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seille à son roy de rendre les traficques et negociations de ses subiects, libres, franches et lucratives, et leurs debats et querelles, onereuses, chargees de poisants subsides; mais selon une opinion prodigieuse, de mettre en traficque la raison mesme, et donner aux loix cours de marchandise. Ie sçay bon gré à la fortune dequoy, comme disent nos historiens, ce feut un gentilhomme gascon et de mon pays, qui le premier s'opposa à Charlemaigne nous voulant donner des loix latines et imperiales.

nelle: pour les plus fantastiques à mon gré qui se puissent imaginer, ie luy donray entre aultres nos bonnets quarrez, cette longue queue de veloux plissé qui pend aux testes de nos femmes avecques nos attirail bigarré, et ce vain modele et inutile d'un membre que nous ne pouvons seulement honnestement nommer, duquel toutesfois nous faisons montre et parade en public. Ces considerations ne destournent pourtant pas un homme d'entendement de suyvre le style commun': ains au rebours, il me semble que toutes façons escartees et particulicres partent plustost de folie ou d'affectation ambitieuse, que de vraye raison; et que le sage doibt au dedans retirer son ame de la presse, et la tenir en liberté et puissance de iuger librement des choses; mais, quant au dehors, qu'il doibt suyvre entierement les façons et formes receues. La societé publicque n'a que faire de nos pensees; mais le demourant, comme nos actions, nostre travail, nos fortunes, et nostre vie, il la fault prester et abandonner à son service et aux opinions communes: comme ce bon et grand Socrates refusa de sauver sa vie, par la desobeïssance du magistrat, voire d'un magisdes regles, et generale loy des loix, que chas

Qu'est il plus farouche que de veoir une nation où, par legitime coustume, la charge de iuger se vende, et les iugements soyent payez à purs deniers comptants, et où legitimement la justice soit refusee à qui n'a dequoy la payer; et ayt cette marchandise si grand credit, qu'il se face en une police un quatriesme estat de gents maniants les procez, pour le ioindre aux trois anciens, de l'eglise, de la noblesse, et du peuple; lequel estat, ayant la charge des loix et ⚫ souveraine auctorité des biens et des vies, face un corps à part de celuy de la noblesse: d'où il advienne qu'il y ayt doubles loix, celles de l'honneur, et celles de la iustice, en plusieurs choses fort contraires; aussi rigoureusement |trat tresiniuste et tresinique; car c'est la regle

condemnent celles là un dementi souffert, comme celles icy un dementi revenché; par le debvoir des armes, celuy là soit degradé d'honneur et de noblesse, qui souffre une iniure, et par le debvoir civil, celuy qui s'en venge encoure une peine capitale; qui s'adresse aux loix pour avoir raison d'une offense faicte à son honneur, il se deshonnore, et quine s'y adresse, il en est puny et chastié par les loix : et de ces deux pieces si diverses, se rapportants toutesfois à un seul chef, ceulx là ayent la paix, ceulx cy la guerre, charge; ceulx là ayent le gaing,

en

ceulx cy l'honneur; ceulx là le sçavoir, ceulx cy la vertu; ceulx là la parole, ceulx cy l'action; ceulx là la iustice, ceulx cy la vaillance; ceulx là la raison, ceulx cy la force; ceulx là la robbe longue, ceulx cy la courte, en partage?

cun observe celle du lieu où il est :

Νόμοις ἔπεσθαι τοῖσιν ἐγχωρίοις καλόν 2.

En voicy d'une aultre cuvee. Il y a grand doubte s'il se peult trouver si evident proufit au changement d'une loy receue, telle qu'elle soit, qu'il y a du mal à la remuer: d'autant qu'une police, c'est comme un bastiment de diverses pieces ioinctes ensemble d'une telle liai

son, qu'il est impossible d'en esbranler une, que tout le corps ne s'en sente. Le legislateur des Thuriens ordonna que quiconque voul

droit, ou abolir une des vieilles loix, ou en es

tablir une nouvelle, se presenteroit au peuple la chorde au col; à fin que, si la nouvelleté n'estoit approuvee d'un chascun, il feust incontinent estranglé: et celuy de Lacedemone em

Quant aux choses indifferentes, comme vestements; qui les vouldra ramener à leur vraye fin, qui est le service et commodité du corps, idées et les développe. A. D.

d'où despend leur grace et bienseance origi

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Dans le chapitre 3 du livre III, Montaigne revient sur ces

Il est beau d'obéir ax lois de son pays.

