pies aussi et iniurieuses, sont celles que l'homme a forgé de son invention; et de toutes les religions que sainct Paul trouva en credit à Athenes, celle qu'ils avoient dediee à une «Divinité cachee et incogneue, › luy sembla la plus excusable 1. Pythagoras adumbra la verité de plus prez, iugeant que la cognoissance de cette Cause premiere et Estre des estres debvoit estre indefinie, sans prescription, sans declaration; que ce n'estoit aultre chose que l'extreme effort de nostre imagination vers la perfection, chascun en amplifiant l'idee selon sa capacité. Mais si Numa entreprint de conformer à ce proiect la devotion de son peuple, l'attacher à une religion purement mentale, sans obiect prefix et sans meslange materiel, il entreprint chose de nul usage: l'esprit humain ne se sçauroit maintenir, vaguant en cet infini de pensees informes; il les luy fault compiler en certaine image à son modele. La maiesté divine s'est ainsi, pour nous, aulcunement laissé circonscrire aux limites corporelles : ses sacrements supernaturels et celestes ont des signes de nostre terrestre condition; son adoration s'exprime par offices et paroles sensibles: car c'est l'homme qui croit et qui prie. Ie laisse à part les aultres arguments qui s'employent à ce subiect: mais à peine me feroit on accroire que la veue de nos crucifix et peincture de ce piteux supplice, que les ornements et mouvements cerimonieux de nos eglises, que les voix accommodees à la devotion de nostre pensee, et cette esmotion des sens, n'eschauffent l'ame des peuples d'une passion religieuse de tresutile effect. De celles ausquelles on a donné corps, comme la necessité l'a requis parmy cette cecité universelle, ie me feusse, ce me semble, plus volontiers attaché à ceulx qui adoroient le soleil, La lumière commune, L'œil du monde; et si Dieu au chef porte des yeulx, Actes des Apôtres, XVII, 23. Des divinités. Dans l'édition in-4o de 1588, cette phrase suit immédiatement celle où il est parlé de la divinité incogneue adorée à Athènes. A. D. Ce beau, ce grand soleil qui nous faict les saisons, Fils aisné de nature, et le pere du iour : d'autant qu'oultre cette sienne grandeur et beauté, c'est la piece de cette machine que nous descouvrons la plus esloingnee de nous, et par ce moyen si peu cogneue, qu'ils estoient pardonnables d'en entrer en admiration et re verence. Thales1, qui le premier s'enquit de telle matiere, estima dieu un esprit qui feit d'eau toutes choses: Anaximander, que les dieux estoient mourants et naissants à diverses saisons, et que c'estoient des mondes infinis en nombre: Anaximenes, que l'air estoit dieu, qu'il estoit produict et immense, tousiours mouvant. Anaxagoras, le premier, a tenu la description et maniere de toutes choses estre conduicte par la force et raison d'un esprit infini. Alcmaeon a donné la divinité au soleil, à la lune, aux astres, et à l'ame. Pythagoras a faict dieu un esprit espandu par la nature de toutes choses, d'où nos ames sont desprinses : Parmenides, un cercle entourant le ciel, et maintenant le monde par l'ardeur de la lumiere. Empedocles disoit estre des dieux, les quatre natures, desquelles toutes choses sont faictes: Protagoras, n'avoir rien que dire s'ils sont ou non, ou quels ils sont: Democritus, tantost que les images et leurs circuitions sont dieux; tantost cette na ture qui eslance ces images; et puis, nostre science et intelligence. Platon dissipe sa creance à divers visages: il dict, au Timee, le pere du monde ne se pouvoir nommer; aux Loix, qu'il ne se fault enquerir de son estre; et ailleurs, en ces mêmes livres, il faict le monde, le ciel, les astres, la terre, et nos ames, dieux; et receoit, en oultre, ceulx qui ont esté receus par l'ancienne institution, en chasque republique. Xenophon rapporte un pareil trouble de la dis Cette analyse de la théologie payenne est extraite surtout de CICÉRON, de Nat. deor., I, 10, 11, 12, etc. Il est inutile de multiplier les renvois. J. V. L. cipline de Socrates; tantost qu'il ne se fault enquerir de la forme de dieu; et puis il luy faict establir que le soleil