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» force & de l'étendue, & qui contraignent » bien moins l'Eloquence qu'elles ne la » fixent & ne la dirigent. Il doit au contraire » tirer fon difcours d'une fource commune, » & où tout le monde puife; & s'il s'écarte » de ces lieux communs, il n'eft plus » populaire, il eft abftrait ou déclama» teur. >>> Et quelle eft la conféquence que ce fameux Peintre du cœur tire de ces réflexions ? —« C'est qu'il est plus aifé » de prêcher que de plaider, mais plus » difficile de bien prêcher que de bien » plaider. » L'Orateur facré eft borné à parler fur des qualités abftraites de l'ame, fur des vertus ou des vices; l'Avocat accufant ou défendant un individu, infpire un intérêt prochain; il peut, par fes détails, éblouir l'imagination, & parler à la sensibilité. L'emploi du Prédicateur eft de faire aimer la vertu & détefter le vice; celui de l'Avocat eft de faire aimer l'homme vertueux & détefter le criminel: & comme il s'attache à peindre une perfonne vivante, il parvient fans peine, foit à enflammer l'indignation de fon Auditoire, foit à exciter

fa pitié. Telle eft la raison pour laquelle, fur un grand nombre de bons Prédicateurs, il en eft fi peu qui jouiffent d'une réputation distinguée. Cet art eft encore trèséloigné de la perfection; il eft même un de ceux qui y parviendront le plus difficilement. Convenons cependant, avec un Auteur très-judicieux, que fi l'on confidere d'un côté combien le talent de la vraie Eloquence est rare, de l'autre, combien il eft difficile que les Miniftres de la Religion, qui font obligés de prêcher fouvent, & de remplir outre cela des devoirs très-différens, quoique très-effentiels, puiffent faire de grands pas dans la carriere de la distinction, on a lieu d'être étonné de ce qu'on entend un fi grand nombre de Sermons éloquens.

Mon plan n'est point de donner un traité complet de l'Eloquence de la Chaire. Cependant, pour préfenter avec ordre les réflexions auxquelles je me propose de me borner, j'exposerai, I. la Nature & l'Objet de la Prédication. II. J'établirai quelques regles fur la Compofition & fur le Style

des Sermons. II. Je mettrai en parallele les Prédicateurs François & les Anglois. IV. J'indiquerai les diverses Parties qui constituent un Difcours Sacré. V. Je propoferai quelques avis fur l'Action Oratoire. VI. Je terminerai cet Effai par le tableau des Qualités de l'Orateur, & des Moyens de le devenir. Puiffent ces réflexions être utiles à ceux qui fe confacrent à cet auguste ministere!

I.

Nature & Objet de la Prédication. QUELQUES perfonnes prétendent que la Prédication n'eft point du reffort de l'Eloquence. Celle-ci, difent-elles, n'a pour base que des études & des inventions humaines; mais plus on met de fimplicité dans l'expofé des vérités de la religion & de la morale, mieux on réuffit à les graver dans l'efprit & dans le cœur. Cette objection auroit quelque poids, l'Eloquence étoit réellement un art faftueux & trompeur, une étude de mots & d'argumens spécieux, dont l'unique objet fût

de frapper agréablement l'oreille. Mais cette opinion eft auffi fauffe que dangereufe. La vraie Eloquence enfeigne à placer la vérité dans le jour le plus avantageux; c'est l'art de convaincre, de persuader. Voilà ce que tout homme de bien, qui prêche l'Evangile, peut & doit avoir conftamment en vue. Voilà ce qui lui affure le plus grand fuccès dans fon miniftere; & s'il étoit néceffaire de pouffer plus loin la démonstration, j'en appellerois aux difcours des Prophetes & des Apôtres, dont l'Eloquence fublime & persuasive est fi propre à frapper l'imagination, & à parler

au cœur.

On ne fauroit bien prêcher, fi l'on n'a pas une jufte idée du but de la Prédication. Il en est de même de tous les arts: pour s'y diftinguer, il faut en avoir profondément médité l'objet & la fin. Or, quel eft le but de tout Orateur facré? de perfuader les hommes à devenir meilleurs. Un Sermon ne peut donc être vraiment utile, qu'autant qu'il eft un Difcours perfuafif. Je ne dis pas que le Prédicateur

doive négliger d'inftruire & d'enseigner, de raisonner & de combattre. Toute perfuafion eft fondée fur la conviction. Il faut fe rendre maître de la raison, avant d'entreprendre de gagner le cœur : & l'Orateur qui se flattera de diriger à fon gré les paffions & la conduite des hommes, fans avoir pofé de juftes principes, fans avoir éclairé leur entendement, ne fera qu'un déclamateur frivole & bourfoufflé. Il pourra faire naître dans l'ame une émotion momentanée, mais il n'y produira point une impreffion profonde. Qu'un Prédicateur n'oublie donc jamais que l'unique but de fes instructions doit être de faire aimer la vertu, & d'en perfuader la pratique. Qu'il ne monte point dans la Chaire pour difcuter une question abftrufe, pour développer une vérité métaphyfique, ou pour fixer l'attention de fes Auditeurs fur un objet de pure curiofité mais qu'il

;

s'attache à leur donner des idées diftinctes de la religion, à réformer leurs defirs, à réprimer leurs paffions, à refferrer les nœuds qui les uniffent à la Patrie, à la Société, au

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