Excerpta ex traged. græcis, Hug. Grotio interpr. 1626, in-4°, p. 937.
Charondas. DIODOBE DE SICILE, XII, 24. С.

ploya sa vie, pour tirer de ses citoyens une pro- | velles desbauches puisent heureusement, en La religion chrestienne a toutes les marques | encores que l'humaine raison ayt beaucoup plus

messe asseuree de n'enfreindre aulcune de ses ordonnances'. L'ephore qui coupa si rudement les deux chordes que Phrynis avoit adiousté à la musique, ne s'esmoie pas si elle en vault mieulx, ou si les accords en sont mieulx remplis; il luy suffit, pour les condemner, que ce soit une alteration de la vieille façon. C'est ce que signifioit cette espee rouillee de la iustice de Marseille 3.

Ie suis desgouté de la nouvelleté, quelque visage qu'elle porte; et ay raison, car i'en ay veu des effects tresdommageables : celle qui nous presse depuis tant d'ans 4, elle n'a pas tout exploicté; mais on peult dire, avecques apparence, que par accident elle a tout produict et engendré, voire et les maulx et ruyne qui se font depuis, sans elle et contre elle : c'est à elle à s'en prendre au nez';

Heu! patior telis vulnera facta meis';

Ceux qui donnent le bransle à un estat, sont volontiers les premiers absorbez en sa ruyne, le fruict du trouble ne demeure gueres à celuy qui l'a esmeu; il bat et brouille l'eau pour d'aultres pescheurs. La liaison et contexture de cette monarchie et ce grand bastiment ayant esté desmis et dissoult, notamment sur ses vieux ans, par elle, donne tant qu'on veult d'ouverture et d'entree à pareilles iniures: la maiesté royalle s'avalle plus difficilement du sommet au milieu, qu'elle ne se precipite du milieu à fond. Mais si les inventeurs sont plus dommageables, les imitateurs sont plus vicieux de se iecter en des exemples desquels ils ont senty et puny l'horreur et le mal: et s'il y a quelque degré d'honneur, mesme au mal à faire, ceulx cy doibvent aux aultres la gloire de l'invention et le courage du premier effort. Toutes sortes de nou

PLUTARQUE, Lycurgue, с. 22. С.

Phrynis, de Mithylène, célèbre joueur de cithare, ajouta en effet deux cordes à cet instrument, qui n'en avoit d'abord que sept; et Aristophane, dans sa comédie des Nuées, lui reproche d'avoir substitué des airs mous et efféminés à une musique noble et måle. E. J.

• VALÈRE MAXIME, II. 6, 7. С.

• Vingt-cinq ou trente ans, édit. de 1588, in-4o, fol. 42. A mettre tout cela sur son compte. C.

Ah! c'est de moi que vient tout le mal que j'endure!
OVIDE, Epist. Phyllidis Demophoonti, v. 48.

