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A MADAME PAULINE ARNOU,

A PARIS.

Lecce, le 25 mai 1807.

Comment vous portez-vous, madame? voilà ce que je vous supplie de m'apprendre d'abord. Ensuite marquez-moi, s'il vous plaît, ce que vous faites, où vous êtes, en quel pays, et de quelle manière vous vivez, et avec quels gens. Vous pourrez trouver ces questions un peu indiscrètes moi je les trouve toutes simples, et compte bien que vous y répondrez avec cette même bonté dont vous m'honoriez autrefois. Monsieur Arnou, que j'ai vu à Naples, m'a donné de votre situation des nouvelles qui, à tout prendre, m'ont paru satisfaisantes. Avec de la santé, de la raison et des amis éprouvés, ce que vous avez sauvé des griffes de la chicane vous doit suffire pour être heureuse. Je ne sais si vous avez besoin qu'on vous prêche cette philosophie; mais moi, qui n'ai pas trop à me louer de la fortune, je ne voudrais qu'être entre vous et madame Colins; je crois que nous trouverions pour rire d'aussi bonnes raisons que jamais.

Dès à présent, si j'étais sûr que vous voulussiez vous divertir, je vous ferais mille contes extravagants, mais véritables, de ma vie et de mes aventures. J'en ai eu de toutes les espèces, et il ne me manque que de savoir en quelle disposition ma lettre vous trouvera pour vous envoyer un récit, triste ou gai, tragique ou comique, dont je serais le héros. En un mot, Madame, mon histoire (entendez ceci comme il faut) fait rire et pleurer à volonté. Vous m'en direz votre avis quelque jour; car je me flatte toujours de vous revoir, quoiqu'il ne faille pour cela rien moins qu'un accord général de toutes les puissances de l'Europe. Vous revoir, Madame, vous, madame Audebert, madame Colins, madame Saulty, et ce que j'ai pu connaître de votre aimable famille; cette idée, ou plutôt ce rêve, me console dans mon exil, et c'est le dernier espoir auquel je renoncerai.

Depuis quelques mois nous ne nous battons plus, et s'il faut dire la vérité, on ne nous bat plus non plus. Nous vivons tout doucement sans faire ni la guerre ni la paix ; et moi, je parcours ce royaume comme une terre que j'aurais envie d'acheter. Je m'arrête où il me plaît, c'est-à-dire presque partout; car ici il n'y a pas un trou qui n'ait quelque attrait pour un amateur de la belle nature et de l'antiquité. Ah! Madame, l'antique! la nature! voilà ce qui me charme, moi; voilà mes deux

passions de tout temps. Vous le savez bien. Mais je suis plus fort sur l'antique, ou, pour parler exactement, l'un est mon fort, l'autre mon faible. Eh bien! que dites-vous ? faudrait-il autre chose que cette impertinence pour nous faire rire une soirée dans ce petit cabinet au fond du billard?

Je calcule avec impatience le temps où je pourrai recevoir votre réponse; n'allez pas vous aviser de ne m'en faire aucune. Ces silences peuvent être bons dans quelques occasions; mais à la distance où nous sommes, cela ne signifierait rien. Je ne feindrai point de vous dire aussi que, fort peu exact moi-même à donner de mes nouvelles, je suis cependant fort exigeant, et fort pressé d'en recevoir de mes amis. Voilà la justice de ce monde.

[La levée des mulets obligea Courier à parcourir toute la Pouille, et à pousser jusqu'à Bari et à Lecce; toute la Pouille, et à pousser jusqu'à Bari et à Lecce; il revint enfin à Naples vers la mi-juin. A son arrivée, il trouva le général Dedon, commandant de l'artillerie de l'armée, prévenu et indisposé contre lui. Il se défendit peut-être avec trop de vivacité, et fut mis aux arrêts.]

A M. LE GÉNÉRAL DEDON,

COMMANDANT L'ARTILLERIE.

Naples, le 25 juin 1807.

