Page images
PDF
EPUB

tenus d'assister à cet office avecques contenance | membrements des Corybantes, des Menades,

gaye et contente.

C'estoit une estrange fantasie, de vouloir payer la bonté divine de notre affliction; comme les Lacedemoniens 1. qui mignardoient leur Diane par le bourrellement des ieunes garsons qu'ils faisoient fouetter en sa faveur, souvent iusques à la mort: c'estoit une humeur farouche, de vouloir gratifier l'architecte de la subversion de son bastiment, et de vouloir garantir la peine due aux coulpables, par la punition des non coulpables; et que la pauvre Iphigenia, au port d'Aulide, par sa mort et par son immolation, deschargeast envers Dieu l'armee des Grecs des offenses qu'ils avoient commises;

Et casta inceste, nubendi tempore in ipso,
Hostia concideret mactatu mæsta parentis :

et ces deux belles et genereuses ames des deux
Decius, pere et fils, pour propitier la faveur
des dieux envers les affaires romaines, s'allas-
sent iecter, à corps perdu, à travers le plus
espais des ennemis. Qucæ fuit tanta deorum ini-
quitas, ut placari populo romano non possent, nisi
tales viri occidissent? Ioinct que ce n'est pas
au criminel de se faire fouetter à sa mesure et
à son heure; c'est au iuge, qui ne met en
compte de chastienment que la peine qu'il or-
donne, et ne peult attribuer à punition ce qui
vient à gré à celuy qui le souffre : la vengeance
divine presuppose notre dissentement entier,
pour sa iustice, et pour nostre peine. Et feut
ridicule l'humeur de Polycrates 4, tyran de
Samos, lequel, pour interrompre le cours de
son continuel bonheur, et le compenser, alla
iecter en mer le plus cher et precieux ioyau
qu'il eust, estimant que, par ce malheur aposté,
il satisfaisoit à la revolution et vicissitude de la
fortune: et elle, pour se mocquer de son inep-
tie, feit que ce même ioyau reveinst encores
en ses mains, trouvé au ventre d'un poisson.
Et puis, à quel usage les deschirements et des-

et, en nos temps, des Mahumetans qui se balaffrent le visage, l'estomach, les membres, pour gratifier leur prophete: veu que l'offense consiste en la volonté, non en la poictrine, aux yeulx, aux genitoires, en l'embonpoinct, aux espaules et au gosier? Tantus est perturbatæ mentis, et sedibus suis pulsce furor, ut sic dii placentur, quemadmodum ne homines quidem sæviunt 1. Cette contexture naturelle regarde, par son usage, non seulement nous, mais aussi le service de Dieu et des aultres hommes; c'est iniustice de l'affoler à nostre escient, comme de nous tuer pour quelque pretexte que ce soit: ce semble estre grande lascheté et trahison de mastiner et corrompre les functions du corps, stupides et serves, pour espargner à l'ame la solicitude de les conduire selon raison; ubi iratos deos timent, qui sic propitios habere merentur?.... In regiæ libidinis voluptatem castrati sunt quidam; sed nemo sibi, ne vir esset, iubente domino, manus intulit. Ainsi remplissoient ils leur religion de plusieurs mauvais effects:

Sæpius olim

Relligio peperit scelerosa atque impia facta 3.

Or rien du nostre ne se peult apparier ou rapporter, en quelque façon que ce soit, à la nature divine, qui ne la tache et marque d'autant d'imperfection. Cette infinie beauté, puissance et bonté, comment peult elle souffrir quelque correspondance et similitude à chose si abiecte que nous sommes, sans un extreme interest et deschet de sa divine grandeur? Infirmum Dei fortius est hominibus; et stultum Dei sapientius est hominibus 4. Stilpon le philosophe, interrogé si les dieux s'esiouïssent de nos honneurs et sacrifices: Vous estes indiscret, respon

Tel est leur délire, telle est leur fureur, qu'ils pensent apaiser les dieux en surpassant toutes les cruautés des hommes. S. AUGUSTIN, de Civit. Dei, VI, 10.

2 De quelles actions pensent-ils que les dieux s'irritent, ceux qui croient se les rendre propices par des crimes?... On a vu

'PLUTARQUE, Apophthegmes des Lacédémoniens,, vers la des hommes qui ont été faits eunuques, pour servir aux plaisirs

fin. C.

2 Que cette vierge infortunée, au moment destiné à son hymen, expirát sous les coups impitoyables d'un père. LUCRECE, 1,99.