cette premiere et feconde source, les images et patrons à troubler nostre police: on lit en nos loix mesmes, faictes pour le remede de ce premier mal, l'apprentissage et l'excuse de toutes sortes de mauvaises entreprinses; et nous advient, ce que Thucydides dict des guerres civiles de son temps, qu'en faveur des vices publicques on les baptisoit de mots nouveaux plus doulx pour leur excuse, abastardissant et amollissant leurs vrays tiltres: c'est pourtant pour reformer nos consciences et nos creances! honesta oratio est. Mais le meilleur pretexte de nouvelleté est tresdangereux : adeo nihil motum ex antiquo, probabile est3! Si me semble il, à le dire franchement, qu'il y a grand amour de soy et presumption, d'estimer ses opinions iusques là que, pour les establir, il faille renverser une paix publicque, et introduire tant de maulx inevitables, et une si horrible corruption de mœurs que les guerres civiles apportent, et les mutations d'estat en chose de tel poids, et les introduire en son païs propre. Est ce pas malmesnagé, d'advancer tant de vices certains et cogneus, pour combattre des erreurs contestees et debattables? est il quelque pire espece de vices, que ceulx qui choquent la propre conscience et naturelle cognoissance? Le senat osa donner en payement cette desfaicte, sur le differend d'entre luy et le peuple, pour le ministere de leur religion, ad deos id magis, quam ad se, pertinere; ipsos visuros, ne sacra sua polluantur4; conformement à ce que respondit l'oracle à ceulx de Delphes, en la guerre medoise, craignants l'invasion des Perses: ils demanderent au dieu ce qu'ils avoient à faire des tresors sacrez de son temple, ou les cacher, ou les emporter: il leur respondit, qu'ils ne bougeassent rien, qu'ils se souciassent d'eulx; qu'il estoit suffisant pour prouveoir à ce qui luy estoit propre'.

Liv. III, chap, 52, C.

• Le prétexte est honnête. TÉRENCE, Andr., act. I, sc. I, v.

114.

• Tant il est vrai que nous avons toujours tort de changer les institutions de nos pères. TITE LIVE, XXXIV, 54.

Que cette affaire intéressoit les dieux plus qu'eux-mêmes; ces dieux, disoient-ils, sauront bien empêcher la profanation de leur culte. TIT. Liv., X, 6.

*HÉRODOTE, VIII, 36. J. V. L,

d'extreme iustice et utilité, mais nulle plus apparente que l'exacte recommendation de l'obeïssance du magistrat et manutention des polices. Quel merveilleux exemple nous en a laissé la sapience divine, qui, pour establir le salut du genre humain, et conduire cette sienne glorieuse victoire contre la mort et le peché, ne l'a voulu faire qu'à la mercy de nostre ordre politique; et a soubmis son progrez, et la conduicte d'un si hault effect et si salutaire, à l'aveuglement et iniustice de nos observations et usances, y laissant courir le sang innocent de tant d'esleus ses favoris, et souffrant une longue perte d'annees à meurir ce fruict inestimable! Il y a grand à dire entre la cause de celuy qui suyt les formes et les loix de son païs, et celuy qui entreprend de les regenter et changer: celuy là allegue pour son excuse la simplicité, l'obeïssance et l'exemple; quoy qu'il face, ce ne peult estre malice, c'est, pour le plus, malheur: quis est enim, quem non moveat clarissimis monumentis testata consignataque antiquitas? oultre ce que dict Isocrates, que la defectuosité a plus de part à la moderation que n'a l'excez: l'aultre est en bien plus rude party; car qui se mesle de choisir et de changer, usurpe l'auctorité de iuger, et se doibt faire fort de veoir la faulte de ce qu'il chasse, et le bien de ce qu'il introduict.

Cette si vulgaire consideration m'a fermy en mon siege, et tenu ma ieunesse mesme, plus temeraire, en bride, de ne charger mes espaules d'un si lourd faix, que de me rendre respondant d'une science de telle importance, et oser en cette cy ce qu'en sain iugement ie ne pourrois oser en la plus facile de celles ausquelles on m'avoit instruict, et ausquelles la temerité de iuger est de nul preiudice; me semblant tresinique de vouloir soubmettre les constitutions et observances publicques et immobiles à l'instabilité d'une privee fantasie (la raison privee n'a qu'une iurisdiction privee), et entreprendre sur les loix divines ce que nulle police ne supporteroit aux civiles; ausquelles