Monsieur, la supériorité du grade ne dispense pas des procédés, de ceux-là surtout qui tiennent à l'équité naturelle. Les vôtres à mon égard ne sont plus d'un chef, mais d'un ennemi. Je vous croyais prévenu contre moi, et vous ai donné des éclaircissements qui devaient vous satisfaire. Maintenant je vois votre haine, et j'en devine les motifs; je vois le piége que vous m'avez tendu en me chargeant d'une commission où je ne pouvais presque éviter de me compromettre. Vous commencez par me punir; vous m'ôtez la liberté, pour que rien ne vous empêche de me dénoncer au roi, et de prévenir contre moi le public. Ensuite vous me citez à votre propre tribunal, où vous voulez être à la fois mon accusateur et mon juge, et me condamner sans m'enni tendre, sans me nommer mes dénonciateurs, produire aucune preuve de ce qu'on avance contre moi. Vous savez trop combien il me serait facile de confondre les impostures de vos vils espions. Vous pouvez réussir à me perdre; mais peut-être trouverai-je qui m'écoutera malgré vous. Quoi qu'il arrive, n'espérez pas trouver en moi

une victime muette. Je saurai rendre la lâcheté | de novembre. Il n'a été cependant imprimé qu'en de votre conduite aussi publique dans cette affaire qu'elle l'a déjà été ailleurs.

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Voilà qui est bouffon: il me tient bloqué et me demande la paix ; c'est l'assiégeant qui capitule. Vous allez voir, mon colonel, si je me pique de générosité. Je ne demande pour moi que la levée de mes arrêts, et de passer à une autre armée; moyennant quoi je me dédis de tout ce que j'ai dit et écrit au général Dedon. Je ne plaisante | point, je signerai qu'il est brave, qu'il l'a fait voir à Gaëte, et que ceux qui disent le contraire en ont menti, moi le premier. Un démenti à toute l'armée, que voulez-vous de plus, mon colonel? rédigez les articles, et faites-moi sortir. Prisonnier à Naples, il me semble être damné en paradis.

A M. LE GÉNÉRAL DEDON,

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J'ai eu le malheur de vous offenser, et je comprends qu'il est difficile que vous l'oubliez jamais. Quand même vous auriez la bonté de ne montrer aucun ressentiment de ce qui s'est passé, ma position n'en serait pas moins désagréable ici, où le moindre incident pourrait rallumer des passions plutôt assoupies qu'éteintes. Vous-même, mon général, ne sauriez désirer de conserver sous vos ordres un officier qui, doutant toujours de vos dispositions à son égard, n'apporterait au service ni confiance ni bonne volonté. Je vous prie donc, mon général, de m'obtenir du roi l'ordre que je sollicite depuis si longtemps, de me rendre à la grande armée.

[En attendant l'effet de cette demande, Courier fit sa rentrée dans la bibliothèque du marquis Tacconi. Il y travaillait à la traduction des livres de Xénophon sur le commandement de la cavalerie et sur l'équitation. Cet ouvrage, entrepris dès l'époque de son séjour à Plaisance, et plusieurs fois interrompu, fut à peu près terminé cette année à la fin

1809 à Paris.

Pour mieux comprendre les préceptes de son auteur sur l'équitation, il en faisait l'essai par lui-même et sur son propre cheval. Celui-ci, qu'il avait bridé et équipé à la grecque, n'était point ferré. Il le montait sans étriers, et courait ainsi dans les rues de Naples, sur les dalles qui forment le pavé, à la grande surprise des autres cavaliers, qui n'y marchaient qu'avec précaution.]

A M. DE SAINTE-CROIX,

A PARIS.

Naples, le... juillet 1807.

Monsieur, vous vous moquez de moi. Heureusement j'entends raillerie, et prends comme il faut vos douceurs. Que si vous parlez tout de bon, sans doute l'amitié vous abuse. Il se peut que je sois coupable de quelque chose; mais cela n'est pas sûr comme il l'est que jusqu'à présent je n'ai rien fait.

