Reine de mes banquets, que Lycoris y vienne; Que des fleurs de sa tête elle pare la mienne; Pour enivrer mes sens, que le feu de ses yeux S'unisse à la vapeur des vins délicieux. Hâtons-nous, l'heure fuit. Un jour inexorable, Vénus, qui pour les dieux fit le bonheur durable, A nos cheveux blanchis refusera des fleurs, Et le printemps pour nous n'aura plus de couleurs. Qu'un sein voluptueux, des lèvres demi-closes, Respirent près de nous leur haleine de roses; Que Phryné sans réserve abandonne à nos yeux De ses charmes secrets les contours gracieux.
Quand l'âge aura sur nous mis sa main flétrissante, Que pourra la beauté, quoique toute-puissante? Nos cœurs en la voyant ne palpiteront plus.
C'est alors qu'exilé dans mon champétre asile, De l'antique sagesse admirateur tranquille, Du mobile univers interrogeant la voix, J'irai de la nature étudier les lois :
Par quelle main sur soi la terre suspendue Voit mugir autour d'elle Amphitrite étendue; Quel Titan foudroyé respire avec effort Des cavernes d'Etna la ruine et la mort; Quel bras guide les cieux; à quel ordre enchaînée . Le soleil bienfaisant nous ramène l'année; Quel signe aux ports lointains arrête l'étranger; Quel autre sur la mer conduit le passager,
Quand sa patrie absente et longtemps appelée Lui fait tenter l'Euripe et les flots de Malée; Et quel, de l'abondance heureux avant-coureur, Arme d'un aiguillon la main du laboureur. Cependant jouissons; l'âge nous y convie. Avant de la quitter, il faut user la vie : Le moment d'être sage est voisin du tombeau.
Allons, jeune homme, allons, marche; prends ce flambeau, Marche, allons. Mène-moi chez ma belle maîtresse. J'ai pour elle aujourd'hui mille fois plus d'ivresse. Je veux que des baisers plus doux, plus dévorants, N'aient jamais vers le ciel tourné ses yeux mourants.
S'ils n'ont point de bonheur, en est-il sur la terre? Quel mortel, inhabile à la félicité,
Regrettera jamais sa triste liberté,
Si jamais des amants il a connu les chaînes?
Leurs plaisirs sont bien doux, et douces sont leurs peines ; S'ils n'ont point ces trésors que l'on nomme des biens, Ils ont les soins touchants, les secrets entretiens; Des regards, des soupirs la voix tendre et divine, Et des mots caressants la mollesse enfantine. Auprès d'eux tout est beau, tout pour eux s'attendrit. Le ciel rit à la terre, et la terre fleurit. Aréthuse serpente et plus pure et plus belle; Une douleur plus tendre anime Philomèle.
Flore embaume les airs; ils n'ont que de beaux cieux.
Aux plus arides bords Tempé rit à leurs yeux. A leurs yeux tout est pur comme leur âme est pure; Leur asile est plus beau que toute la nature. La grotte, favorable à leurs embrassements, D'âge en âge est un temple honoré des amants. O rives du Pénée! antres, vallons, prairies, Lieux qu'Amour a peuplés d'antiques rêveries; Vous, bosquets d'Anio; vous, ombrages fleuris, Dont l'épaisseur fut chère aux nymphes du Liris; Toi surtout, ô Vaucluse! ô retraite charmante! Oh! que j'aille y languir aux bras de mon amante; De baisers, de rameaux, de guirlandes lié, Oubliant tout le monde, et du monde oublié! Ah! que ceux qui, plaignant l'amoureuse souffrance, N'ont connu qu'une oisive et morne indifférence, En bonheur, en plaisir pensent m'avoir vaincu : Ils n'ont fait qu'exister, l'amant seul a vécu.
Souffre un moment encor; tout n'est que changement; L'axe tourne, mon cœur; souffre encore un moment. La vie est-elle toute aux ennuis condamnée? L'hiver ne glace point tous les mois de l'année. L'Eurus retient souvent ses bonds impétueux; Le fleuve, emprisonné dans des rocs tortueux, Lutte, s'échappe, et va, par des pentes fleuries, S'étendre mollement sur l'herbe des prairies. C'est ainsi que, d'écueils et de vagues pressé, Pour mieux goûter le calme il faut avoir passé,
Des pénibles détroits d'une vie orageuse, Dans une vie enfin plus douce et plus heureuse. La Fortune arrivant à pas inattendus Frappe, et jette en vos mains mille dons imprévus : On le dit. Sur mon seuil jamais cette volage N'a mis le pied. Mais quoi! son opulent passage, Moi qui l'attends plongé dans un profond sommeil, Viendra, sans que j'y pense, enrichir mon réveil.
Toi qu'aide de l'aimant plus sûr que les étoiles, Le nocher sur la mer poursuit à pleines voiles; Qui sais de ton palais, d'esclaves abondant, De diamant, d'azur, d'émeraudes ardent, Aux gouffres du Potose, aux antres de Golconde, Tenir les rênes d'or qui gouvernent le monde, Brillante déité! tes riches favoris
Te fatiguent sans cesse et de vœux et de cris : Peu contente le pauvre. O belle souveraine! Peu; seulement assez pour que, libre de chaîne, Sur les bords où, malgré ses rides, ses revers, Belle encor l'Italie attire l'univers,
Je puisse au sein des arts vivre et mourir tranquille! C'est là que mes désirs m'ont promis un asile; C'est là qu'un plus beau ciel peut-être dans mes flancs Éteindra les douleurs et les sables brûlants. Là j'irai t'oublier, rire de ton absence; Là, dans un air plus pur respirer en silence, Et nonchalant du terme où finiront mes jours, La santé, le repos, les arts et les amours.
Non, je ne l'aime plus; un autre la possède. On s'accoutume au mal que l'on voit sans remède. De ses caprices vains je ne veux plus souffrir : Mon élégie en pleurs ne sait plus l'attendrir. Allez, Muses, partez. Votre art m'est inutile; Que me font vos lauriers? vous laissez fuir Camille. Près d'elle je voulais vous avoir pour soutien. Allez, Muses, partez, si vous n'y pouvez rien.
Voilà donc comme on aime ! On vous tient, vous caresse, Sur les lèvres toujours on a quelque promesse : Et puis... Ah! laissez-moi, souvenirs ennemis, Projets, attente, espoir, qu'elle m'avait permis. - Nous irons au hameau. Loin, bien loin de la ville; Ignorés et contents, un silence tranquille Ne montrera qu'au ciel notre asile écarté. Là son âme viendra m'aimer en liberté. Fuyant d'un luxe vain l'entrave impérieuse, Sans suite, sans témoins, seule et mystérieuse, Jamais d'un œil mortel un regard indiscret N'osera la connaître et savoir son secret. Seul je vivrai pour elle, et mon âme empressée Épîra ses désirs, ses besoins, sa pensée. C'est moi qui ferai tout; moi qui de ses cheveux Sur sa tête le soir assemblerai les nœuds.
Par moi de ses atours à loisir dépouillée, Chaque jour par mes mains la plume amoncelée La recevra charmante, et mon heureux amour Détruira chaque nuit cet ouvrage du jour.
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