Il n'en est point, ami. Les poëtes vantés, Sans cesse avec transport lus, relus, médités; Les dieux, l'homme, le ciel, la nature sacrée Sans cesse étudiée, admirée, adorée: Voilà nos maîtres saints, nos guides éclatants. A peine avais-je vu luire seize printemps, Aimant déjà la paix d'un studieux asile, Ne connaissant personne, inconnu, seul, tranquille, Ma voix humble à l'écart essayait des concerts; Ma jeune lyre osait balbutier des vers. Déjà même Sapho des champs de Mitylène Avait daigné me suivre aux rives de la Seine. Déjà dans les hameaux, silencieux, rêveur, Une source inquiète, un ombrage, une fleur, Des filets d'Arachné l'ingénieuse trame, De doux ravissements venaient saisir mon âme. Des voyageurs lointains auditeur empressé, Sur nos tableaux savants où le monde est tracé, Je courais avec eux du couchant à l'aurore. Fertile en songes vains que je chéris encore, J'allais partout, partout bientôt accoutumé; Aimant tous les humains, de tout le monde aimé. Les pilotes bretons me portaient à Surate, Que dis-je ? dès ce temps mon cœur, mon jeune cœur Commençait dans l'amour à sentir un vainqueur; Il se troublait dès lors au souris d'une belle. Qu'à sa pente première il est resté fidèle! C'est là, c'est en aimant que pour louer ton choix Les Muses d'elles-même adouciront ta voix. Du sein de notre amie, oh! combien notre lyre Abonde à publier sa beauté, son empire, Ses grâces, son amour de tant d'amour payé ! Mais quoi! pour être heureux faut-il être envie?
Quand même auprès de toi les yeux de ta maitresse N'attireraient jamais les ondes du Permesse, Qu'importe? Penses-tu qu'il ait perdu ses jours Celui qui, se livrant à ses chères amours, Recueilli dans sa joie, eut pour toute science De jouir en secret, fut heureux en silence?
Qu'il est doux, au retour de la froide saison, Jusqu'au printemps nouveau regagnant la maison, De la voir devant vous accourir au passage, Ses cheveux en désordre épars sur son visage! Son oreille de loin a reconnu vos pas; Elle vole et s'écrie et tombe dans vos bras; Et sur vous appuyée et respirant à peine, A son foyer secret loin des yeux vous entraîne. Là, mille questions qui vous coupent la voix, Doux reproches, baisers, se pressent à la fois. La table entre vous deux à la hâte est servie; L'œil humide de joie, au banquet elle oublie Et les mets et la table, et se nourrit en paix Du plaisir de vous voir, de contempler vos traits. Sa bouche ne dit rien; mais ses yeux, mais son âme, Vous parlent, et bientôt des caresses de flamme Vous mènent à ce lit qui se plaignait de vous. C'est là qu'elle s'informe avec un soin jaloux Si beaucoup de plaisirs, surtout si quelque belle Habitait la contrée où vous étiez loin d'elle.
Mais ne m'a-t-elle pas juré d'être infidèle? Mais n'est-ce done pas moi qu'elle a banni loin d'elle? Mais sa voix intrépide, et ses yeux, et son front, Ne se vantaient-ils pas de m'avoir fait affront? C'est donc pour essuyer quelque nouvel outrage, Pour l'accabler moi-même et d'insulte et de rage; La prier, la maudire, invoquer le cercueil, Que je retourne encor vers son funeste seuil, Errant dans cette nuit turbulente, orageuse, Moins que ce triste cœur noire et tumultueuse?