Ce que je vous puis dire du marquis Rodio, c'est qu'ici sa mort passe pour un assassinat et pour une basse vengeance. On lui en voulait parce qu'étant ministre, et favori de la reine, il parut contraire au mariage que l'on proposait d'un fils ou d'une fille de Naples avec quelqu'un de la famille. L'empereur a cette faiblesse de tous les parvenus, il s'expose à des refus. Il fut refusé là et ailleurs. Le pauvre Rodio depuis, pris dans un coin de la Calabre, à la tête de quelques insurgés, quoiqu'il eût fait une bonne et franche et publique capitulation, fut pourtant arrêté, jugé par une commission militaire, et, chose étonnante, acquitté. Il en écrivit la nouvelle à sa femme, à Catanzaro, et se croyait hors d'embarras, mais l'empereur le fit reprendre et rejuger par les mêmes juges, qui cette fois-là le condamnèrent étant instruits et avertis. Cela fit horreur à tout le monde, plus encore peut-être aux Français qu'aux Napolitains. On le fusilla par derrière, comme traître, félon, rebelle à son légitime souverain. Le trait vous paraît fort; j'en sais d'autres pareils. Quand le général V*** commandait à Livourne, il eut l'ordre et l'exécuta, de faire arrê ter deux négociants de la ville, dont l'un périt comme Rodio, l'autre l'échappa belle, s'étant sauvé de prison par le moyen de sa femme et d'un aide de camp. Le général fut en peine et fort réprimandé. Ici nous avons vu un courrier qui portait des lettres de la reine, assassiné par ordre, ses dépêches enlevées à Paris. L'homme

qui fit ce coup, ou l'ordonna du moins, je le vois ↑ fa in circa, par laquelle je te priais de tâcher tous les jours. Mais quoi! à Paris même, pour avoir d'arranger mon compte avec Desgoutins'. Ce des papiers, n'a-t-on pas tué chez lui un envoyé compte me semble un compte de juif; à dire vrai ou secrétaire de je ne sais quelle diplomatie? L'af- je n'y connais rien. Il s'agit de change, et ce n'est faire fit du bruit. pas mon fort que la banque.

Assurément, Monsieur, cela n'est point du temps, du siècle où nous vivons; tout cela s'est passé quelque part au Japon ou bien à Tombouctou, et du temps de Cambyse. Je le dis avec vous, les mœurs sont adoucies; Néron ne régnerait pas aujourd'hui. Cependant, quand on veut être maître... pour la fin le moyen. Maître et bon, maître et juste, ces mots s'accordent-ils? Oui grammaticalement, comme honnête larron, équitable brigand.

J'ai connu Rodio, il était joli homme, peu d'esprit, peu d'intelligence, d'une fatuité incroyable, en un mot bon pour une reine.

Je passe ici mes jours, ces jours longs et brûlants, dans la bibliothèque du marquis Tacconi, à traduire pour vous Xénophon, non sans peine; le texte est gâté. Ce marquis est un homme admirable, il a tous les livres possibles, j'entends tous ceux que vous et moi saurions désirer. J'en dispose; entre nous, quand je serai parti, je ne sais qui les lira. Lui ne lit point; je ne pense pas qu'il | en ait ouvert un de sa vie. Ainsi en usait Salomon avec ses sept ou huit cents femmes; les aimant pour la vue, il n'y touchait guère, sage en cela surtout; peut-être aussi, comme Tacconi, les prêtait-il à ses amis.

Nous sommes à présent dans une paix profonde et favorable à mes études, mais cette paix peut être troublée d'un moment à l'autre. Tout tient au | caprice de deux ou trois bipèdes sans plumes qui se jouent de l'espèce humaine. Pour moi ce que je deviendrai, je le sais aussi peu que vous, Monsieur. J'ai cent projets, et je n'en ai pas un. Je veux rester ici, dans cette bibliothèque ; je veux aller en Grèce. Je veux quitter mon métier, je le veux continuer pour avoir des mémoires que j'emploierais quelque jour. De tout cela que sera-t-il ? Ce qui est écrit, dit Homère, aux tablettes de Jupiter. Présentez, je vous prie, mon respect à madame de Sainte-Croix, et me conservez une place dans votre souvenir..

