8. Langue d'oïl et langue d'oc. - De même que le latin vulgaire donna en Gaule le français, en Italie il devint l'italien, en Espagne l'espagnol. En France même, le latin vulgaire, la langue romane, se partagea en deux grands groupes séparés par une ligne imaginaire qui irait de la Gironde à Lyon. Au nord de cette ligne il donna la langue d'oïl ou français; au sud, il donna la langue d'oc ou provençal. Ces noms proviennent de l'habitude, fréquente au moyen âge, de dési gner les langues par le signe d'affirmation oui : les termes de langue d'oïl et de langue d'oc viennent de ce que oui se disait oil au nord, ocau midi. Le poète italien Dante écrivait vers la fin du XIIIe siècle : « Les uns affirment en disant oc; les autres (les Italiens), si; d'autres, oil. » 9. Dialectes de la langue d'oc. La langue d'oc comprenait à l'ouest, le gascon, qui se rapproche de l'espagnol; dans les Pyrénées-Orientales, le catalan; dans l'Aude et l'Hérault, le languedocien; au nord, le limousin, l'auvergnat et le rouergat, assez proches du français; à l'est, le provençal et le dauphinois; enfin le savoyard, qui se rattache aussi aux dialectes du sud de la langue d'oïl, avec lesquels il forme un groupe intermédiaire que l'on a appelé franco-provençal. Tous ces dialectes ont été parlés et écrits jusqu'au xiv siècle; mais la sanglante guerre des Albigeois et la défaite du Midi portèrent un coup fatal à la langue d'oc. En 1272, le Languedoc passe à la France, et l'introduction du français suit de près cette annexion. 10. Dialectes de la langue d'oïl. La langue du nord, la langue d'oïl, était à son tour partagée en plusieurs dialectes. Chaque province avait des mots particuliers, des tournures propres; chaque idiome provincial tendait à devenir une langue à part. On y distingue cependant à l'est le groupe champenoisbourguignon et le lorrain; au nord le wallon; au nord-ouest le picard et plus au sud le normand; au sud-ouest le poitevin et le saintongeais; au centre le français ou dialecte de l'Ile-de-France. 11. Tant que les rois capétiens, humbles seigneurs de l'Ile-deFrance et de l'Orléanais, restent dépourvus de toute influence hors de leur domaine royal (c'est-à-dire depuis le x siècle jusqu'au x11°), le dialecte français n'a, hors de ces deux provinces, aucune notoriété. Mais dès le xu° siècle les rois de France commencent à s'agrandir aux dépens de leurs voisins: ils s'annexent successivement le Berry (1101), la Touraine (1203), la Normandie (1204), la Champagne (1284), la Picardie (1463), et apportent avec eux, dans ces nouvelles provinces, le dialecte de l'Ile-de-France, le fran ! i 5 DIALECTE DE L'ILE-DE-FRANCE. (creutailcan, amass çais, qui remplace alors dans chacune d'elles les dialectes indigènes, et ne tarde point, étant la langue du roi, à être adopté comme un modèle de bon ton. 12. Rebelle à cette invasion, le peuple seul, dans chaque province, garde son ancien dialecte et refuse d'accepter le français. Les patois que nous trouvons aujourd'hui dans les campagnes de la Normandie, de la Picardie, de la Bourgogne, etc. sont donc point, comme on le croit communément, du français littéraire corrompu dans la bouche des paysans; ce sont les débris des anciens dialectes provinciaux que les événements politiques | ont fait déchoir du rang de langues écrites à celui de patois. Ces dialectes de la langue d'oïl, surtout le normand et le picard, ont laissé de nombreuses traces en français. Ex: normand et picard: benèt, bercail, bouquet, caillou, 'camus, écaille, flaque, 3 pouliche, quai, triques, etc. bergeait fonchir gur. Kalja p.darsmitche mym chutain 13. Résumé de l'histoire du français populaire.ahan - En somme, on voit que le français n'est nullement formé des débris du celtique, et l'on peut ainsi résumer son histoire : le latin vulgaire, transporté en Gaule par les soldats de César, étouffe promptement la langue indigène, le celtique, et donne naissance, par de lentes et insensibles transformations, à un idiome nouveau, la langue romane, auquel les Barbares ajoutent un certain nombre de mots germaniques relatifs au régime féodal, à la guerre, à la chasse. De cette langue romane, assez diverse suivant les régions, un dialecte, celui de l'Ile-de-France, supplanta peu à peu tous les autres et devint au xıv° siècle la langue française. Questionnaire. En combien de branches se divisa la langue romane en France? D'où viennent ces noms? En combien de dialectes se divisait la langue d'oc? - A quelle époque ces dialectes deviennent-ils des patois? En combien de dialectes était partagée la EXERCICES 2. Exercices complémentaires. -1° Donnez le sens des mots suivants dérivés du provençal aiguade, bouillabaisse, brugnon, cabestan, cardon, dot, farandole, goudron, lazaret, milan.r. milvus Kete 2o Donnez le sens des mots suivants dérivés des dialectes de la langue d'oïl : 3o Donnez le sens des vieux mots français suivants: moult, férir, nenni, oncques, 3. RÉDACTION. - Résumez l'histoire de notre langue. 