3 Comment les dieux étoient-ils si irrités contre le peuple romain, qu'ils ne pussent être satisfaits qu'au prix d'un sang si généreux? Cic., de Nat. deor., III, 6.

4 HERODOTE, III, 41 et 42. J. V. L.

des rois; mais jamais esclave ne s'est mutilé lui-même, lorsque son maitre lui commandoit de ne plus être homme. S. AUGUS TIN, de Civit. Dei, VI, 10, d'après Sénèque.

3 Autrefois la superstition a souvent inspiré des actions impies et détestables. LUCRÈCE, I, 83.

4 La foiblesse de Dieu est plus forte que la force des hommes; sa folie est plus sage que leur sagesse. S. PAUL, Corinth., 1,1,25.

dit il 1; retirons nous à part, si vous voulez | De vray, pourquoy, tout puissant comme il est, des lieux: ny le bled ny le vin ne se veoid, ny | pour nous, ce n'est qu' aller selon nostre in

parler de cela. Toutesfois, nous luy prescrivons des bornes, nous tenons sa puissance assiegee par nos raisons (i'appelle raison nos resveries et nos songes, avecques la dispense de la philosophie, qui dict, « le fol mesme, et le meschant, forcener par raison; mais que c'est une raison de particuliere forme;) nous le voulons asservir aux apparences vaines et foibles de nostre entendement, luy qui a faict et nous et nostre cognoissance. Parce que rien ne se faict de rien, Dieu n'aura sceu bastir le monde sans matiere. Quoi! Dieu nous a il mis en main les clefs et les derniers ressorts de sa puissance? s'est il obligé à n'oultrepasser les bornes de nostre science? Mets le cas, o homme, que tu ayes peu remarquer icy quelques traces de ses effects; penses tu qu'il y ayt employé tout ce qu'il a peu, et qu'il ayt mis toutes ses formes et toutes ses idees en cet ouvrage? Tu ne veois que l'ordre et la police de ce petit caveau où tu es logé; au moins si tu la veois: sa divinité a une iurisdiction infinie au delà; cette piece n'est rien au prix du tout :

Omnia cum cœlo, terraque, marique,

Nil sunt ad summam summaï totius omnem:

c'est une loy municipale que tu allegues, tu ne sçais pas quelle est l'universelle. Attache toy à ce à quoy tu es subiect, mais non pas luy; il n'est pas ton confrere, ou concitoyen, ou compaignon. S'il s'est aulcunement communiqué à toy, ce n'est pas pour se ravaller à ta petitesse, ny pour te donner le contreroole de son pouvoir : le corps humain ne peult voler aux nues; c'est pour toy. Le soleil bransle, sans seiour, sa course ordinaire; les bornes des mers et de la terre ne se peuvent confondre; l'eau est instable et sans fermeté; un mur est, sans froissure, impenetrable à un corps solide; l'homme ne peult conserver sa vie dans les flammes; il ne peult estre et au ciel, et en la terre, et en mille lieux ensemble corporellement : c'est pour toy qu'il a faict ces regles; c'est toy qu'elles attachent: il a tesmoigné aux chrestiens qu'il les a toutes franchies, quand il luy a pleu.

DIOG. LAERCE, II, 117. С.

Le ciel, la terre et la mer, pris ensemble, ne sont rien, en comparaison de l'immensité du grand tout. LUCRÈCE, VI, 679.

auroit il restreinct ses forces à certaine mesure? en faveur de qui auroit il renoncé son privilege? Ta raison n'a, en aulcune aultre chose, plus de verisimilitude et de fondement, qu'en ce qu'elle te persuade la pluralité des mondes; Terramque, et solem, lunam, mare, cetera quæ sunt; Non esse unica, sed numero magis innumerali':

les plus fameux esprits du temps passé l'ont creue, et aulcuns des nostres mesmes, forcez par l'apparence de la raison humaine; d'autant qu'en ce bastiment que nous veoyons, il n'y a rien seul et un,

Quum in summa res nulla sit una,

Unica quæ gignatur, et unica solaque crescat 2;

et que toutes les especes sont multipliees en quelque nombre; par où il semble n'estre pas vraysemblable que Dieu ayt faict ce seul ouvrage sans compaignon, et que la matiere de cette forme ayt esté toute espuisee en ce seul individu;

Quare etiam atque etiam tales fateare necesse est,
Esse alios alibi congressus materiaï,