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Je suis fort aise que tu aies vu monsieur mon parent. Je ne le connais pas, et l'en aime bien mieux. Ceux que je connais de mes parents, je les ai tous in saccoccia, et ils le méritent. S'ils pensaient, comme disait Lauzun, que j'eusse de l'argent dans les os, ils me les casseraient pour l'avoir. Je me sers d'eux fort bien cependant; quand j'en veux tirer quelque service, je leur mande que je vais mourir ; je fais mon testament, et aussitôt ils trottent. Ils sont tous plus vieux que moi et plus riches; mais quoi ? la rage d'hériter. Ils ont eu bon espoir lorsque j'étais en Pouille. Mes lettres arrivaient percées et vinaigrées, tu t'en souviens; et depuis, dans la guerre de Calabre; alors ma succession était de l'or en barre. Aussi m'aimait-on fort; mais toujours un peu moins que si j'eusse été mort. Je conçois la haine des rois pour leur héritier présomptif. Dans le fait tout cela est mal réglé ; j'arrangerais les choses autrement si j'étais législateur. Les héritages se tireraient au sort, et de même les charges et les commandements; tout en irait bien mieux. Je te le prouverais si nous étions à nous promener à la Rubertzau : heureux temps !

Tu vois bien que je n'ai pas grand' chose à te marquer. Rien de nouveau; sinon que je quitte cette armée tout de bon. Je t'ai conté cela dans une longue lettre à laquelle tu ne réponds guère. Je passerai à Milan. Je n'ai point encore mes ordres; mais quand je les aurais, je ne me presserais pas. Je me trouve bien ici, et si bien que peutêtre..... Enfin suffit. Tu peux m'écrire. Le fait est que je suis en paradis. Ce pays n'a point d'égal au monde. Il est cependant du bon ton de s'y plaindre, et de regretter Paris.

Un gueux, qui quand il vint n'avait pas de souliers, roule carrosse ici et trouve tout détestable. On ne vit qu'à Paris, où l'an passé peut-être il dînait à vingt sous quand on payait pour lui; et le tout pour faire croire.... J'en aurais trop à dire, basta. Quand nous nous reverrons.

A MADAME ***.

Naples, le 3 septembre 1807. Vous devriez songer, Madame, à ce que je vous ai dit hier, et vous souvenir un peu de moi. Je

Quartier-maitre du régiment.

2 A Strasbourg, 1803.

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vous en rêveriez, et pour rien au monde je ne voudrais vous avoir donné le cauchemar.

veux que la chose en elle-même vous soit indif- | nez-y garde. Ne lisez pas cela en vous couchant, férente; mais le plaisir de faire plaisir, n'est-ce donc rien? Entre nous, allons, j'y consens..... Cela ne vous fait ni chaud ni froid, ni bien ni mal; belle raison pour dire non, quand on vous prie. Fi! n'avez-vous point de honte de vous faire demander deux fois des choses qui coûtent si peu, comme disait Gaussin, et pour lesquelles, après tout, vous n'avez aucune répugnance?

[Courier avait, depuis un mois, l'ordre de quitter l'armée et d'aller joindre son régiment à Vérone. Mais au lieu de s'y rendre, il s'établit à Resina, près de Portici, pour terminer dans la solitude sa traduction de Xénophon. Il y demeura deux mois, revint ensuite passer quelques jours à Naples, et partit enfin pour Rome dans les premiers jours de décembre.]

A MADAME PIGALLE,

A LILLE.

Un jour je voyageais en Calabre. C'est un pays de méchantes gens, qui, je crois, n'aiment personne, et en veulent surtout aux Français. De vous dire pourquoi, cela serait long; suffit qu'ils nous haïssent à mort, et qu'on passe fort mal son temps lorsqu'on tombe entre leurs mains. J'avais pour compagnon un jeune homme d'une figure... ma foi, comme ce monsieur que nous vimes au Rincy; vous en souvenez-vous ? et mieux encore peut-être. Je ne dis pas cela pour vous intéresser, mais parce que c'est la vérité. Dans ces montagnes les chemins sont des précipices, nos chevaux marchaient avec beaucoup de peine; mon camarade allant devant, un sentier qui lui parut plus praticable et plus court nous égara. Ce fut ma faute; devais-je me fier à une tête de vingt ans? Nous cherchâmes, tant qu'il fit jour, notre chemin à travers ces bois; mais plus nous cherchions, plus nous nous perdions, et il était nuit noire quand nous arrivâmes près d'une maison fort noire. Nous y entrâmes, non sans soupçon, mais comment