Ce n'était pas ainsi que, sans crainte et sans bruit, Jadis à la faveur d'une plus belle nuit, Invisible, attendu par des baisers de flamme... O toi, jeune imprudent que séduit une femme, Si ton cœur veut en croire un cœur trop agité, Ne courbe point ta tête au joug de la beauté. Ris plutôt de ses feux et méprise ses charmes. Vois d'un œil sec et froid ses soupirs et ses larmes. Règne en tyran cruel; aime à la voir souffrir; Laisse-la toute seule et transir et mourir. Tous ses soupirs sont faux, ses larmes infidèles, Son souris venimeux, ses caresses mortelles. Ah! si tu connaissais de quel art inouï La perfide enivra ce cœur qu'elle a trahi! De quel art ses discours (faut-il qu'il m'en souvienne!) Me faisaient voir sa vie attachée à la mienne! Avait-elle bien pu vivre et ne m'aimer pas? Combien de fois, de joie expirante en mes bras, Faible, exhalant à peine une voix amoureuse : « Ah! dieux! s'écriait-elle, ah! que je suis heureuse! ► Combien de fois encor, d'une brûlante main Pressant avec fureur ma tête sur son sein,
Ses cris me reprochaient des caresses paisibles; Mes baisers, à l'entendre, étaient froids, insensibles ;
Le feu qui la brûlait ne pouvait m'enflammer,
Et mon sexe cruel ne savait point aimer: Et moi, fier et confus de son inquiétude,
Je faisais le procès à mon ingratitude:
Je plaignais son amour, et j'accusais le mien;
Je haïssais mon cœur si peu digne du sien.
Je frissonne. Ah! je sens que je m'approche d'elle. Oui, je la vois, grands dieux! cette maison cruelle Que sans trouble jamais n'abordérent mes pas. Mais ce trouble était doux, et je ne mourais pas. Mais elle n'avait point, sans pitié même feinte, Rassasié mon cœur et de fiel et d'absinthe. Ah! d'affronts aujourd'hui je la veux accabler. De véritables pleurs de ses yeux vont couler. Tout ce qu'ont de plus dur l'insulte, la colère, Je veux... Mais essayons plutôt ce que peut faire Ce silence indulgent qui semble caresser, Qui pardonne et rassure, et plaint sans offenser. Oui, laissons le dépit et l'injure farouche : Allons, je veux entrer le rire sur la bouche, Le front calme et serein. Camille, je veux voir S'il est vrai que la paix soit toute en mon pouvoir. Prends courage, mon cœur : de douces espérances Me disent qu'aujourd'hui finiront tes souffrances.
L'art des transports de l'âme est un faible interprète ; L'art ne fait que des vers; le cœur seul est poëte. Sous sa fécondité le génie opprimé Ne peut garder l'ouvrage en sa tête formé.
Malgré lui, dans lui-même, un vers sûr et fidèle Se teint de sa pensée et s'échappe avec elle. Son cœur dicte; il écrit. A ce maître divin Il ne fait qu'obéir et que prêter sa main. S'il est aimé, content, si rien ne le tourmente, Si la folâtre joie et la jeunesse ardente Étalent sur son teint l'éclat de leurs couleurs, Ses vers, frais et vermeils, pétris d'ambre et de fleurs, Brillants de la santé qui luit sur son visage, Trouvent doux d'être au monde et que vieillir est sage. Si, pauvre et généreux, son cœur vient de souffrir Aux cris d'un indigent qu'il n'a pu secourir ; Si la beauté qu'il aime, inconstante et légère, L'oublie en écoutant une amour étrangère; De sables douloureux si ses flancs sont brûlés, Ses tristes vers en deuil, d'un long crêpe voilés, Ne voyant que des maux sur la terre où nous sommes, Jugent qu'un prompt trépas est le seul bien des hommes. Toujours vrai, son discours souvent se contredit. Comme il veut, il s'exprime; il blâme, il applaudit. Vainement la pensée est rapide et volage : Quand elle est prête à fuir, il l'arrête au passage. Ainsi, dans ses écrits partout se traduisant, Il fixe le passé pour lui toujours présent, Et sait, de se connaître ayant la sage envie, Refeuilleter sans cesse et son âme et sa vie.
Reste, reste avec nous, ô père des bons vins! Dieu propice, ô Bacchus! toi dont les flots divins
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