14. Mots d'origine étrangère et d'origine savante. - A ce fonds ancien de la langue, qu'on appelle le français populaire, sont venues s'adjoindre, du xii au xix siècle, deux catégories de mots nouveaux: mots d'origine étrangère, mots d'origine savante. I. Mots étrangers. Les mots étrangers, ont été importés par diverses circonstances politiques, dont les principales sont : 1o Au xi° siècle, les croisades et le commerce avec l'Orient, qui ont introduit chez nous un petit nombre de mots arabes ou orientaux : 2o Au xvi, nos guerres d'Italie et l'influence de la Renaissance, qui nous ont apporté plus de cinq cents termes d'origine italienne, 3o Au xvu, l'influence de l'Espagne sur la cour de Louis XIII, qui nous donna quelques mots espagnols : 4° Nos guerres avec l'Allemagne au xvii et au xvIII siècle, qui ont importé : 5° Enfin, dans notre siècle, les relations d'industrie, de com merce, de société, qui furent la cause première d'une invasion de Ajoutons encore que nous devons à l'Asie les mots : 15. - II. Mots savants. — A côté du français populaire, qui est l'œuvre du peuple, -et des mots étrangers importés en France par les circonstances politiques, il faut distinguer une troisième couche de mots, celle qui a été créée par les savants depuis le xi siècle et qui s'augmente tous les jours. Ce français des savants se compose de mots empruntés directement par eux soit au grec (comme autopsie, anthropologie, microscope, cosmographie), soit au latin (comme relation, proportion, préméditation, précession, coordination, etc.). Cette importation de mots grecs et latins, postérieure à la naissance de la langue et très considérable du xui au xv° siècle, grâce à l'influence des clercs et au développement de la connaissance du latin, a été surtout excessive au xvi° siècle, où les érudits de la Renaissance forgèrent ainsi plusieurs milliers de mots nouveaux, parfois mal formés, et dont un grand nombre fut proscrit par Malherbe et les grands écrivains du xviu siècle. 16. Doublets. La formation de notre langue est donc le résultat d'une double action: l'action populaire et l'action savante. Ces deux actions, s'exerçant d'une manière indépendante, ont souvent tiré deux ou plusieurs mots français du même mot latin. Ainsi foison et fusion viennent tous deux de fusionem; mais le premier a été formé par le peuple, le second par les savants. Ces doubles dérivations d'un même mot s'appellent des doublets. En voici quelques exemples : strictum, étroit, strict. 17. Mots d'origine historique, onomatopées. En dehors de l'influence du latin et des langues étrangères, le français a créé quelques mots empruntés à des souvenirs historiques, ou formés par imitation des sons. De là deux classes de mots, peu nombreux du reste: les mots d'origine historique et les onomatopées. 1o Les mots d'origine historique désignent presque toujours des importations nouvelles: par exemple, les étoffes, madras, indienne, nankin, mousseline, cachemire, calicot, perse, damas, andrinople, rouennerie, gaze, etc., de Madras, Inde, Nanicin, Mossoul, Cachemire, Calicut, Perse, Damas, Andrinople, Rouen, Gaza, lieux où ces tissus furent fabriqués pour la première fois; des végétaux: dahlia, fleur dédiée au botaniste Dahl, par Cavanilles, en 1789; cantaloup, melon récolté à Cantaluppo, villa des papes, aux environs de Rome; fuchsia, plante ainsi appelée à cause de Léonard Fuchs, botaniste bavarois du xvi° siècle; magnolier, arbre importé en France par Pierre Magnol (1715) camélia, plante importée du Japon en Europe par le P. Camelli; nicotine, suc vénéneux du tabac qu'on appela d'abord nicotiane, à Mihircause de J. Nicot (1530-1600) qui introduisit le tabac en France, etc.; des inventions: guillotine, macadam, mansarde, stras, ainsi nommées d'après leurs inventeurs, le docteur Guillotin, l'ingénieur anglais Mac Adam, l'architecte Mansard, le joaillier Stras. On peut encore citer: jérémiade, allusion aux lamentations du prophète Jérémie; cognac, curaçao, guinée, qui indiquent la provenance; cordonnier (pour cordouanier), proprement « qui travaille le cuir de Cordoue » ; etc. 2o Les onomatopées sont des mots forgés pour imiter un son, un geste; par exemple: les cris d'animaux, croasser, japper; la parole humaine, babiller, caqueter, chuchoter, marmotter; - divers bruits naturels, clapoter, croquer, crac, fanfare, glouglou, flic flac, pan pan, etc.; quelques interjections, bah, qui donne ebahir; hue, qui donne huer, etc.; le langage des enfants, qui redoublent volontiers la syllabe principale d'un mot: fanfan (d'enfant), papa, maman, etc. 18. Statistique de la langue française. - La dernière Edition (1878) du Dictionnaire de l'Académie française contient environ 32000 mots; sur ces 32000 mots, 20,000 sont d'origine savante ou d'origine étrangère; 12000 seulement composent ce que nous appelons le français d'origine populaire. Sur ces 12000 mots, 8000 environ, tels que pauvrette, faiblir, maigrir. |