Que le sort remporte pour eux; Et que, devant ses yeux stoïques, Leurs vertus les plus héroïques Ne sont que des crimes heureux.
Quoi! Rome et l'Italie en cendre Me feront honorer Sylla? J'admirerai dans Alexandre Ce que j'abhorre en Attila? J'appellerai vertu guerrière Une vaillance meurtrière
Qui dans mon sang trempe ses mains? Et je pourrai forcer ma bouche
A louer un héros farouche,
le malheur des humains?
Quels traits me présentent vos fastes, Impitoyables conquérans?
Des vœux outrés, des projets vastes, Des rois vaincus par des tyrans, Des murs que la flamme ravage, Des vainqueurs fumans de carnage, Un peuple au fer abandonné, Des mères pâles et sanglantes Arrachant leurs filles tremblantes Des bras d'un soldat effréné.
Juges insensés que nous sommes, Nous admirons de tels exploits! Est-ce donc le malheur des hommes Qui fait la vertu des grands rois ? Leur gloire, féconde en ruines, Sans le meurtre et sans les rapines Ne saurait-elle subsister? Images des dieux sur la terre, Est-ce par des coups de tonnerre Que leur grandeur doit éclater?
Mais je veux que dans les alarmes Réside le solide honneur:
Quel vainqueur ne doit qu'à ses armes Ses triomphes et son bonheur? Tel qu'on nous vante dans l'histoire Doit peut-être toute sa gloire
A la honte de son rival: L'inexpérience indocile
Du compagnon de Paul Emile Fit tout le succès d'Annibal.
Quel est donc le héros solide Dont la gloire ne soit qu'à lui? C'est un roi que l'équité guide, Et dont les vertus sont l'appui ; Qui, prenant Titus pour modèle, Du bonheur d'un peuple fidèle Fait le plus cher de ses souhaits; Qui fuit la basse flatterie; Et qui, père de sa patrie, Compte ses jours par ses bienfaits.
Vous chez qui la guerrière audace Tient lieu de toutes les vertus, Concevez Socrate à la place Du fier meurtrier de Clytus; Vous verrez un roi respectable, Humain, généreux, équitable, Un roi digne de vos autels : Mais, à la place de Socrate, Le fameux vainqueur de l'Euphrate Sera le dernier des mortels.
Héros cruels et sanguinaires, Cessez de vous enorgueillir De ces lauriers imaginaires Que Bellone vous fit cueillir. En vain le destructeur rapide De Marc-Antoine et de Lépide Remplissait l'univers d'horreurs : Il n'eût point eu le nom d'Auguste Sans cet empire heureux et juste Qui fit oublier ses fureurs.
Montrez-nous, guerriers magnanimes, Votre vertu dans tout son jour : Voyons comment vos cœurs sublimes Du sort soutiendront le retour. Tant que sa faveur vous seconde, Vous êtes les maîtres du monde,
Votre gloire nous éblouit : Mais, au moindre revers funeste, Le masque tombe; l'homme reste; Et le héros s'évanouit.
L'effort d'une vertu commune Suffit pour faire un conquérant: Celui qui dompte la fortune Mérite seul le nom de grand. Il perd sa volage assistance Sans rien perdre de la constance Dont il vit ses honneurs accrus; Et sa grande âme ne s'altère Ni des triomphes de Tibère, Ni des disgrâces de Varus.
La joie imprudente et légère Chez lui ne trouve point d'accès, Et sa crainte active modère L'ivresse des heureux succès. Si la fortune le traverse, Sa constante vertu s'exerce Dans ces obstacles passagers. Le bonheur peut avoir son terme ; Mais la sagesse est toujours ferme, Et les destins toujours légers.
En vain une fière déesse D'Enée a résolu la mort; Ton secours, puissante sagesse, Triomphe des dieux et du sort. Par toi Rome, après son naufrage, Jusque dans les murs de Carthage Vengea le sang de ses guerriers, Et, suivant tes divines traces, Vit, au plus fort de ses disgrâces, Changer ses cyprès en lauriers.
Sur l'Espérance.
Salut! divine espérance, Toi dont le charme séducteur Donne une aile à la jouissance, Ote une épine à la douleur.
Quand sur ton sein l'homme repose, Ah! qu'il goûte un doux abandon; Si le plaisir est une rose L'espérance en est le bouton.
Ton ancre soutient la nacelle Du malheureux battu des vents; Toi seule lui reste fidelle,
Quand ses amis sont inconstans. Malgré les verroux effroyables Dans un cachot tu suis nos pas; Si les enfers sont redoutables C'est que tu n'y pénètres pas. Je te vois repousser dans l'ombre Et les craintes et les regrets, Et sur l'avenir le plus sombre Jeter un voile plein d'attraits. Quand par les maux l'âme affligée, Va voler où tout n'est plus rien, De loin tu montres l'Elisée,
Et la mort nous parait un bien.
Loin de moi, séduisante fée, Loin de moi ton prisme imposteur! Trop souvent ton souris menteur Apaisa ma plainte étouffée.
Pourquoi te plaire à m'égarer, Pourquoi ces perfides caresses? Je ne crois plus à tes promesses, Non, je ne veux plus espérer. Dans les rêves de la jeunesse L'ombre du bonheur nous séduit ; Sur tes pas, trompeuse déesse, Nous croyons l'atteindre sans cesse, Et le repos même nous fuit. Mais à peine un malheur menace On t'invoque, ta main efface Le soudain effroi qu'il produit ; Nous n'osons regarder l'abime; Ainsi qu'une lâche victime
Pâlit à l'aspect du bourreau, Et dans la liqueur enivrante Offerte à sa lèvre mourante, Boit l'oublie du fatal couteau. Fuis donc, perfide enchanteresse, Fuis, et ne crois plus m'égarer: Je puis braver ta folle ivresse, Non, je ne veux plus espérer! Le temps de ses ailes rapides Moissonne, stériles et vides, Des jours qu'il aurait dû parer; Chacune des fleurs que je cueille Sous mes doigts se fane et s'effeuille, Non, je ne veux plus espérer!
Sois heureuse, ô ma douce amie. Salue en paix la vie et jouis des beaux jours; Sur le fleuve du temps mollement endormie, Laisse les flots suivre leur cours!
Oui, le bonheur bien vite a passé dans ma vie ! On le suit; dans ses bras on se livre au sommeil ; Puis, comme cette vierge aux champs crétois ravie, On se voit seul à son réveil.
On le cherche de loin dans l'avenir immense On lui crie: "Oh! reviens, compagnon de mes jours." Et le plaisir accourt; mais sans remplir l'absence De celui qu'on pleure toujours.
Moi, si l'impur plaisir m'offre sa vaine flamme, Je lui dirai; " Va, fuis, et respecte mon sort: Le bonheur a laissé le regret dans mon âme; Mais toi, tu laisses le remord!"
Pourtant je ne dois point troubler votre délire, Amis; je veux paraître ignorer les douleurs ; Je souris avec vous, je vous cache ma lyre, Lorsqu'elle est humide de pleurs !
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