de commerce, si sont elles souverainement iuges de leurs iuges, et l'extreme suffisance sert à expliquer et estendre l'usage qui en est receu, non à le detourner et innover. Si quelquesfois la providence divine a passé par dessus les regles ausquelles elle nous a necessairement astreincts, ce n'est pas pour nous en dispenser: ce sont coups de sa main divine, qu'il nous fault non pas imiter, mais admirer; et exemples extraordinaires, marquez d'un exprez et particulier adveu, du genre des miracles, qu'elle nous offre pour tesmoignage de sa toute puissance, au dessus de nos ordres et de nos forces, qu'il est folie et impieté d'essayer à representer, et que nous ne debvons pas suyvre, mais contempler avec estonnement; actes de son personnage, non pas du nostre. Cotta proteste bien opportuneement : Quum de religione agitur, Ti. Coruncanium, P. Scipionem, P. Scævolam, pontifices maximos, non Zenonem, aut Cleanthem, aut Chrysippum sequor'. Dieu le sçache, en nostre presente querelle, où il y à cent articles à oster et remettre, grands et profonds articles, combien ils sont qui se puissent vanter d'avoir exactement recogneu les raisons et fondements de l'un et l'aultre party : c'est un nombre, si c'est nombre, qui n'auroit pas grand moyen de nous troubler. Mais toute cette aultre presse, où va elle? soubs quelle enseigne se iecte elle à quartier? Il advient de la leur comme des aultres medecines foibles et mal appliquees : les humeurs qu'elle vouloit purger en nous, elle les a eschauffees, exasperees et aigries par le conflict; et si, nous est demeuree dans le corps: elle n'a sceu nous purger par sa foiblesse, et nous a cependant affoiblis; en maniere que nous ne la pouvons vuider non plus, et ne recevons de son operation que des douleurs longues et intestines.

Si est ce que la fortune, reservant tousiours son auctorité au dessus de nos discours, nous presente auculnesfois la necessité si urgente, qu'il est besoing que les loix lui facent quelque place: et, quand on resiste à l'accroissance d'une innovation qui vient par violence à s'in- | ambassadeurs, estant envoyé vers les Athetroduire, de se tenir en tout et par tout en niens pour obtenir le changement de quel

Qui pourroit ne pas respecter une antiquité qui nous a été conservée et transmise par les plus éclatants témoignages? CrCÉRON, de Divin., 1, 40.

* Discours à Nicoclės, pag. 21. C.

En matière de religion, j'écoute Tib. Coruncanius, P. Scipion, P. Scévola, souverains pontifes, et non pas Zénon, Cléanthe, ou Chrysippe. Cic., de Nat, deor., III, 2.

bride et en regle contre ceulx qui ont la clef des champs, ausquels tout cela est loisible qui peult advancer leur desseing, qui n'ont ny loy ny ordre que de suyvre leur advantage, c'est une dangereuse obligation et inequalité.

Aditum nocendi perfido præstat fides':

d'autant que la discipline ordinaire d'un estat, qui est en sa santé, ne pourveoit pas à ces accidents extraordinaires; elle presuppose un corps qui se tient en ses principaulx membres et offices, et un commun consentement à son observation et obeïssance. L'aller legitime est un aller froid, poisant et contrainct, et n'est pas pour tenir bon à un aller licencieux et effrené. On sçait qu'il est encores reproché à ces deux grands personnages, Octavius et Caton, aux guerres civiles, l'un de Sylla, l'aultre de Cesar, d'avoir plutost laissé encourir toutes extremitez à leur patrie, que de la secourir aux despens de ses loix, et que de rien remuer: car, à la verité, en ces dernieres necessitez où il n'y a plus que tenir, il seroit à l'adventure plus sagement faict de baisser la teste et prester un peu au coup, que, s'aheurtant, oultre la possibilité, à ne rien relascher, donner occasion à la violence de fouler tout aux pieds; et vauldroit mieulx faire vouloir aux loix ce qu'elles peuvent, puis qu'elles ne peuvent ce qu'elles veulent. Ainsi feit celuy qui ordonna qu'elles dormissent vingt et quatre heures; et celuy qui remua pour cette fois un iour du calendrier; et cet aultre qui du mois de iuin feit le second may. Les Lacedemoniens mesmes, tant religieux observateurs des ordonnances de leur païs, estants pressez de leur loy qui deffendoit d'eslire par deux fois admiral un mesme personnage, et de l'aultre part leurs affaires requerants de toute necessité que Lysander prinst de rechef cette charge, ils feirent bien un Aracus admiral, mais Lysander surintendant de la marine 4: et de mesme subtilité, un de leurs

