuve.lestimoniale seroit suspecte au milieu d'aussi grands intérêts.

Enfin, ce doit être par appel nominal, à haute voix, sous les yeux du peuple, que les representans du peuple émettent dans cette affaire une opinion dont ils sont comptables à toute la république.

CITOYENS,

Le roi constitutionnel des Français peut-il être traduit en jugement par la nation? Telle est la question que nous avons à résoudre.

7

Déja la discussion a répandu beaucoup de lumières sur ce grand problême politique: mon objet n'est point de donner aux vues des orateurs qui m'ont précédé de nouveaux développemens, mais plutôt de préciser la question, et sur-tout de la dégager des élémens qui me semblent devoir être étrangers à sa décision.

Pour savoir si Louis XVI peut être mis en jugement, sera - t - il besoin de nous retracer le souvenir des maux que la royauté a versés pendant tant de siècles sur le genre humain ?.... Déja et pour jamais la royauté est jugée.

J'écarte également de ma pensée tout ce que les crimes imputés à Louis XVI doivent inspirer d'horreur.... Ce sentiment appartient au reste de la France; mais j'observe, qu'à nous seuls peut-être il est interdit, et soit comme juges de Louis, si nous nous réservons la connoissance de cette cause importante, soit comme ses accusateurs devant un tribunal national, soit même comme législateurs, il est convenable que nous sachions nous en défendre.

Pourquoi nous a--on fait parcourir les fastes de l'histoire ? Là, n'est point encore la solution du problême qui nous occupe.

Depuis les Egyptiens qui, après la mort de leurs rois, jugeoient leur mémoire, jusqu'à la fameuse condamnation de Stuart, dans cette longue suite de siècles, nous voyons apparoître quelques exemples de la justice des nations; quelques rois ont été condamnés et punis; et s'il étoit besoin d'interrompre la prescription pour le maintien dé droits inaliénables, le genre humain auroit conservé les siens par ces actes rares, mais solemnels, de Vengeance envers les tyrans, ́

Mais il ne s'agit plus maintenant du droit général qu'ont les peuples de juger les chefs qu'ils se sont donnés.

La souveraineté des nations est reconnue.

C'est une vérité éternelle, que les autorités émanent du peuple, sont déléguées par le peuple, sont subordonnees à la suprême puis'sance du peuple.

Ces dogmes politiques sont établis par la raison; ils sont profon dément gravés dans nos esprits et dans nos cœurs et les exemples seroient superflus pour nous persuader l'évidence.

Au reste, toutes ces citations comme tous ces principes généraux tiennent au droit commun des nations; et en ce moment la difficulté naît du pacte spécial qui a été fait entre Louis XVI et les Français, de la convention particulière qu'ils ont réciproquement consentie le peuple, en lui présentant la royauté constitutionnelle, et le monarque en l'acceptant.

Jusqu'ici je ne me suis occupé que du soin d'écarter les idées qui m'ont paru, dans la discussion présente étrangères au problême, ou insuffisantes pour le résoudre.

Je crois pourtant avoir fait quelques pas vers la vérité : car il est bon de soulager l'attention de tout ce qui la distrait et la fatigue, sans pouvoir fixer ses doutes; et lorsque le point d'une question est marqué, il devient plus facile de frapper le but directement

Les élémens de la décision sont ici infiniment simples.

Ils se trouvent dans l'analyse du principe de l'inviolabilité constitutionnelle du roi.

Quel est le caractère de cette inviolabilité ?.

Ce n'est point un privilége personnel à l'individu royal, c'est un privilége national.

Cette inviolabilité n'est point absolue; elle étoit seulement relative.

Je développe en peu de mots ces deux idées.

C'eût été le comble de l'immoralité et de la démence, d'accorder à un individu, pour cet individu, par égard pour son intérêt propre, la barbare prérogative de se souiller impunément de toute espèce de

crimes.

Sous ce rapport l'inviolabilité seroit aussi absurde qu'atroce.

Mais l'erreur de la constitution a été plus spécieuse; elle a fait de l'inviolabilité royale un privilege tout-à-fait national.