Qualis hic est, avido complexu quem tenet æther 3 :

notamment, si c'est un animant, comme ses mouvements le rendent si croyable que Platon l'asseure 4, et plusieurs des nostres, ou le confirment, ou ne l'osent infirmer; non plus que cette ancienne opinion, que le ciel, les estoiles et aultres membres du monde, sont creatures composees de corps et ame, mortelles en consideration de leur composition, mais immortelles par la determination du Createur. Or, s'il y a plusieurs mondes, comme Democritus, Epicurus, etpresque toute la philosophie a pensé, que sçavons nous siles principes et les regles de cettuy cy touchent pareillement les aultres? ils ont, à l'adventure, aultre visage et aultre police. Epicurus 5 les imagine, ou semblables ou dissemblables. Nous veoyons en ce monde une infinie difference et varieté, pour la seule distance

Que la terre, le soleil, la lune, la mer, et tous les êtres, ne sont point uniques, mais en nombre infini. LUCRÈCE, II, 1085. 2 Qu'il n'y a point, dans la nature, d'être unique de son espèce, qui naisse et qui croisse isolé. LUCRÈCE, II, 1077.

3 On ne peut donc s'empêcher de convenir qu'il a dû se faire ailleurs d'autres aggrégations de matière, semblables à celle que l'éther embrasse dans son vaste contour. LUCRÈCE, 11, 1064. 4 Dans son Timéc, pag. 527. C' 5 DIOGÈNE LAERCE, X, 83. С.

aulcun de nos animaulx, en ce nouveau coin du monde que nos peres ont descouvert; tout y est divers: et, au temps passé, veoyez en combien de parties du monde on n'avoit cognoissance ny de Bacchus ny de Ceres. Qui en vouldra croire Pline et Herodote 1, il y a des especes d'hommes, en certains endroicts, qui ont fort peu de ressemblance à la nostre; et y a des formes mestisses et ambiguës entre l'humaine nature et la brutale: il y a des contrees où les hommes naissent sans teste, portant les yeulx et la bouche en la poictrine; où ils sont tous androgynes; où ils marchent de quatre pattes; où ils n'ont qu'un œil au front, et la teste plus semblable à celle d'un chien qu'à la nostre; où ils sont moitié poisson par embas, et vivent en l'eau; où les femmes accouchent à cinq ans, et n'en vivent que huict; où ils ont la teste si dure et la peau du front, que le fer n'y peult mordre, et rebouche contre; où les hommes sont sans barbe; des nations sans usage de feu: d'aultres qui rendent le sperme couleur noire; quoy, ceulx qui naturellement se changent en loups, en iuments, et puis encores en hommes? et, s'il est ainsi, comme

dict Plutarque, qu'en quelque endroict des Indes il y ayt des hommes sans bouche, se nourissants de la senteur de certaines odeurs, combien y a il de nos descriptions faulses? II n'est plus risible, ny à l'adventure capable de raison et de societé; l'ordonnance et la cause de nostre bastiment interne seroient, pour la pluspart, hors de propos.

Davantage, combien y a il de choses de nostre cognoissance qui combattent ces belles regles que nous avons taillees et prescriptes à nature? Et nous entreprendrons d'y attacher Dieu mesme! Combien de choses appellons nous miraculeuses et contre nature? cela

se faict par chasque homme et par chasque nation, selon la mesure de son ignorance: combien trouvons nous de proprietez occultes et de quintessences? car aller selon nature, ›

telligence, aultant qu'elle peult suyvre, et autant que nous y veoyons: ce qui est au delà est monstrueux et desordonné. Or, à ce compte, aux plus advisez et aux plus habiles, tout sera doncques monstrueux : car à ceulx là l'humaine raison a persuadé qu'elle n'avoit ny pied ny fondement quelconque, non pas seulement pour asseurer si la neige est blanche, et Anaxagoras la disoit noire 1; s'il y a quelque chose, ou s'il n'y a nulle chose; s'il y a science ou ignorance, ce que Metrodorus Chius 2 nioit l'homme pouvoir dire; ou, si nous vivons, comme Euripides est en doubte, si la vie que nous vivons est vie, ou si c'est ce que nous appellons mort qui soit vie : ›