qu'ordonnance, et Pericles luy alleguant qu'il estoit deffendu d'oster le tableau où une loy estoit une fois posee, luy conseilla de le tourner seulement, d'autant que cela n'estoit pas pas deffendu. C'est ce dequoy Plutarque loue Philopœmen', qu'estant nay pour commander, il sçavoit non seulement commander selon les loix, mais aux loix mesmes, quand la necessité publicque le requeroit.

CHAPITRE XXIII.

Divers evenements de mesme conseil.

Iacques Amyot, grand aumosnier de France, me retira un iour cette histoire à l'honneur d'un prince des nostres (et nostre estoit il à tresbonnes enseignes, encores que son origine feust estrangiere3), que durant nos premiers troubles, au siege de Rouan, ce prince ayant esté adverti, par la royne mere du roy, d'une entreprinse qu'on faisoit sur sa vie, et instruict particulierement, par ses lettres, de celuy qui la debvoit conduire à chef, qui estoit un gentilhomme angevin, ou manceau, frequentant lors ordinairement pour cet effect la maison de ce prince, il ne communiqua à personne cet advertissement : mais se promenant l'endemain au mont saincte Catherine, d'où se faisoit nostre batterie à Rouan (car c'estoit au temps que nous la tenions assiegee), ayant à ses costez ledit seigneur grand aumosnier et un aultre evesque, il apperceut ce gentilhomme qui luy avoit esté remarqué, et le feit appeller. Comme il feut en sa presence, il luy dict ainsi, le veoyant desia paslir et fremir des alarmes de sa conscience : « Monsieur de tel lieu, vous vous doubtez bien de ce que ie vous veulx, et vostre visage le montre. Vous n'avez rien à me cacher; car ie suis instruict de votre affaire si avant, que vous ne feriez qu'empirer vostre marché d'essayer à le couvrir. Vous sçavez bien telle chose et telle (qui estoyent les tenants

* Se fier à un perfide, c'est lui donner moyen de nuire, SÉNÈQUE, OEdip., act. III, v. 686.

C'est Agesilas, dans PLUTARQUE, Apophthegmes des Lacédémoniens, et Vie d'Agesilas. C.

*Alexandre-le-Grand. Voy. PLUTARQUE, Alex., c. 5. C. *PLUTARQUE, Vie de Lysandre, c. 4. C.

PLUTARQUE, Vie de Périclès, c. 18. C.

* Dans la comparaison de T. Q. Flaminius avec Philopæmen, vers la fin. C.

* Le duc de Guise, surnommé le Balafré, de la maison de Lorraine. Au siége de Rouen, en 1562.

et aboutissants des plus secretes pieces de cette | se promener ce pendant à son ayse? S'en ira

il quitte, ayant assailly ma teste, que i'ay sauvee de tant de guerres civiles, de tant de battailles par mer et par terre, et aprez avoir estably la paix universelle du monde? sera il absoult, ayant deliberé non de me meurtrir seulement, mais de me sacrifier?, car la coniuration estoit faicte de le tuer comme il feroit quelque sacrifice. Aprez cela, s'estant tenu coy quelque espace de temps, il recommenceoit d'une voix plus forte, et s'en prenoit à soy mesme: Pourquoy vis tu, s'il importe à tant de gents que tu meures? n'y aura il point de fin à tes vengeances et à tes cruautez? Ta vie vault elle que tant de dommage se face pour la conserver? › Livia, sa femme, le sentant en ces angoisses : « Et les conseils des femmes y seront ils receus? luy dict elle : fay ce que font les medecins; quand les receptes accoustumees ne peuvent servir, ils en essayent de contraires. Par severité, tu n'as iusques à cette heure rien proufité; Lepidus a suyvi Salvidienus; Murena, Lepidus; Caepio, Murena; Egnatius, Caepio: commence à experimenter comment te succederont la doulceur et la clemence. Cinna est convaincu; pardonne luy: de te nuire desormais, il ne pourra, et proufitera à ta gloire.› Auguste feut bien ayse d'avoir trouvé un advocat de son humeur; et, ayant remercié sa femme, et contremandé ses amis qu'il avoit assignez au conseil, commanda qu'on feist venir à luy Cinna tout seul; et ayant faict sortir tout le monde de sa chambre, et faict donner un siege à Cinna, il luy parla en cette maniere : « En premier