est dieu, et l'ame, dieu; qu'il n'y en a qu'un; et puis, qu'il y en a plusieurs. Speusippus, nepveu de Platon, faict dieu certaine force gouvernant les choses, et qu'elle est animale: Aristote, asture que c'est l'esprit, asture le monde; asture il donne un aultre maistre à ce monde, et asture faict dieu l'ardeur du ciel. Xenocrates en faict huict; les cinq nommez entre les planetes; le sixiesme, composé de toutes les estoiles fixes, comme de ses membres; le septiesme et huictiesme, le soleil et la lune. Heraclides Ponticus ne faict que vaguer entre ses advis, et enfin prive dieu de sentiment, et le faict remuant de forme à aultre; et puis dict que c'est le ciel et la terre. Theophraste se promene, de pareille irresolution, entre toutes ses fantasies; attribuant l'in tendance du monde, tantost à l'entendement, tantost au ciel, tantost aux estoiles: Strato, que c'est nature ayant la force d'engendrer, aug menter, et diminuer, sans forme et sentiment : Zeno, la loy naturelle, commandant le bien et prohibant le mal, laquelle loy est un animant; et oste les dieux accoustumez, Iupiter, Iuno, Vesta: Diogenes apolloniates, que c'est l'aage1. Xenophanes faict dieu rond, voyant, oyant, non respirant, n'ayant rien de commun avecques l'humaine nature. Ariston estime la forme de dieu incomprenable, le prive de sens, et ignore s'il est aimant ou aultre chose : Cleanthes, tantost la raison, tantost le monde, tan tost l'ame de nature, tantost la chaleur supreme entourant et enveloppant tout. Perseus, auditeur de Zeno, a tenu qu'on a surnommé dieux ceulx qui avoient apporté quelque notable utilité à l'humaine vie, et les choses mesmes proufitables. Chrysippus faisoit un amas confus de toutes les precedentes sentences, et compte entre mille formes de dieux qu'il faict, leshom mes aussi qui sont immortalisez. Diagoras et Ego deum genus esse semper dixi, et dicam cælitum : Fiez vous à vostre philosophie; vantez vous d'avoir trouvé la febve au gasteau, à veoir ce tintamarre de tant de cervelles philosophiques! Le trouble des formes mondaines a gaigné sur moy, que les diverses mœurs et fantasies aux miennes ne me desplaisent pas tant, comme elles m'instruisent; ne m'enorgueillissent pas tant, comme elles m'humilient en les conferant: et tout aultre chois, que celui qui vient de la main expresse de Dieu, me semble chois de peu de prerogative. Les polices du monde ne sont pas moins contraires en ce subiect, que les escholes : par où nous pouvons apprendre que la fortune mesme n'est pas plus diverse et variable que nostre raison, ny plus aveugle et inconsideree. Les choses les plus ignorees sont plus propres à estre deïfiees: parquoy, de faire de nous des dieux, comme l'ancienneté, cela surpasse l'extreme foiblesse de discours. I'eusse encores plustost suyvi ceulx qui adoroient le serpent, le chien et le bœuf; d'autant que leur nature et leur estre nous est moins cogneu, et avons plus de loy d'imaginer ce qu'il nous plaist de ces bestes là, et leur attribuer des fa cultez extraordinaires : mais d'avoir faict des dieux de nostre condition, de laquelle nous debvons cognoistre l'imperfection, leur avoir attribué le desir, la cholere, les vengeances, les mariages, les generations et les parenteles, l'amour et la ialousie, nos membres et nos os, nos fiebvres et nos plaisirs, nos morts, nos sepultures, il fault que cela soit party d'une mer On a essayé en vain de défendre ce texte. Celui de CICÉRON, veilleuse yvresse de l'entendement humain ; de Nat. deor., 1, 12: « Aër, quo Diogenes Apolloniates utitur deo, prouve incontestablement qu'il faut ici l'air, au lieu de l'aage; et Coste n'avoit pas même besoin de citer encore à l'appui de cette opinion saint Augustin, de Civ. Dei, VIII, 2; et Bayle, à l'article Diogène d'Apollonie. Montaigne lui-même dit plus bas dans ce chapitre : « O l'infinité de nature d'Anaximander, ou l'air de Diogenes, ou les nombres et symmetries de Pythagoras, etc. J. V. L. ■ Perlucidos et perflabiles. CIC., de Divinat., II, 17. С. 2 Il est des dieux, des dieux sans amour, sans courroux, Dont les regards