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Quelques perfonnes mettent en doute, s'if eft bienféant à un Orateur d'échauffer les paffions de fon Auditoire. Mais la difficulté n'exifte que dans les mots, dans les mots, & le fens commun fuffit pour y répondre. Si l'on n'a d'autre but que de convaincre, c'est à l'entendement feul qu'on doit parler : mais defire - t - ön de perfuader? alors il faut émouvoir l'homme, le toucher, exciter fon indignation, fon amour, fa pitié. Et je le demande, ne font-ce pas là des paffions?

Les Anciens ont fait fur cette partie du difcours des recherches auffi profondes, auffi ridicules que fur la précédente. Ils ont défini toutes les paffions; ils ont développé leurs causes, leurs progrès, leurs fuites, leurs acceffoires, & ils ont fondé là-deffus tous leurs préceptes. Leurs écrits, & fur-tout celui d'Ariftote, peuvent être regardés comme d'excellens traités de philofophie morale; mais rendront-ils un Orateur plus pathétique? Le meilleur fyftême fur les paffions pourra-t-il même produire cet effet? C'eft la nature seule

c'est une heureufe & forte fenfibilité, c'est un cœur droit, c'est l'enthousiasme de la vertu qui poffedent exclufivement ce privilege. On peut connoître à fond la science fpéculative des paffions, & néanmoins parler fans intérêt, fans chaleur. Les regles qu'on donne à ce fujet, ainfi que toutes celles de l'Art Oratoire, n'ont nullement pour but de fuppléer au génie, mais de diriger ceux qui en ont, de leur apprendre à s'en fervir avec avantage, de prévenir les erreurs où ils peuvent tomber, & les écarts qu'ils peuvent faire. Voici donc quelques confeils que je me contenterai d'énoncer, laiffant à vos réflexions le foin de fuppléer aux détails.

Recherchez d'abord fi le Pathétique convient au fujet que vous traitez, & quel est l'instant où il aura le plus de fuccès. Beaucoup de difcours n'en font point fufceptibles; & quand votre fujet le demande, fi vous le placez mal, vous vous expofez à manquer votre but. Afin que l'émotion que vous cherchez à exciter ait un effet durable, commencez par gagner

l'efprit & la raison. Juftifiez à votre Auditeur la paffion dont vous le pénétrez, pour qu'il puiffe fe rendre le témoignage qu'il n'eft point féduit par de fauffes apparences. Si fon ame n'a pas reçu cette conviction préliminaire, en vain fon cœur s'ouvre-t-il au fentiment; dès que vous ceffez de parler, l'impreffion s'efface, & l'ame demeure vuide. C'est ce qui a conduit beaucoup d'Ecrivains à décider que le Pathétique doit terminer le discours, afin de fixer dans le cœur l'émotion qu'il a produite; au lieu qu'elle s'effaceroit bientôt, fi l'Orateur revenoit à une fuite de raisonnemens utiles ailleurs, mais très - nuifibles quand ils tiennent la place du fentiment. Mais, quelque part que vous le placiez, gardez

vous,

En fecond lieu, d'avertir que vous allez être pathétiques, & d'exhorter qu'on vous feconde dans votre deffein; car vous manqueriez votre but: loin d'échauffer votre Auditoire, vous le refroidiriez, vous lui donneriez de la défiance, & vous le difpoferiez à la critique plutôt qu'à l'émotion.

Prenez-vous y donc d'une maniere indirecte. Saififfez le moment favorable à l'attendriffement. Sans annoncer votre deffein, préfentez des images fi frappantes, qu'elles enflamment les paffions avant même qu'on s'en doute. On y réuffit fouvent mieux par une période courte, mais pleine de fentiment, que par une exhortation très-longue & toujours fur le ton pathétique.

En troifieme lieu, n'oubliez point qu'il y a une grande différence entre prouver à l'Auditoire qu'il doit être ému, & l'émouvoir en effet. La nature a fixé à chaque émotion une fuite d'objets correfpondans; & fi l'Orateur ne fait les choifir avec art, & les préfenter dans leur ordre naturel, il n'excitera jamais dans l'ame des mouvemens paffionnés. Nul être n'eft fi propre à inspirer de la reconnoiffance que le Pere commun des hommes; nul objet ne parvient plus aifément à toucher le cœur que le malheureux. Si l'Orateur perd fon temps à me prouver que ces fentimens font juftes, nobles, & dignes d'un cœur fenfible; s'il fe borne à déclamer contre

ma froideur, mon indifférence, il ne parle qu'à ma raifon & à ma confcience. Mais s'il me peint la tendreffe de mon Bienfaiteur fuprême; mais s'il m'offre le tableau des fouffrances de mon femblable, de mon frere, de mon ami: alors, mais feulement alors, il parle à mon cœur, il y développe tous les fentimens de la reconnoiffance ou de la compaffion. Voulez-vous donc être vraiment pathétiques? présentez l'objet de la paffion que vous defirez d'exciter, fous fon jour le plus frappant; marquez - en jufqu'aux plus légers caracteres; perfonnifiez-le, fi j'ofe m'exprimer ainfi, & rendezle comme palpable. A l'influence des fens & de la mémoire, uniffez celle de l'imagination. Frappez l'efprit de votre Auditoire par des tableaux qui lui faffent illufion, au point de le perfuader que l'objet est réellement devant fes yeux. Mais en vain emploieriez-vous tous ces moyens pour l'émouvoir, s'il s'apperçoit,

En quatrieme lieu, que vous n'êtes point émus vous-mêmes. Les paffions ont une force irrésistible, qui fait

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