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Qu'ils se plaignent sans cesse et qu'ils sont trop heureux ;
Où, loin des ravisseurs, la main cultivatrice
Recueillera les dons d'une terre propice;

Où mon cœur, respirant sous un ciel étranger,
Ne verra plus des maux qu'il ne peut soulager ;
Où mes yeux éloignés des publiques misères
Ne verront plus partout les larmes de mes frères,
Et la pâle indigence à la mourante voix,
Et les crimes puissants qui font trembler les lois.
Toi donc, équité sainte, ô toi, vierge adorée,
De nos tristes climats pour longtemps ignorée,
Daigne du haut des cieux goûter le noble encens
D'une lyre au cœur chaste, aux transports innocents,
Qui ne saura jamais, par des vœux arbitraires,
Flatter à prix d'argent des faveurs mercenaires,
Mais qui rendra toujours, par amour et par choix,
Un noble et pur hommage aux appuis de tes lois.
De vœux pour les humains tous ses chants retentissent:
La vérité l'enflamme, et ses cordes frémissent
Quand l'air qui l'environne auprès d'elle a porté
Le doux nom des vertus et de la liberté.

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Que la liberté sainte appelle sa patrie;
Père du grand sénat, ô sénat de Romans,
Qui de la liberté jeta les fondements ;

Romans, berceau des lois, vous Grenoble et Valence,
Vienne; toutes enfin! monts sacrés d'où la France

Vit naître le soleil avec la liberté!
Un jour le voyageur par le Rhône emporté,
Arrêtant l'aviron dans la main de son guide,
En silence et debout sur sa barque rapide,
Fixant vers l'orient un œil religieux,
Contemplera longtemps ces sommets glorieux ;
Car son vieux père, ému de transports magnanimes,
Lui dira : « Vois, mon fils, vois ces augustes cimes. »

III.

LA LIBERTE.

La liberté

Fut, comme Hercule, en naissant invincible.
Ses yeux, ouverts d'un jour, dictaient sa volonté,
Et son vagissement était mâle et terrible.

De rampants messagers des dieux
Espéraient, l'attaquant dans ses forces premières,
Étouffer en un jour son avenir fameux.
Ses enfantines mains, robustes, meurtrières,

Teignirent de sang venimeux

Son berceau formidable et ses langes guerrières.

I.

A MARIE-JOSEPH DE CHÉNIER*.

Mon frère, que jamais la tristesse importune
Ne trouble tes prospérités !

Va remplir à la fois la scène et la tribune :

Que les grandeurs et la fortune

Te comblent de leurs biens, aux talents mérités.

Que les muses, les arts toujours d'un nouveau lustre Embellissent tous tes travaux;

Et que, cédant à peine à ton vingtième lustre,

De ton tombeau la pierre illustre

S'élève radieuse entre tous les tombeaux.

11.

STROPHE.

O mon esprit! au sein des cieux,

Loin de tes noirs chagrins, une ardente allégresse

Te transporte au banquet des dieux ;

Lorsque ta haine vengeresse,

* Voyez dans notre collection le volume qui contiendra les œuvres choisies

de Marie-Joseph de Chénier.

Note de l'éditeur.

Rallumée à l'aspect et du meurtre et du sang,
Ouvre de ton carquois l'inépuisable flanc.
De là vole aux méchants ta flèche redoutée,
D'un fiel vertueux humectée;

Qu'au défaut de la foudre, esclave du plus fort,
Sur tous ces pontifes du crime,

Par qui la France, aveugle et stupide victime,
Palpite et se débat contre une longue mort,
Lance ta fureur magnanime.

ANTISTROPHF.

Tu crois, d'un éternel flambeau
Éclairant les forfaits d'une horde ennemie,
Défendre à la nuit du tombeau
D'ensevelir leur infamie.

Déjà tu penses voir, des bouts de l'univers,
Sur la foi de ma lyre, au nom de ces pervers,
Frémir l'horreur publique, et d'honneur et de gloire
Fleurir ma tombe et ta mémoire :

Comme autrefois tes Grecs accouraient à des jeux,
Quand l'amoureux fleuve d'Élide
Eut de traîtres punis vu triompher Alcide;
Ou quand l'arc pythien d'un reptile fangeux
Eut purgé les champs de Phocide.

ÉPODE.

Vain espoir! inutile soin!

Ramper est des humains l'ambition commune ;
C'est leur plaisir, c'est leur besoin.
Voir fatigue leurs yeux ; juger les importune;
Ils laissent juger la fortune,

Qui fait juste celui qu'elle fait tout-puissant.
Ce n'est point la vertu, c'est la seule victoire

Qui donne et l'honneur et la gloire.

Teint du sang des vaincus, tout glaive est innocent.

STROPHE.

Que tant d'opprimés expirants

Aillent aux cieux réveiller le supplice;

Que sur ces monstres dévorants

Son bras d'airain s'appesantisse ;

Qu'ils tombent; à l'instant vois-tu leurs noms flétris, Par leur peuple vénal leurs cadavres meurtris,

Et pour jamais transmise à la publique ivresse

Ta louange avec leur bassesse.

Mais si Mars est pour eux, leurs vertus, leurs bienfaits

Sont bénis de la terre entière.

Tout s'obscurcit auprès de la splendeur guerrière;

Elle éblouit les yeux, et sur les noirs forfaits
Étend un voile de lumière.

ANTISTROPHE.

Dès lors l'étranger étonné

Se tait avec respect devant leur sceptre immense ;
Leur peuple à leurs pieds enchaîné,
Vantant jusques à leur clémence,

Nous voue à la risée, à l'opprobre, aux tourments ;
Nous, de la vertu libre indomptables amants.

Humains, lâche troupeau... Mais qu'importent au sage

Votre blâme, votre suffrage,

Votre encens, vos poignards, et de flux en reflux
Vos passions précipitées ?

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