jamais ne s'abaissent sur nous. J'ai traduit ainsi les deux vers d'Ennius, rapportés par CICRRON, de Divinat., II, 50. J. V. L. Quæ procul usque adeo divino ab numine distant, Formæ, ætates, vestitus, ornatus noti sunt; genera, coniugia, cognationes, omniaque traducta ad similitudinem imbecillitatis humanæ : nam et perturbatis animis inducuntur; accipimus enim deorum cupiditates, ægritudines, iracundias 2; comme d'avoir attribué la divinité non seulement à la foy, à la vertu, à l'honneur, concorde, liberté, victoire, pieté, mais aussi à la volupté, fraude, mort, envie, vieillesse, misere, à la peur, à la fiebvre et à la male fortune, et aultres iniures de nostre vie fraisle et caducque: Quid iuvat hoc, templis nostros inducere mores? O curvæ in terris animæ, et cœlestium inanes 3! Les Ægyptiens, d'une impudente prudence, deffendoient, sur peine de la hart, que nul eust à dire que Serapis et Isis, leurs dieux, eussent aultresfois esté hommes; et nul n'ignoroit qu'ils ne l'eussent esté : et leur effigie, representee le doigt sur la bouche, signifioit, dict Varro, cette ordonnance mysterieuse, à leurs presbtres, de taire leur origine mortelle, comme, par raison necessaire, annullant toute leur veneration. Puisque l'homme desiroit tant de s'apparier à Dieu, il eust mieulx faict, dict Ciceros, de ramener à soy les conditions divines et les attirer çà bas, que d'envoyer là hault sa corruption et sa misere: mais, à le bien prendre, il a faict, en plusieurs façons, et l'un et l'aultre, de pareille vanité d'opinion. Quand les philosophes espeluchent la hierarchie de leurs dieux, et font les empressez à distinguer leurs alliances, leurs charges et leur puissance, ie ne puis pas croire qu'ils parlent à certes. Quand Platon nous deschiffre le vergier de Pluton, et les commoditez ou peines corporelles qui nous attendent encores aprez la ruyne et aneantissement de nos corps, et les Toutes choses qui sont indignes des dieux, et qui n'ont rien de commun avec leur nature. LUCRÈCE, V, 125. • On connoît les différentes figures de ces dieux, leur âge, leurs habillements, leurs ornements, leurs généalogies, leurs mariages, leurs alliances; et on les représente, à tous égards, sur le modèle de l'infirmité humaine, sujets aux mêmes passions, amoureux, chagrins, colères. Cic., de Nat. deor., II, 28. 3 Pourquoi consacrer dans les temples la corruption de nos mœurs? O ames attachées à la terre, et vides de célestes pensées! PERSE, Sat., II, 62 et 61. 4 Cité par S. AUGUSTIN, de Cirit. Dei, XVIII, 5. С. 5 Tusc. quæst., I, 26. C. accommode au ressentiment que nous avons en cette vie : Secreti celant calles, et myrtea circum Silva tegit; curæ non ipsa in morte relinquunt'; quand Mahumet promet aux siens un paradis tapissé, paré d'or et de pierreries, peuplé de garses d'excellente beauté, de vins et de vivres singuliers: je veois bien que ce sont des mocqueurs qui se plient à nostre bestise, pour nous emmieller et attirer par ces opinions et esperances, convenables à nostre mortel appetit. Si sont aulcuns des nostres tumbez en pareil erreur, se promettants, aprez la resurrection, une vie terrestre et temporelle, accompaignee de toutes sortes de plaisirs et commoditez mondaines. Croyons nous que Platon, luy qui a eu ses conceptions si celestes, et si grande accointance à la divinité, que le surnom luy en est demeuré, ayt estimé que l'homme, cette pauvre creature, eust rien en luy d'applicable à cette incomprehensible puissance? et qu'il ayt cru que nos prinses languissantes feussent capables, ny la force de nostre sens assez robuste pour participer à la beatitude, ou peine eternelle? Il fauldroit luy dire, de la part de la raison humaine: Si les plaisirs que tu nous promets en l'aultre vie sont de ceux que i'ay sentis çà bas, cela n'a rien de commun avecques l'infinité: Quand touts mes cinq sens de nature seroient combles de liesse', et cette ame saisie de tout le contentement qu'elle peult desirer et esperer, nous sçavons ce qu'elle peult; cela, ce ne seroit encores rien : S'il y a quelque chose du mien, il n'y a rien de divin : Si