J'entrevois vos mépris, et juge, à vos discours, Combien j'acheterais vos superbes secours, De la Grèce déjà vous vous rendez l'arbitre ; Ses rois, à vous ouir, m'ont paré d'un vain titre. Fier de votre valeur, tout, si je vous en crois, Doit marcher, doit fléchir, doit trembler sous vos lois. Un bienfait reproché tint toujours lui d'offense : Je veux moins de valeur, et plus d'obéissance. Fuyez. Je ne crains point votre impuissant courroux; Et je romps tous les noeuds qui m'attachent à vous.
Rendez grâce au seul nœud qui retient ma colère : D'Iphigénie encor je respecte le père.
Peut-être, sans ce nom, le chef de tant de rois
M'aurait osé braver pour la dernière fois.
Je ne dis plus qu'un mot, c'est à vous de m'entendre. J'ai votre fille ensemble et ma gloire à défendre : Pour aller jusqu'au cœur que vous voulez percer, Voilà par quel chemin vos coups doivent passer.
Madame, il faut enfin que mon cœur se déploie. Ce bras qui vous servit m'ouvre au trône une voie ; Et les chefs de l'état, tout prêts de prononcer, Me font entre nous deux l'honneur de balancer. Le devoir, l'intérêt, la raison, tout nous lie;
Tout vous dit qu'un guerrier, vengeur de votre époux, S'il aspire à régner, peut aspirer à vous.
Je me connais; je sais que, blanchi sous les armes, Ce front triste et sévère a pour vous peu de charmes ; Je sais que vos appas, encor dans leur printemps, Pourraient s'effaroucher de l'hiver de mes ans ; Mais la raison d'état connaît peu ces caprices; Et de ce front guerrier les nobles cicatrices Ne peuvent se couvrir que du bandeau des rois. Je veux le sceptre et vous pour prix de mes exploits. N'en croyez pas, madame, un orgueil téméraire : Vous êtes de nos rois et la fille et la mère ;
Mais l'état veut un maître, et vous devez songer Que pour garder vos droits, il les faut partager.
Le ciel, qui m'accabla du poids de sa disgrâce, Ne m'a point préparée à ce comble d'audace. Sujet de mon époux, vous m'osez proposer De trahir sa mémoire et de vous épouser? Moi, j'irais de mon fils, du seul bien qui me reste, Déchirer avec vous l'heritage funeste?
Je mettrais en vos mains sa mère et son état, Et le bandeau des rois sur le front d'un soldat?
Un soldat tel que moi peut justement prétendre A gouverner l'état quand il l'a su défendre. Le premier qui fut roi fut un soldat heureux. Qui sert bien son pays n'a pas besoin d'aïeux. Je n'ai plus rien du sang qui m'a donné la vie ; Ce sang s'est épuisé, versé pour la patrie ; Ce sang coula pour vous; et, malgré vos refus, Je crois valoir au moins les rois que j'ai vaincus: Et je n'offre en un mot à votre âme rebelle Que la moitié d'un trône où mon parti m'appelle.
Un parti! Vous, barbare, au mépris de nos lois ! Est-il d'autre parti que celui de vos rois ? Est-ce là cette foi si pure et si sacrée,
Qu'à mon époux, à moi, votre bouche a jurée? La foi que vous devez à ses mânes trahis,
A sa veuve éperdue, à son malheureux fils. A ces dieux dont il sort, et dont il tient l'empire?
Il est encor douteux si votre fils respire,
Mais quand du sein des morts il viendrait en ces lieux Redemander son trône à la face des dieux,
Ne vous y trompez pas, Messène veut un maître Eprouvé par le temps, digne en effet de l'être ; Un roi qui la défende; et j'ose me flatter
Que le vengeur du trône a seul droit d'y monter.
Egisthe jeune encore, et sans expérience, Etalerait en vain l'orgueil de sa naissance; N'ayant rien fait pour nous, il n'a rien mérité. D'un prix bien différent ce trône est acheté. En un mot, c'est à moi de défendre sa mère, Et de servir au fils et d'exemple et de père.
N'affectez point ici des soins si généreux, Et cessez d'insulter à mon fils malheureux. Découvrez, rendez-moi ce fils que j'ai perdu, Et méritez sa mère à force de vertu ;
Dans vos murs relevés rappelez votre maître ; Alors jusques à vous je descendrais peut-être. Je pourrais m'abaisser; mais je ne puis jamais Devenir la complice et le prix des forfaits. VOLTAIRE.
Brutus, si ma colère en voulait à tes jours, Je n'aurais qu'à parler, j'aurais fini leur cours; Tu l'as trop mérité: ta fière ingratitude Se fait de m'offenser une farouche étude; Je te retrouve encore avec ceux des Romains Dont j'ai plus soupçonné les perfides desseins, Avec ceux qui tantôt ont osé me déplaire, Ont bravé ma conduite, ont bravé ma colère.
Ils parlaient en Romains, César; et leurs avis, Si les deux t'inspiraient seraient encors suivis.
J'excuse ton audace, et consens à t'entendre ; De mon rang avec toi je me plais à descendre; Que me reproches-tu ?
Le sang des nations, ton pays saccagé;
Ton pouvoir, tes vertus qui font des injustices, Qui de tes attentats sont en toi les complices; Ta funeste bonté, qui fait aimer tes fers,
Et qui n'est qu'un appât pour tromper l'univers.
Ah! c'est ce qu'il fallait reprocher à Pompée; Par sa feinte vertu la tienne fut trompée: Ce citoyen superbe, à Rome plus fatal; N'a pas même voulu César pour son égal. Crois-tu, s'il m'eût vaincu, que cette âme hautaine Eût laissé respirer la liberté Romaine?
Sous un joug despotique il t'aurait accablé, Qu'eût fait alors Brutus.
Voilà donc ce qu'enfin ton grand cœur me destine ? Tu ne t'en défends point. Tu vis pour ma ruine, Brutus!
Si tu le crois, préviens donc ma fureur. Qui peut te retenir.
CESAL [lui présentant la lettre de Servilie].
La nature et mon cœur.
Lis, ingrat, lis; connais le sang que tu m'opposes; Vois qui tu peux haïr et poursuis si tu l'oses.
Où suis-je ? qu'ai-je lu? me trompez-vous, mes yeux ?
Eh bien, Brutus! mon fils!
Lui, mon père, grands dieux!
Oui, je le suis, ingrat! quel silence farouche! Que dis-je? quels sanglots échappent de ta bouche? Mon fils... quoi, je te tiens muet entre mes bras! La nature t'étonne et ne t'attendrit pas !
O sort épouvantable, et qui me désespère, O sermens! ô patrie! ô Rome toujours chère ! César... ah, malheureux! j'ai trop long-temps vécu.
Parle. Quoi! d'un remords ton cœur est combattu! Ne me déguise rien. Tu gardes le silence! Tu crains d'être mon fils; ce nom sacré t'offense: Tu crains de me chérir, de partager mon rang; C'est un malheur pour toi d'être né de mon sang! Ah! ce sceptre du monde, et ce pouvoir suprême, Ce César, que tu hais, les voulait pour toi-même ; Je voulais partager avec Octave et toi,
Le prix de cent combats, et le titre de roi.
Tu veux parler, et te retiens à peine!
Ces transports sont ils donc de tendresse ou de haine? Quel est donc le secret qui semble t'accabler?
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