La fille d'un pasteur, une vierge champétre, Dans le fond d'une rose, un matin de printemps, Le trouva nouveau-né.
Le sommeil entr'ouvrait ses lèvres colorées.
Elle saisit le bout de ses ailes dorées, L'ôta de son berceau d'une timide main, Tout trempé de rosée, et le mit dans son sein. Tout, mais surtout les champs sont restés son empire. Là tout aime, tout plaît, tout jouit, tout soupire; Là de plus beaux soleils dorent l'azur des cieux; Là les prés, les gazons, les bois harmonieux, De mobiles ruisseaux la colline animée, L'âme de mille fleurs dans les zéphyrs semée; Là parmi les oiseaux l'amour vient se poser; Là sous les antres frais habite le baiser. Les muses et l'amour ont les mêmes retraites. L'astre qui fait aimer est l'astre des poëtes. Bois, écho, frais zéphyrs, dieux champêtres et doux, Le génie et les vers se plaisent parmi vous. J'ai choisi parmi vous ma Muse jeune et chère; Et, bien qu'entre ses sœurs elle soit la dernière, Elle plaît. Mes amis, vos yeux en sont témoins. Et puis une plus belle eût voulu plus de soins; Délicate et craintive, un rien la décourage, Un rien sait l'animer. Curieuse et volage, Elle va parcourant tous les objets flatteurs Sans se fixer jamais, non plus que sur les fleurs Les zéphyrs vagabonds, doux rivaux des abeilles, Ou le baiser ravi sur des lèvres vermeilles. Une source brillante, un buisson qui fleurit, Tout amuse ses yeux; elle pleure, elle rit. Tantôt à pas rêveurs, mélancolique et lente, Elle erre avec une onde et pure et languissante; Tantôt elle va, vient, d'un pas léger et sûr,
Poursuit le papillon brillant d'or et d'azur, Ou l'agile écureuil, ou dans un nid timide Sur un oiseau surpris pose une main rapide. Quelquefois, gravissant la mousse du rocher, Dans une touffe épaisse elle va se cacher, Et sans bruit épier sur la grotte pendante Ce que dira le faune à la nymphe imprudente, Qui, dans cet antre sourd et des faunes ami, Refusait de le suivre, et pourtant l'a suivi. Souvent même, écoutant de plus hardis caprices, Elle ose regarder au fond des précipices, Où sur le roc mugit le torrent effréné Du droit sommet d'un mont tout à coup déchaîné. Elle aime aussi chanter à la moisson nouvelle, Suivre les moissonneurs et lier la javelle.
L'Automne au front vermeil, ceint de pampres nouveaux, Parmi les vendangeurs l'égare en des coteaux; Elle cueille la grappe, ou blanche, ou purpurine : Le doux jus des raisins teint sa bouche enfantine; Ou, s'ils pressent leurs vins, elle accourt pour les voir, Et son bras avec eux fait crier le pressoir.
Viens, viens, mon jeune ami; viens, nos muses t'attendent; Nos fêtes, nos banquets, nos courses te demandent; Viens voir ensemble et l'antre et l'onde et les forêts. Chaque soir une table aux suaves apprêts Assoira près de nous nos belles adorées; Ou, cherchant dans le bois des nymphes égarées, Nous entendrons les ris, les chansons, les festins; Et les verres emplis sous les bosquets lointains Viendront animer l'air, et, du sein d'une treille, De leur voix argentine égayer notre oreille. Mais si, toujours ingrat, à ses charmantes sœurs Ton front rejette encor leurs couronnes de fleurs,
Si de leurs soins pressants la douce impatience N'obtient que d'un refus la dédaigneuse offense; Qu'à ton tour la beauté dont les yeux t'ont soumis Refuse à tes soupirs ce qu'elle t'a promis; Qu'un rival loin de toi de ses charmes dispose; Et, quand tu lui viendras présenter une rose, Que l'ingrate étonnée, en recevant ce don, Ne t'ait vu de sa vie et demande ton nom.
Ah! portons dans les bois ma triste inquiétude. O Camille! l'amour aime la solitude.