Resina, près Portici, le 1 novembre 1807. Vos lettres sont rares, chère cousine; vous faites bien, je m'y accoutumerais, et je ne pour-faire? Là nous trouvons toute une famille de rais plus m'en passer. Tout de bon je suis en colère: vos douceurs ne m'apaisent point. Comment, cousine, depuis trois ans voilà deux fois que vous m'écrivez en vérité, mamzelle Sophie... Mais quoi ! si je vous querelle, vous ne m'écrirez plus du tout. Je vous pardonne donc, crainte de pis. Oui sûrement je vous conterai mes aventures bonnes et mauvaises, tristes et gaies, car il m'en arrive des unes et des autres. Laissez-nous faire, cousine, on vous en donnera de toutes les façons. C'est un vers de la Fontaine; demandez à Voisard. Mon Dieu! m'allez-vous dire, on a lu la Fontaine; on sait ce que c'est que le Curé et le Mort. Eh bien, pardon. Je disais donc que mes aventures sont diverses, mais toutes curieuses, intéressantes; il y a plaisir à les entendre, et plus encore, je m'imagine, à vous les conter. C'est une expérience que nous ferons au coin du feu quelque jour. J'en ai pour tout un hiver. J'ai de quoi vous amuser, et par conséquent vous plaire, sans vanité, tout ce temps-là; de quoi vous attendrir, vous faire rire, vous faire peur, vous faire dormir. Mais pour vous écrire tout, ah! vraiment vous plaisantez: madame Radcliffe n'y suffirait pas. Cependant je sais que vous n'aimez pas à être refusée; et comme je suis complaisant, quoi qu'on en dise, voici, en attendant, un petit échantillon de mon histoire; mais c'est du noir, pre

charbonniers à table, où du premier mot on nous invita. Mon jeune homme ne se fit pas prier : nous voilà mangeant et buvant, lui du moins, car pour moi j'examinais le lieu et la mine de nos hôtes. Nos hôtes avaient bien mines de charbonniers; mais la maison, vous l'eussiez prise pour un arsenal. Ce n'étaient que fusils, pistolets, sabres, couteaux, coutelas. Tout me déplut, et je vis bien que je déplaisais aussi. Mon camarade, au contraire : il était de la famille, il riait, il causait avec eux; et par une imprudence que j'aurais dû prévoir (mais quoi! s'il était écrit...), il dit d'abord d'où nous venions, où nous allions, qui nous étions; Français, imaginez un peu ! chez nos plus mortels ennemis, seuls, égarés, si loin de tout secours humain! et puis, pour ne rien omettre de ce qui pouvait nous perdre, il fit le riche, promit à ces gens pour la dépense, et pour nos guides le lendemain, ce qu'ils voulurent. Enfin, il parla de sa valise, priant fort qu'on en eût grand soin, qu'on la mît au chevet de son lit ; il ne voulait point, disait-il, d'autre traversin. Ah! jeunesse! jeunesse ! que votre âge est à plaindre! Cousine, on crut que nous portions les diamants de la couronne : ce qu'il y avait qui lui causait tant de souci dans cette valise, c'étaient les lettres de sa maîtresse.

Le souper fini on nous laisse; nos hôtes couchaient en bas, nous dans la chambre haute où

nous avions mangé; une soupente élevée de sept à huit pieds, où l'on montait par une échelle, c'était là le coucher qui nous attendait, espèce de nid, dans lequel on s'introduisait en rampant sous des solives chargées de provisions pour toute l'année. Mon camarade y grimpa seul, et se coucha tout endormi, la tête sur la précieuse valise. Moi, déterminé à veiller, je fis bon feu, et m'assis auprès. La nuit s'était déjà passée presque entière assez tranquillement, et je commençais à me rassurer, quand sur l'heure où il me semblait que le jour ne pouvait être loin, j'entendis au-dessous de moi notre hôte et sa femme parler et se disputer; et prêtant l'oreille par la cheminée qui communiquait avec celle d'en bas, je distinguai parfaitement ces propres mots du mari: Eh bien! enfin voyons, faut-il les tuer tous deux? A quoi la femme répondit: Oui. Et je n'entendis plus rien.