cela n'est aultre que ce qui peult appartenir à cette nostre condition presente, il ne peult estre mis en compte; tout contentement des mortels est mortel : la recognoissance de nos parents, de nos enfants et de nos amis, si elle nous peult toucher et chatouiller en l'aultre monde, si nous tenons encores à un tel plaisir, nous sommes dans les commoditez terrestres et finies: Nous ne pouvons dignement concevoir la grandeur de ces haultes et divines promesses, si nous les pouvons aulcunement concevoir; Ils se cachent dans un bois de myrtes, coupé de sentiers so litaires; la mort même ne les a pas délivrés de leurs soucis. VIRG., Encid., VI, 443. pour dignement les imaginer, il les fault imaginer inimaginables, indicibles et incomprehensibles, et parfaictement aultres que celles de nostre miserable experience. OŒil ne sçauroit veoir, dit sainct Paul1, et ne peult monter en cœur d'homme, l'heur que Dieu prepare aux siens. Et si, pour nous en rendre capables, on reforme et rechange nostre estre (comme tu dis, Platon, par tes purifications), ce doibt estre d'un si extreme changement et si universel, que, par la doctrine physique, ce ne sera plus nous; Hector erat tunc quum bello certabat; at ille ce sera quelque aultre chose qui recevra ce recompenses : Quod mutatur... dissolvitur; interit ergo : Car, en la metempsychose de Pythagoras, et changement d'habitation qu'il imaginoit aux ames, pensons nous que le lion, dans lequel est l'ame de Cesar, espouse les passions qui touchoient Cesar, ny que ce soit luy? si c'estoit encores luy, ceux là auroient raison, qui, combattants cett' opinion contre Platon, lui reprochent que le fils se pourroit trouver à chevaucher sa mere revestue d'un corps de mule; et semblables absurditez. Et pensons nous qu'ez mutations qui se font des corps des animaulx en aultres de mesme espece, les nouveaux ve nus ne soyent aultres que leurs predecesseurs? Des cendres d'un phœnix s'engendre, dict on4, un ver, et puis un aultre phoenix; ce second phœnix, qui peult imaginer qu'il ne soit aultre que le premier? Les vers qui font nostre soye, on les veoid comme mourir et asseicher, et de ce mesme corps se produire un papillon, et de là un aultre ver, qu'il seroit ridicule estimer estre encores le premier; ce qui a cessé une fois d'estre, n'est plus : Atque iterum nobis fuerint data lumina vitæ, Et quand tu dis ailleurs, Platon, que ce sera la partie spirituelle de l'homme à qui il touchera de iouïr des recompenses de l'aultre vie, tu nous dis chose d'aussi peu d'apparence : Scilicet, avolsus radicibus, ut nequit ullam car, à ce compte, ce ne sera plus l'homme, ny nous, par consequent, à qui touchera cette iouïssance; car nous sommes bastis de deux pieces principales essentielles, desquelles la separation c'est la mort et ruyne de nostre estre : Inter enim iecta est vitaï pansa, vageque nous ne disons pas que l'homme souffre quand les vers luy rongent ses membres de quoy il vivoit, et que la terre les consomme : Et nihil hoc ad nos, qui coitu coniugioque Davantage, sur quel fondement de leur iustice peuvent les dieux recognoistre et recompenser à l'homme, aprez sa mort, ses actions bonnes et vertueuses, puisque ce sont eulx mesmes qui les ont acheminees et produictes en luy? Et pourquoy s'offensent ils et vengent sur luy les vicieuses, puisqu'ils l'ont eulx mesmes produict en cette condition faultiere, et que d'un seul clin de leur volonté ils le peuvent empescher de faillir? Epicurus opposeroit il pas cela à Platon, avecques grand' apparence de l'humaine raison, s'il ne se couvroit souvent par cette sentence, « Qu'il est impossible d'es tablir quelque chose de certain de l'immortelle Nec, si materiam nostram collegerit ætas Corinth., 1, 2, 9, d'après ISAÏE, LXIV, 4, J. V. L. * C'étoit Hector qui combattoit les armes à la main; mais le corps qui fut traîné par les chevaux d'Achille, ce n'étoit plus Hector. OVID., Trist., III, 11, 27. 3 Ce qui est changé, se dissout; donc il périt: en effet, les corps sont séparés par d'autres corps, et l'organisation est détruite. LUCRÈCE, III, 756. 