Τις δ' οἶδεν εἰ ζῆν τοῦθ ̓, ὅ κέκληται θανεῖν,
Τὸ ζῆν δε, θνήσκειν ἔστι;

et non sans apparence: car pourquoy prenons
nous tiltre d'estre, de cet instant qui n'est
qu'une eloise dans le cours infiny d'une nuict
eternelle, et une interruption si briefve de nos-
tre perpetuelle et naturelle condition', la mort
occupant tout le devant et tout le derriere de
ce moment, et encores une bonne partie de ce
moment? D'aultres iurent, Qu'il n'y a point
de mouvement 5, que rien ne bouge, comme
les suyvants de Melissus; car s'il n'y a rien
qu'Un, ny ce mouvement spherique ne luy peult
servir, ny le mouvement de lieu à aultre,
comme Platon preuve d'aultres, Qu'il n'y a
ny generation ny corruption en nature. Pro-
tagoras 6 dict qu'il n'y a rien en nature que
le doubte; que de toutes choses, on peult
egualement disputer; et de cela mesme, si on
peult egualement disputer de toutes choses :
Nausiphanes 7, Que, des choses qui semblent,

CICÉRON, Academ., II, 23 et 31; Epist. ad. Quint. fr., II, 15. On peut consulter, sur cette opinion d'Anaxagore, Sextus Empiricus, Hypotyp. Pyrrhon., 1, 15; Galien, de Simpl. me

dicam.. II, 1; Lactance, Divin. Instit., III. 23, V, 3, etc. Un

Allemand, Voigt, a publié aussi une dissertation Adversus alrien n'est non plus que non est; Qu'il n'y a ❘ raison, la force de la conclusion de cette cy cieté de l'homme à Dieu s'accouple encores | nos yeulx, a faict qu'un grand personnage des

Les exemples suivants sont tirés du troisième et du quatrième livre d'HÉRODOTE, et du sixième, septième et huitième livre de PLINE. Mais la plupart de ces traditions sont révoquées en doute par l'un et l'autre. J. V. L.

2 PLUTARQUE, De la face de la lune; et PLINE, VII, 2. C.

borem nivis. J. V. L.

CIC., Acad., II, 23; SEXT. EMPIRICUS, p. 146. С. 3 PLATON, Gorgias, p. 300; DIOGENE LAERCE, IX, 73; SEXTUS EMPIRICUS, Hypotyp., III, 24. С.

4 C'est-à-dire un éclair. Borel, qui sur ce mot cite Montaigne, le fait venir de elucere. En Languedoc, ajoute-t-il, un liaus veut dire un éclair; et lieussa, faire des éclairs : deux mots qui viennent aussi du latin lucere. C.

5 DIOG. LAERCE, IX. 24. C.

6 DIOG. LAERCE, IX, 51; SÉNÈQUE, Epist. 99. С.

7 SÉNÈQUE, Epist., 88. C.

aultre certain que l'incertitude: Parmenides, Que de ce qu'il semble il n'est aulcune chose en general; qu'il n'est qu'Un: Zenon, qu'Un mesme n'est pas, et qu'il n'y a rien; si Un estoit, il seroit ou en un aultre ou en soy mesme; s'il est en un aultre, ce sont deux; s'il est en soy mesme, ce sont encores deux, le comprenant et le comprins 1. Selon ces dogmes, la nature des choses n'est qu'un'umbre ou faulse ou vaine.

Il m'a tousiours semblé qu'à un homme chrestien cette sorte de parler est pleine d'indiscretion et d'irreverence : « Dieu ne peult mourir; Dieu ne se peult desdire; Dieu ne peult faire cecy ou cela. le ne treuve pas bon d'enfermer ainsi la puissance divine soubs les loix de nostre parole; et l'apparence qui s'offre à nous en ces propositions, il la fauldroit representer plus reveremment et plus religieusement.

Nostre parler a ses foiblesses et ses defaults, comme tout le reste: la plus part des occasions des troubles du monde sont grammairiennes; nos procez ne naissent que du debat de l'interpretation des loix; et la plus part des guerres, de cette impuissance de n'avoir sceu clairement exprimer les conventions et traictez d'accord des princes : combien de querelles et combien importantes a produict au monde le doubte du sens de cette syllabe, Hoc 2? Prenons la clause que la logique mesme nous presentera pour la plus claire: si vous dictes, « Il faict beau temps, › et que vous dissiez 3 verité, il fait doncques beau temps. Voylà pas une forme de parler certaine? encores nous trompera elle: qu'il soit ainsi, suyvons l'exemple: si vous dictes. Iements, et que vous dissiez vray, vous mentez doncques 4. L'art, la