Ce qui n'est point Camille est un ennui pour moi. Là, seul, celui qui t'aime est encore avec toi. Que dis-je? Ah! seul et loin d'une ingrate chérie, Mon cœur sait se tromper. L'espoir, la rêverie, La belle illusion la rendent à mes feux, Mais sensible, mais tendre, et comme je la veux : De ses refus d'apprêt oubliant l'artifice, Indulgente à l'amour, sans fierté, sans caprice, De son sexe cruel n'ayant que les appas. Je la feins quelquefois attachée à mes pas; Je l'égare et l'entraîne en des routes secrètes. Absente, je la tiens en des grottes muettes... Mais présente, à ses pieds m'attendent les rigueurs, Et, pour les songes vains, de réelles douleurs. Camille est un besoin dont rien ne me soulage; Rien à mes yeux n'est beau que de sa seule image. Près d'elle, tout, comme elle, est touchant, gracieux; Tout est aimable et doux, et moins doux que ses yeux. Sur l'herbe, sur la soie, au village, à la ville, Partout, reine ou bergère, elle est toujours Camille, Et moi toujours l'amant trop prompt à s'enflammer, Qu'elle outrage, qui l'aime, et veut toujours l'aimer.
J'ai suivi les conseils d'une triste sagesse: Je suis donc sage enfin; je n'ai plus de maîtresse. Sois satisfait, mon cœur. Sur un si noble appui Tu vas dormir en paix dans ton sublime ennui: Quel dégoût vient saisir mon âme consternée, Seule dans elle-même, hélas! emprisonnée? Viens, ô ma lyre! ô toi mes dernières amours (Innocentes du moins); viens, ô ma lyre, accours. Chante-moi de ces airs qu'à ta voix jeune et tendre Les lyres de la Grèce ont su jadis apprendre. Quoi ! je suis seul? O dieux! où sont donc mes amis ? Ah! ce cœur qui, toujours à l'amitié soumis, D'étendre ses liens fit son besoin suprème, Faut-il l'abandonner, le laisser à lui-même ? Où sont donc mes amis? Objets chéris et doux ! Je souffre, o mes amis! Ciel! où donc êtes-vous? A tout ce qu'elle entend, de vous seuls occupée, De chaque bruit lointain mon oreille frappée Écoute, et croit souvent reconnaître vos pas; Je m'élance, je cours, et vous ne venez pas!
Ah! vous accuserez votre absence infidèle, Quand vous saurez qu'ainsi je souffre et vous appelle.
Que je plains un méchant! Sans doute avec effroi Il porte à tout moment les yeux autour de soi; Il n'y voit qu'un désert; tout fuit, tout se retire. Son œil ne vit jamais de bouche lui sourire; Jamais, dans les revers qu'il ose déclarer, De doux regards sur lui s'attendrir et pleurer. Oh! de se confier noble et douce habitude ! Non, mon cœur n'est point né pour vivre en solitude : Il me faut qui m'estime, il me faut des amis A qui dans mes secrets tout accès soit permis; Dont les yeux, dont la main dans la mienne pressée Réponde à mon silence, et sente ma pensée. Ah! si pour moi jamais tout cœur était fermé, Si nul ne songe à moi, si je ne suis aimé, Vivre importun, proscrit, flatte peu mon envie. Et quels sont ses plaisirs, que fait-il de la vie, Le malheureux qui, seul, exclu de tout lien, Ne connaît pas un cœur où reposer le sien; Une âme où dans ses maux, comme en un saint asile, Il puisse fuir la sienne et se rasseoir tranquille ; Pour qui nul n'a de vœux, qui jamais dans ses pleurs Ne peut se dire : « Allons, je sais que mes douleurs Tourmentent mes amis, et quoiqu'en mon absence Ils accusent mon sort et prennent ma défense ? »
IMITÉ DE LA XVIe IDYLLE DE BION.
Bel astre de Vénus, de son front délicat Puisque Diane encor voile le doux éclat, Jusques à ce tilleul, au pied de la colline,
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