Page images
PDF
EPUB

XLIII.

LE VACHER ET LE GARDE-CHASSE.

Colin gardait un jour les vaches de son père;
Colin n'avait pas de bergère,

Et s'ennuyait tout seul.

Le garde sort du bois.
"Depuis l'aube,' dit-il, je cours dans cette plaine
Après un vieux chevreuil que j'ai manqué deux fois,
Et qui m'a mis tout hors d'haleine.

Il vient de passer par là-bas,

Lui répondit Colin; mais si vous êtes las,
Reposez-vous, gardez mes vaches à ma place,
Et j'irai faire votre chasse ;

Je réponds du chevreuil. - Ma foi, je le veux bien;
Tiens, voilà mon fusil; prends avec toi mon chien,
Va le tuer." Colin s'apprête,

S'arme, appelle Sultan. Sultan, quoique à regret,
Court avec lui vers la forêt.

Le chien bat les buissons,2 il va, vient, sent, arrête,
Et voilà le chevreuil. . . Colin, impatient,
Tire aussitôt, manque la bête,

Et blesse le pauvre Sultan.

A la suite du chien qui crie,
Colin revient à la prairie,
Il trouve le garde rouflant;

De vaches, point; elles étaient volées.

Le malheureux Colin, s'arrachant les cheveux,

Parcourt en gémissant les monts et les vallées;

Il ne voit rien. Le soir, sans vaches, tout honteux,
Colin retourne chez son père,

Et lui compte en tremblant l'affaire.
Celui-ci, saisissant un bâton de cormier,
Corrige son cher fils de ses folles idées,
Puis lui dit: "Chacun son métier,
Les vaches seront bien gardées."
1. Day-break. 2. the bushes.

XLIV.

LE SINGE ET LE CHAT.

Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat,
Commensaux d'un logis, servaient un commun maître.

FLORIAN.

[blocks in formation]

Ils n'y craignaient tous deux aucun,' quel qu'il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,

On ne s'en prenait point aux gens du voisinage:
Bertrand dérobait tout; Raton, de son côté,
Était moins attentif aux souris qu'au fromage.
Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.

Les escroquer était une très-bonne affaire:
Nos galants y voyaient double profit à faire,
Leur bien premièrement, et puis le mal d'autrui.
Bertrand dit à Raton: "Frère, il faut aujourd'hui
Que tu fasses un coup de maître :5

Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,

Certes marrons verraient beau jeu."

Aussitôt fait que dit: Raton avec sa patte,
D'une manière délicate,

Écarte un peu la cendre, et retire les doigts;

Puis les reporte à plusieurs fois;

Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque;
Et cependant Bertrand les croque.

Une servante vient: adieu mes gens.

N'était pas content, ce dit-on.

Raton

Ainsi ne le sont pas la plupart de ces princes

Qui, flattés d'un pareil emploi,
Vont s'échauder en des provinces
Pour le profit de quelque roi.

LA FONTAINE.

4. to steal

1. They were a good specimen. 2. nobody. 3. They did not accuse. them. 5. a master-stroke. 6. Go to fight.

XLV.

LE CHENE ET LE ROSEAU.

Le chêne un jour dit au roseau :
"Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau;
Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête;

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr,
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrais de l'orage:

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
-Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci :
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables;

Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici

Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin." Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

1. In the meantime.

LA FONTAINE.

XLVI.

LE NID.

De ce buisson de fleurs approchons-nous ensemble:
Vois-tu ce nid posé sur la branche qui tremble?
Pour le couvrir, vois-tu les rameaux se ployer?
Les petits sont cachés sous leur couche1 de mousse;
Ils sont tous endormis! . . . Oh! viens, ta voix est douce:
Ne crains pas de les effrayer.

De ses ailes encor la mère les recouvre ;
Son œil appesanti se referme et s'entr'ouvre,"
Et son amour souvent lutte avec le sommeil :
Elle s'endort enfin. . . . Vois comme elle repose!
Elle n'a rien pourtant qu'un nid sous une rose
Et sa part de notre soleil.

Vois, il n'est point de vide en son étroit asile,3
A peine s'il contient sa famille tranquille;
Mais là le jour est pur et le sommeil est doux,
C'est assez ! . . . Elle n'est ici que passagère;
Chacun de ses petits peut réchauffer son frère,
Et son aile les couvre tous.

Et nous, pourtant, mortels, nous, passagers comme elle,
Nous fondons des palais quand la mort nous appelle ;
Le présent est flétri par nos vœux d'avenir;

Nous demandons plus d'air, plus de jour, plus d'espace,

Des champs, un toit plus grand! ... Ah! faut-il tant de place
Pour aimer un jour . . . et mourir !

E. SOUVESTRe.

1. Layer. 2. She closes, then half opens her sleepy eye. 3. there is no room left in the narrow dwelling.

XLVII.

LE RENARD ET LA CIGOGNE.

Compère le renard se mit un jour en frais,'
Et retint à dîner commère3 la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts:
Le galant, pour toute besogne,

Avait un brouet clair; il vivait chichement.5
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette:
La cigogne au long bec n'en put attraper miette ;6
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la cigogne le prie.
66 Volontiers, lui dit-il; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie."

A l'heure dite, il courut au logis
De la cigogne son hôtesse;
Loua très-fort sa politesse;

Trouva le dîner cuit à point;

9

Bon appétit surtout; renards n'en manquent point.

Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,

1. Master.

12

En un vase à long col1o et d'étroite embouchure.11
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer;
Mais le museau du sire était d'autre mesure."
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris,
Serrant la queue et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris:
Attendez-vous à la pareille.13

2. resolved to entertain. 3. mistress.

LA FONTAINE.

4. a thin hash. 5. sparingly.

6. a bit. 7. lapped. 8. invites him. 9. ready cooked. 10. with a long neck. 11. opening. 12. too large. 13. Expect a similar trick.

XLVIII.

L'ENFANT.

Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris, son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,

Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident souvent à voir l'enfant paraître

Innocent et joyeux.

Il est si beau l'enfant! avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,

Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers !

Seigneur! préservez-moi, préservez ceux que j'aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même

Dans le mal triomphants,

De jamais voir, seigneur! l'été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,

La maison sans enfants

V. HUGO

« PreviousContinue »