CICÉRON, Academ., II, 37; SÉNÈQUE, Epist. 88. C. Montaigne veut parler ici des controverses des catholiques 3 C'est ainsi que Montaigne a orthographié deux fois de suite

sont pareilles à l'aultre; toutesfois nous voylà embourbez. Ie veois les philosophes pyrrhoniens qui ne peuvent exprimer leur generale conception en aulcune maniere de parler; car il leur fauldroit un nouveau langage : le nostre est tout formé de propositions affirmatifves, qui leur sont du tout ennemies; de façon que, quand ils disent, « Ie doubte, on les tient incontinent à la gorge, pour leur faire avouer qu'au moins asseurent et sçavent ils cela, qu'Ils doubtent. Ainsin on les a contraincts de se sauver dans cette comparaison de la medecine, sans laquelle leur humeur seroit inexplicable : quand ils prononcent « l'ignore, » ou « le doubte, ils disent que cette proposition s'emporte elle mesme, quand et quand le reste, ny plus ny moins que la rhubarbe qui poulse hors les mauvaises humeurs, et s'emporte hors quand et quand elle mesme 1. Cette fantasie est plus seurement conceue par interrogation : QUE SÇAY IE? comme ie la porte à la devise d'une balance.

Voyez comment on se prevault de cette sorte de parler, pleine d'irreverence 2: aux disputes qui sont à present en nostre religion, si vous pressez trop les adversaires, ils vous diront tout destrousseement qu' « Il n'est pas en la puissance de Dieu de faire que son corps soit en paradis et en la terre, et en plusieurs lieux ensemble. Et ce mocqueur ancien 3, comment il en faict son proufit! < Au moins, dict il, est ce une non legiere consolation à l'homme de ce qu'il veoit Dieu ne pouvoir pas toutes choses: car il ne se peult tuer quand il le vouldroit, qui en est la plus grande faveur que nous ayons en nostre condition; il ne peult faire les mortels immortels, ny revivre les trespassez, ny que celuy qui a vescu n'ayt point vescu, celuy qui a eu des honneurs ne les ayt point eus; n'ayant aultre droict sur le passé que de l'oubliance : et afin que cette sopar des exemples plaisants, il ne peult faire que deux fois dix ne soient vingt. Voylà ce qu'il dict, et qu'un chrestien debvroit eviter de passer par sa bouche: là où, au rebours, il semble que les hommes recherchent cette folle fierté de langage, pour ramener Dieu à leur

et les protestants sur la transsubstantiation. A. D.

ce mot dans l'exemplaire corrigé de sa main. Nous écririons
aujourd'hui disiez: mais c'est bien plus la précision et l'éner-
gie, que la correction et la pureté du style, qu'il faut chercher
dans Montaigne. Ce philosophe n'est pas un guide plus sûr en
fait d'orthographe et de ponctuation: aussi dit-il expressément
qu'il ne se mêle ni de l'une ni de l'autre, et qu'il recommande
seulement aux imprimeurs de suivre l'orthografe antiene. N.
4 C'est le sophisme appelé le Menteur, ψευδόμενος. CIC.,
Acad., II. 29; AULU-GELLE, XVIII, 2, etc. J. V. L.

DIOGÈNE LAERCE, IX, 76. С.

Dont il est question plus haut, savoir: Dieu ne peut faire ceci, ou cela. C.

3 Dans la première édition des Essais, publiée en 1580, et dans l'édition in-4o de 1588, chez Abel l'Angelier, Montaigne avoit mis: Et ce mocqueur de Pline, comment il en faict son proufit! Mais il a rayé lui-même de Pline, et a écrit au-dessus, antien. Voyez le passage auquel il fait allusion, PLINE, II, 7. Ν. Que demain l'air soit couvert de nuages épais, ou que le soleil brille dans un ciel pur; les dieux ne peuvent faire que ce qui a été n'ait point été, ni détruire ce que le temps rapide a emporté sur ses ailes. HoR., Od., III, 29, 43.

mesure:

Cras vel atra

Nube polum Pater occupato,
Vel sole puro; non tamen irritum,
Quodcumque retro est, efficiet, neque
Diffinget, infectumque reddet,

Quod fugiens semel hora vexit '.