4 PLINE, Nat. Hist., X, 2. С. nature, par la mortelle? » Elle ne faict que fourvoyer partout, mais specialement quand elle se mesle des choses divines. Qui le sent plus evidemment que nous? car encores que Et si le temps rassembloit la matière de notre corps après qu'il a été dissous, de sorte qu'il remit cette matière dans la situation où elle est à présent, et qu'il nous rendit à la vie, tout cela ne seroit rien à notre égard, dès que le cours de notre existence a été une fois interrompu. LucCRÈCE, III, 859. 2 De même l'œil arraché de son orbite, et séparé du corps, ne peut voir aucun objet. LUCRÈCE, III, 562. 3 En effet, dès que le cours de la vie est interrompu, le mouvement abandonne tous les sens, et se dissipe. LUCRÈCE, III, 872. 4. Cela ne nous touche pas, puisque nous sommes un tout formé du mariage du corps et de l'ame. LUCRÈCE, 111, 837. nous luy ayons donné des principes certains et l'ocean indique, iecta en mer, en faveur de infaillibles, encores que nous esclairions ses pas Thetis, plusieurs grands vases d'or; remplispar la saincte lampe de la Verité, qu'il a pleu sant en oultre ses autels d'une boucherie, non à Dieu nous communiquer, nous veoyons pour- de bestes innocentes seulement, mais d'homtant iournellement, pour peu qu'elle se des- mes aussi; ainsi que plusieurs nations, et entre mente du sentier ordinaire, et qu'elle se des- aultres la nostre, avoient en usage ordinaire ; tourne ou escarte de la voye trassee et battue et crois qu'il n'en est aulcune exempte d'en par l'Eglise, comme tout aussitost elle se perd, s'embarrasse et s'entrave, tournoyant et flottant dans cette mer vaste, trouble et ondoyante, des opinions humaines, sans bride et sans but : aussitost qu'elle perd ce grand et commun chemin, elle se va divisant et dissipant en mille routes diverses. L'homme ne peult estre que ce qu'il est, ny imaginer que selon sa portee. C'est plus grande presumption, dict Plutarque 1, à ceulx qui ne sont qu'hommes, d'entreprendre de parler et discourir des dieux et des demy dieux, que ce n'est à un homme ignorant de musique vouloir iuger de ceulx qui chantent, ou à un homme qui ne feut iamais au camp, vouloir disputer des armes et de la guerre, en presumant comprendre, par quelque legiere coniecture, les effects d'un art qui est hors de sa cognoissance. L'ancienneté pensa, ce crois ie, faire quelque chose pour la grandeur divine, de l'apparier à l'homme, la vestir de ses facultez, et estrener de ses belles humeurs et plus honteuses necessitez, luy offrant de nos viandes à manger, de nos danses, mommeries et farces à la resiouïr, de nos vestements à se couvrir, et maisons à loger, la caressant par l'odeur des encens et sons de la musique, festons et bouquets, et, pour l'accommoder à nos vicieuses passions, flattant sa iustice d'une inhumaine vengeance, l'esiouïssant de la ruyne et dissipation des choses par elle creees et conservees: comme Tiberius Sempronius, qui feit brusler, pour sacrifice à Vulcan, les riches despouilles et armes qu'il avoit gaigné sur les ennemis en la Sardaigne; et Paul Emyle 3, celles de Macedoine, à Mars et à Minerve; et Alexandre 4, arrivé à avoir faict essay : Sulmone creatos Quatuor hic iuvenes, totidem, quos educat Ufens, Les Getes se tiennent immortels; et leur mou- devenue vieille, feit, pour une fois, ensepvelir touts vifs quatorze iouvenceaux des meilleures maisons de Perse, suyvant la religion du païs, pour gratifier à quelque dieu soubterrain. Encores auiourd'hui les idoles de Themixtitan se cimentent du sang des petits enfants; et n'aiment sacrifice que de ces pueriles et pures ames: iustice affamee du sang de l'innocence! 'Dans le traité, Pourquoi la justice divine diffère quelquefois la punition des maléfices, c. 4 de la version d'Amyot. C. TITE LIVE, XII, 16. 4 ARRIEN, VI, 19; et DIODORE DE SICILE, XVII, 104, sont les 2 HERODOTE, IV, 94. J. V. L. 3 PLUTARQUE, de la Superstition, c. 13; et HÉRODOTE, VII, 114. Amestris étoit femme de Xerxès. C. 4 Tant la superstition a pu conseiller de crimes! LUCRÈCE, I, 102. 5 PLUTARQUE, de la Superstition, c. 13. C. |