Que vous dirai-je ? je restai respirant à peine, tout mon corps froid comme un marbre; à me voir, vous n'eussiez su si j'étais mort ou vivant. Dieu ! quand j'y pense encore !.... Nous deux presque sans armes, contre eux douze ou quinze qui en avaient tant! Et mon camarade mort de sommeil et de fatigue! L'appeler, faire du bruit, je n'osais; m'échapper tout seul, je ne pouvais; la fenêtre n'était guère haute, mais en bas deux gros dogues hurlant comme des loups... En quelle peine je me trouvais, imaginez-le si vous pouvez. Au bout d'un quart d'heure qui fut long, j'entends sur l'escalier quelqu'un, et, par les fentes de la porte, je vis le père, sa lampe dans une main, dans l'autre un de ses grands couteaux. Il montait, sa femme après lui; moi derrière la porte: il ouvrit; mais avant d'entrer il posa la lampe que sa femme vint prendre; puis il entre pieds nus, et elle de dehors lui disait à voix basse, masquant avec ses doigts le trop de lumière de la lampe : Doucement, va doucement. Quand il fut à l'échelle, il monte, son couteau dans les dents, et venu à la hauteur du lit, ce pauvre jeune homme étendu offrant sa gorge découverte, d'une main il prend son couteau, et de l'autre..... Ah! cousine..... Il saisit un jambon qui pendait au plancher, en coupe une tranche, et se retire comme il était venu. La porte se referme, la lampe s'en va, et je reste seul à mes réflexions.

Dès que le jour parut, toute la famille à grand bruit vint nous éveiller, comme nous l'avions recommandé. On apporte à manger : on sert un déjeuner fort propre, fort bon, je vous assure. Deux chapons en faisaient partie, dont il fallait, dit notre hôtesse, emporter l'un et manger l'autre. En

les voyant, je compris enfin le sens de ces terri-
bles mots : faut-il les tuer tous deux ? Et je vous
crois, cousine, assez de pénétration pour deviner
à présent ce que cela signifiait.

Cousine, obligez-moi ne contez point cette
histoire. D'abord, comme vous voyez, je n'y joue
pas un beau rôle, et puis vous me la gâteriez. Te-
nez, je ne vous flatte point; c'est votre figure qui
nuirait à l'effet de ce récit. Moi, sans me vanter,
j'ai la mine qu'il faut pour les contes à faire peur.
Mais vous, voulez-vous conter? prenez des sujets
qui aillent à votre air, Psyché, par exemple.
AU MINISTRE DE LA GUERRE,

A NAPLES.

Naples, le 26 novembre 1807. Monseigneur, depuis six mois je redemande à M. Boismon, caissier de l'artillerie, 1,600 fr. que je lui ai confiés à titre de dépôt. Il prétend retenir cette somme par ordre du général Dedon, à cause de certains frais de bureau touchés par moi il y a quatre ans, et qui, dit-il, ne m'étaient point dus. Premièrement je nie le fait: je n'ai jamais touché de frais de bureau que sur des ordonnances particulières du ministre de la guerre.

Mais quand ce qu'il dit serait vrai, fussé-je débiteur de cent mille francs à la caisse de l'artillerie, il n'en serait pas moins obligé de me remettre à ma première réquisition le dépôt dont il s'est chargé. Je ne suis point en compte avec la caisse. L'autorité du général est nulle dans cette affaire. En un mot, ce n'est point à la caisse, mais à M. Boismon que j'ai confié mon argent, et il n'en doit de compte qu'à moi.

Il allègue une autre excuse qui me paraît plus plausible. Quoiqu'il ait le titre de caissier, la caisse n'est pas en son pouvoir; elle est, dit-il, chez le général, dans sa chambre; il en a les clefs; et par conséquent, lui caissier, ne peut me rendre mon argent, que le général n'y consente, à quoi il n'est pas disposé.

Est-ce ma faute à moi, Monseigneur, si le caissier n'a pas la caisse ? Pouvais-je faire ces distinctions et deviner que M. Boismon était caissier pour prendre mon argent, mais non pas pour me le rendre? Je laisse ces subtilités à ceux qui en ont le profit.

Enfin, vous voyez, Monseigneur, que le général Dedon couche avec mon argent. Le ravoir à son insu, cela est fort difficile. J'ai fait ce que j'ai pu, et j'y renonce. Obtenir qu'il me le rende n'est possible qu'à vous, Monseigneur, et je sup

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