C'est uniquement pour l'intérêt, du moins apparent du peuple qu'elle avoit établi cette prérogative.

Pour la tranquillité de la nation, pour éviter les secousses et l'anarchie que l'accusation du premier magistrat auroit pu faire naître dans l'état, la loi l'avoit placé hors de l'atteinte de ses organes ordinaires..

Le roi étoit chargé éminemment de l'exercice du pouvoir exécutif, c'est-à-dire d'une action qui ne peut pas s'arrêter un seul instant, sans paralyser tout l'empire.

Le traduire en jugement, c'étoit, disoit-on, suspendre le mouvement de toute la machine politique.

Dans ce systême, si les raisons n'étoient pas invincibles, du moins il faut convenir que les prétextes ne manquoient pas; car quiconque

peut être accusé lorsqu'il est coupable, doit subir, quoiqu'innocent, tous les débats et toutes les formes judiciaires, jusqu'à ce qu'il se soit justifié.

Vous sentez combien il étoit facile de supposer, d'exagérer l'inconvenance et les dangers de voir le premier magistrat appelé sans cesse en jugement, ce chef suprême du pouvoir exécutif, détourné du soin du gouvernail de l'état, pour répondre à des inculpations sans cesse renaissantes, et des malveillans toujours prêts à désorganiser le corps politique par des accusations mensongères, dirigées contre celui dont l'action continue étoit indispensable pour lui, conserver le mouvement et la vie.

"

J'ai prouvé que l'inviolabilité du roi étoit un privilége purement national, il sera facile encore.d'établir qu'elle n'étoit que relative. Le roi ne pouvoit être ile devant aucune des autorité constituées. Il étoit égal à l'unes et supérieur à toutes les autres,

Il étoit lui-même uir pouvoir; par cela même il devoit être indédendant; il eut cessé de l'être, s'il avoit été justiciable de l'autre pouvoir,

Tels sont les principes, ouplutôt les erreurs sur lesquelles la constitution a été établie mai firons maintenant la conséquence qui dérive nécessairement de ce systême.

« L'exception de l'inviolabilité pouvoit être invoquée par le roi, » au nom de la nation, sous le prétexte de l'intérêt national, contre » l'atteinte des autorités constituées.

» Mais elle ne peut pas être opposée pour le salut personnel du roi, » contre l'intérêt de la nation, et la nation elle-même ».

Représentez-vous ici sous quels traits révoltans un roi cité par la nation souveraine, paroîtroit devant elle tout couvert de ses crimes et de sa prétendue inviolabilité.

Quel langage seroit dans sa bouche? quelle pourroit être sa défense? Là, l'intérêt de la nation ne pourroit plus être opposé à la nation exerçant elle-même tous ses droits; l'accusé ne pourroit plus lui parler de cette balance des pouvoirs, de ce maintien de la tranquillité genérale, de cette loi suprême au-dessus des autres loix, et qui peut quelquefois les réduire toutes au silence, le salut du peuple enfin, de ces prétextes constitutionnels dont un roi se seroit couvert, sinon avec justice, du moins sans impudeur, contre les citations qui l'eussent appelé en jugement devant une autorité égale à la sienne, ou devant des tribunaux qui lui étoient subordonnés,

Privé du voile de la publique utilité, il faudroit bien que l'intérêt de l'accusé se montrât seul à découvert; il faudroit bien que l'accnsé défendit, pour lui-même, le privilége de son inviolabilité ; et alors voici le seul argument qui lui reste:

Vous m'avez trompé, car vous, m'aviez promis l'impunité; j'ai compté sur votre foi, car je ne me serois pas rendu coupable des crimes que, vous me reprochiez, sans la garantie de mon inviolabilité. Si vous ne jugez, vous manquez à votre promesse, vous rompez un traité réciproquement obligatoire; vous violez la condition sous laquelle j'ai accepté la royauté, sans laquelle je ne l'aurois pas accep tée; car je n'ai consenti d'être foi, que parce que vous aviez attaché

« PreviousContinue »