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III. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément (d).

naissent de l'esprit séditieux. Elle atteste méme que des révoltes assez légitimes ont été suivies de résultats beaucoup plus funestes que les maux mêmes dont un peuple s'est lassé. Trouvez un homme sur la terre qui ne se prétende pas opprimé, qui ne le soit même jusqu'à un certain point; trouvez un seul peuple qui ait jamais joui un an tout entier ou peut-étre un seul jour de l'étendue des droits que l'assemblée constituante réclame pour l'universalité des hommes. Voulez-vous que les individus s'arment pour le redressement de leurs griefs? Le sang ne cessera de couler dans des vengeances atroces, les cœurs né cesséront de se pervertir. Voulez-vous que les peuples se soulèvent jusqu'à ce qu'ils aient obtenu le recouvrement intégral de leurs droits imprescriptibles? L'imagination ne peut concevoir un seul moment où ils resteront sans guerre civile. En un mot, s'il y a eu quelques insurrections heu→ reuses, pouvez-vous établir une règle générale d'après les faits les plus rares ou les plus contestés. Des remèdes violens où l'on ne craint pas d'employer l'action du fer et du feu ont quelquefois sauvé la vie d'un homme; en ferez-vous son régime habituel, son hygiène journalière.

(d) La souveraineté du peuple n'est pas seulement le plus chimérique des faits; c'est aussi la plus inintelligible de toutes les métaphores, de

IV. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes

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toutes les hyperboles. Il faut à ce terme de souverain un terme corrélatif, tel que celui de sujet ou subordonné, par la raison qu'il n'y a point de montagne qui ne suppose une vallée. Si le peuple est souverain, à qui impose-t-il des lois? à luimême ? Nous tombons ici dans le sens le plus vide et le plus faux. Ce n'est point être souverain que de se commander à soi-même ; c'est être libre, c'est faire un usage puissant de sa liberté morale. Veut-on dire ce n'est que pas le peuple tout entier, mais la majorité du peuple, qui commande à la minorité? Tant pis. Quand nous supposerions qu'il y eût des moyens légaux et praticables de constater cette majorité, il est inévitable qu'elle abuse de son empire dans un temps donné; et, si elle pousse un peu loin l'abus de ses forces, nous ne voyons plus des maîtres et des esclaves, ou des tyrans et que des opprimés. La souveraineté, dites-vous, appartient au peuple; mais il ne lui est pas permis de l'exercer. Quel étrange souverain que celui à qui le plus faible exercice de son autorité resterait perpétuellement interdit! Quelle dérision, quelle insulte cruelle ne faites-vous pas à l'impuissance de celui que vous proclamez roi! - Mais, dites-vous; le peuple peut commettre ses pouvoirs, et peut, en vertu du droit d'insurrection, se venger de tous ses mandataires infidèles. - Illusion, mensonge! Il

droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

V. La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

VI. La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentans, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protége soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talens (e).

n'a pas existé une seule république au monde où la majorité du peuple, c'est-à-dire la multitude; commit ses pouvoirs, et retint l'empire sur ses mandataires. Quant au droit de les déposer, de les égorger, c'est celui dont usent fréquemment les janissaires envers leurs sultans, leurs empereurs, et je ne sais si c'est dans de tels exemples que vous irez chercher le beau idéal de l'insurrection.

(e) Que la loi soil considérée comme l'expression de la volonté générale, c'est une fiction salutaire; mais il ne faut pas présenter cette supposition comme un fait positif et constant. Le suffrage universel est textuellement établi par ces mots : Tous les citoyen's ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentans, à la formation de la loi. Ainsi voilà les non-propriétaires investis, non-seulement du

VII. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu, que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis; mais tout citoyen appelé

concours au pouvoir législatif, mais à bien parler, du pouvoir législatif tout entier. Car il suffit, pour arriver à cette puissance énorme, que les non-propriétaires forment la majorité de la nation; ce qui a lieu chez presque tous les peuples de l'univers. Oi s'arrêteront ces non-propriétaires devenus législateurs par eux-mêmes ou par leurs représentans? Auront-ils l'admirable vertu de respecter partout la propriété? S'ils l'enfreignent, quelle limite mettront-ils à leur usurpation? De nouveaux proprié– taires s'éleveront évidemment sur les ruines des premiers, jusqu'à ce que ceux-ci reprennent à leur tour l'exercice de leur souveraineté ou de leur droit d'insurrection. Il fut impossible à l'assemblée constituante, quoique perdue dans ces nuages métaphysiques, de ne pas voir une conséquence aussi manifeste de son principe. Elle chercha depuis à le modifier un peu, et après avoir établi nettement le suffrage universel, elle imposa des limites au droit d'élire et d'étre élu. Ces limites étaient trop faibles pour remplir le but de conservation auquel on voulait revenir; mais enfin c'étaient des atteintes directes aux principes qu'elle avait proclamés. Aussi la convention se fit-elle un devoir de renverser ces misérables barrières, et toutes les propriétés furent mises au pillage.

ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant: il se

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rend coupable par la résistance (ƒ).

VIII. La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être

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(f) Cet article a pour objet de régler la liberté individuelle, le plus beau résultat que puissent se proposer les législateurs, bienfait fort peu connu des républiques anciennes, ou du moins qui chez elles était borné à un petit nombre d'hommes. Toute l'histoire des libertés de l'Angleterre, à commencer par la grande charte, ou en remontant plus haut à la déclaration de Henri I, roule sur ce point capital. La liberté individuelle devait étre le premier objet de la pensée des législateurs de 1789; mais il valait mieux l'établir par une loi ferme et prévoyante que par un principe abstrait, absolu, qui ne permet aucune exception, méme temporaire, et ne prévoit aucun des dangers extrêmes auxquels l'état peut être exposé. Le chefd'œuvre de la constitution anglaise est d'avoir su accorder le droit des citoyens avec celui de la nécessité publique, par la suspension permise quelquefois, peu prolongée et difficilement accordée de l'acte d'Habeas corpus. Comment des législateurs ont-ils imaginé que l'état pourrait se défendre toujours contre les entreprises coupables et opiniâtres des factions, sans user quelquefois de mesures dictatoriales. Il fallait prescrire et borner à la fois l'usage du remède, afin que le remède ne fût pas abandonné à l'arbitraire, soit du gouvernement, soit du peuple révolté.

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