menee): ne faillez, sur vostre vie, à me confesser la verité de tout ce desseing. › Quand ce pauvre homme se trouva prins et convaincu (car le tout avoit esté descouvert à la royne par l'un des complices), il n'eut qu'à ioindre les mains et requerir la grace et misericorde de ce prince, aux pieds duquel il se voulut iecter; mais il l'en garda, suyvant ainsi son propos': « Venez ça; vous ay ie aultrefois faict desplaisir? ay ie offensé quelqu'un des vostres par haine particuliere? Il n'y a pas trois semaines que ie vous cognoy; quelle raison vous a peu mouvoir à entreprendre ma mort? » Le gentilhomme respondit à cela, d'une voix tremblante, que ce n'estoit aulcune occasion particuliere qu'il en eust, mais l'interest de la cause generale de son party, et qu'aulcuns luy avoient persuadé que ce seroit une execution pleine de pieté, d'extirper, en quelque maniere que ce feust, un si puissant ennemy de leur religion. ‹ Or, suyvit ce prince, ie vous veulx montrer combien la religion que ie tiens est plus doulce que celle dequoy vous faictes profession. La vostre vous a conseillé de me tuer sans m'ouïr, n'ayant receu de moy aulcune offense; et la mienne me commande que ie vous pardonne, tout convaincu que vous estes de m'avoir voulu tuer sans raison. Allez vous en, retirez vous; que ie ne vous veoye plus icy: et, si vous estes sage, prenez doresnavant en vos entreprinses des conseillers plus gents de bien que ceulx là. L'empereur Auguste, estant en la Gaule, receut certain advertissement d'une coniuration que luy brassoit L. Cinna: il delibera de s'en | lieu, ie te demande, Cinna, paisible audience;

venger, et manda pour cet effect au lendemain le conseil de ses amis. Mais la nuict d'entre deux, il la passa avecques grande inquietude, considerant qu'il avoit à faire mourir un ieune homme de bonne maison et nepveu du grand Pompeius, et produisoit en se plaignant plusieurs divers discours : « Quoy doncques, disoit il, sera il vray que ie demeureray en crainte et en alarme, et que ie lairray mon meurtrier

Tout ceci se trouve dans un livre intitulé la Fortune de la

Cour, composé par le sieur de Dampmartin, ancien courtisan du règne de Henri III (liv, II, pag. 139.). C.

* Voyez SÉNÈQUE, dans son traité de la Clémence, I, 9, d'où cette histoire a été transportée ici mot pour mot.

n'interromps pas mon parler; ie te donray temps et loisir d'y respondre. Tu sçais, Cinna, que t'ayant prins au camp de mes ennemis, non seulement t'estant faict mon ennemy, mais estant nay tel, ie te sauvay, ie te meis entre mains touts tes biens, et t'ai enfin rendu si accommodé et si aysé, que les victorieux sont envieux de la condition du vaincu : l'office du sacerdoce que tu me demandas, ie te l'octroyay, l'ayant refusé à d'aultres, desquels les peres avoyent tousiours combattu avecques moy. T'ayant si fort obligé, tu as entreprins de me tuer. › A quoy Cinna s'estant escrié qu'il estoit bien esloingné d'une si meschante pensee : « Tu ne me

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