Quand nous disons Que l'infinité des siecles, tant passez qu'à venir, n'est à Dieu qu'un instant; que sa bonté, sapience, puissance sont mesme chose avecques son essence, nostre parole le dict, mais nostre intelligence ne l'apprehende point. Et toutesfois nostre oultrecuidance veult faire passer la Divinité par nostre estamine; et de là s'engendrent toutes les resveries et les erreurs desquelles le monde se treuve saisi, ramenant et poisant à sa balance chose si esloingnee de son poids 3. Mirum, quo procedat improbitas cordis humani, parvulo aliquo invitata successu 4. Combien insolemment rebrouent Epicurus les stoïciens, sur ce qu'il tient l'Estre veritablement bon et heureux n'appartenir qu'à Dieu, et l'homme sage n'en avoir qu'un umbrage et similitude! combien temerairement ont ils attaché Dieu à la destinee! (à la mienne volonté, qu'aulcuns du surnom de chrestien ne le facent pas encores!) et Thales, Platon et Pythagoras l'ont asservy à la necessité. Cette fierté de vouloir descouvrir Dieu par

nostres 1 a attribué à la Divinité une forme corporelle; et est cause de ce qui nous advient touts les iours d'attribuer à Dieu les evenements d'importance, d'une particuliere assignation: parce qu'ils nous poisent, il semble qu'ils luy poisent aussi, et qu'il y regarde plus entier et plus attentif qu'aux evenements qui nous sont legiers, ou d'une suitte ordinaire; magna dii curant, parva negligunta: escoutez son exemple, il vous esclaircira de sa raison; nec in regnis quidem reges omnia minima curant 3 ; comme si à ce roy là c'estoit plus et moins de remuer un empire, ou la feuille d'un arbre; et si sa providence s'exerceoit aultrement, inclinant l'evenement d'une battaille, que le sault d'une pulce. La main de son gouvernement se preste à toutes choses, de pareille teneur, mesme force et mesme ordre : nostre interest n'y apporte rien; nos mouvements et nos mesures ne le touchent pas: Deus ita artifex magnus in magnis, ut minor non sit in parvis 4. Nostre arrogance nous remet tousiours en avant cette blasphemeuse appariation. Parce que nos occupations nous chargent, Straton a estrené les dieux de toute immunité d'offices, comme sont leurs presbtres; il faict produire et maintenir toutes choses à nature; et de ses poids et mouvements construit les parties du monde, deschargeant l'humaine nature de la crainte des iugements divins; quod beatum æternumque sit, id nec habere negotii quidquam, nec exhibere alteri 5. Nature veult qu'en choses pareilles il y ayt relation pareille : le nombre doncques infiny des mortels conclud un pareil nombre d'immortels; les choses infinies qui tuent et ruynent en presupposent autant qui conservent et proufitent. Comme les ames des dieux, sans langue, sans yeulx, sans aureilles, sentent entre elles chascune ce que l'aultre sent, et iu

Ne le comprend point. Du mot latin apprehendere, prendre, saisir, on a fait appréhender, pour dire, comprendre, saisir une idée, une pensée; et, du temps de Montaigne, le mot appréhender n'étoit employé que dans ce sens-là. Appréhender, pour dire craindre, étoit absolument inconnu. C.

3 Montaigne, dans tout ce passage, contredit l'auteur qu'il a traduit et qu'il défend. « L'homme, dit Sebond, est, par sa nature, en tant qu'il est homme, la vraye et vive image de Dieu. Tout ainsi que le cachet engrave sa figure dans la cire, ainsi Dieu empreint en l'homme sa semblance, etc. » Théologie naturelle, c. 121, traduction de Montaigne. J. V. L.

4 11 est étonnant jusqu'où se porte l'arrogance du cœur de Thomine, lorsqu'elle est encouragée par le moindre succès. PLINE, Nat. Hist., II, 23.

C'est Tertullien, dans ce passage si souvent cité : Quis negat Deum esse corpus, et si Deus spiritus sit? N.

Les dieux prennent soin des grandes choses, et négligent les petites. Cic., de Nat. deor., II, 66.

3 Les rois mêmes n'entrent pas dans les petits détails de l'administration. CIC., ibid., III, 35.

4 Dieu, qui est si parfait ouvrier dans les grandes choses, ne l'est pas moins dans les petites. S. AUGUSTIN, de Civit. Dei, XI. 22.

5 Un être heureux et éternel n'a point de peine, et n'en fait à personne. Cic., de Nat. deor,,, I, 17.

« PreviousContinue »