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ensorte que la flatterie sembloit s'y envelopper d'épines, tandis que la malice y perçoit sous des figures douces. Entre autres traits, celui-ci peint bien sa manière, elle veut dire à Madame de Grignan, qu'elle aspire à devenir son amie : « Je souhaite >> trop (lui écrit-elle) vos reproches pour les mériter. »

Aussi l'Abbé Gobelin, son Directeur, disoit-il naïvement : Chacun des péchés de cette Dame est une épigramme. Dans la joie de la voir convalescente d'une grande maladie, Madame de Sévigné ajoute: Les épigrammes commencent à poindre. Cependant par ce mot, il ne faut pas entendre seulement des sarcasmes; il se disoit alors de toute saillie, d'un trait piquant, d'une idée fine, encore aignisée par le tour de phrase ou par la nouveauté des fermes. Tels étoient ces bous mots, que l'Abbé Têtu alloit colportant dans tous les cercles, et que l'époux même de Madame de Coulanges répétoit (dit-on)jusqu'à les faire trouver moins bons.

Comme elle n'étoit pas seulement spirituelle, et qu'elle méritoit aussi le nom de jolie femme, elle ne manqua point d'adorateurs. Parmi ceux qui s'empressèrent autour d'elle, on distinguoit le bizarre et distrait Brancas, cet Abbé Têtu, dont on vient de parler, tourmenté de toutes les sortes de prétentions et d'une activité d'esprit plus remuante qu'efficace, le tendre et galant La Fare, et sur-tout un Officier-général trèsestimé, son parent, le Marquis de la Trousse, dont la liaison avec Madame de Coulanges ne fut pas exempte de troubles et d'orages. En tout, il paroît qu'avec son caractère décidé, des manières vives et un peu volages, des railleries quelquefois acérées, ses meilleurs amis ne sortoient pas toujours contens d'auprès d'elle, et qu'à cet égard elle traitoit son époux tout-à

fait en ami.

Madame de Coulanges eut plus d'un point de ressemblance avec Madame de Sévigné; mais sur-tout celui-ci, que l'âge ne fit que renforcer sa raison et améliorer son cœur. Lå Cour et ses vanités furent de plus en plus appréciées par elle. Elle suivit un moment cette mode de dévotion, qui étoit l'air de la Cour qu'elle fréquentoit encore; mais elle se garda de l'affectation générale. Son commerce avec Madame de Maintenon cessa: son amitié pour Ninon fut plus durable. Des Lettres de 'T'une et de l'autre, des années 1696 et 1698, montrent qu'elles se voyoient très-souvent. L'ingratitude de ses amis de Cour, la médiocrité de sa fortune, la perte de sa beauté, une santé foible, des souffrances habituelles, ne la rendirent ni triste ni méchante. Nous avons sa correspondance avec Madame de Grignan, jusqu'à l'année 1704. Il y règne une gaîté simple, douce et moins assaisonnée de malice, que celle de sa plus brillante saison. Plus elle se séparoit du monde, moins elle lui en vouloit. L'indulgence dans la vieillesse est le vrai caractère des bons esprits et des belles âmes.

SUITE DE LA NOTICE.

Monsieur DE BUSSY-RABUTIN.

ROGER DE RABUTIN, Comte de Bussy, connu par ses Mémoires et par ses Lettres, sur-tout par son Histoire amoureuse des Gaules, étoit né en 1622, et avoit quatre ans plus que sa Cousine. Ses premières années n'offrent que des incidens très-ordinaires, du jeu, des dettes, des plaisirs peu choisis, des amours peu sérietises, des duels fréquens, rien de meilleur ni de pire que ce que pratiquoit tout jeune homme de sa condition et de son tems. Destiné aux armes, il avoit paru dans les camps dès l'âge de douze ans. Son père qui, à dixhuit, l'avoit envoyé à la Cour, en lui cédant le régiment dont il étoit propriétaire, lui laissa peu de tems après, par sa mort, la Lieutenance de Roi du Nivernois. Enfin à vingt-un ans, il étoit déjà marié avec une Demoiselle de Toulongeon sa Cousine. Cet avancement rapide, ce prompt établissement et cette précoce indépendance, étoient très-propres à augmenter sa vanité naturelle.

Quelque tems avant la mort de son père, une Lettre-decachet l'avoit tenu pendant cinq mois à la Bastille. Le mauvaís état de son régiment ne fut, à l'en croire, que le prétexte d'une punition, dont la haine de Desnoyers contre son père étoit le vrai motif. On entrevoit pourtant que dès-lors le Cardinal de Richelieu avoit assez mauvaise opinion du jeune Bussy. Il connut dans la Bastille le vieux Maréchal de Bassompierre; il prit de lui, dès ce tems, l'idée d'écrire des Mémoires : peut-être en prit-il aussi le goût de ces airs caustiques et fanfarons qu'il se donna trop souvent, au préjudice de sa fortune et de sa renommée.

Jusqu'à la paix des Pyrénées, la vie de Bussy fut celle d'un homme de guerre ; mais de bonne heure il sut remplir, par le commerce des Muses, les intervalles oiseux de la profession militaire. Dans une lettre en prose et en vers adressée à Madame de Sévigné, il décrit la campagne de 1646, et sur-tout l'affaire de Mardick, où il avoit, pour la première fois, tiré

,

l'épée devant le Grand - Condé. Il y mêle ainsi ses propres louanges à celle du héros :

Ce fut dans cette occasion
Qu'il fit lui-même une action
Digne d'éternelle mémoire,
Et que m'ayant d'honneur comblé
Il se déchargea de la gloire
Dont il se trouvoit accablé.

Heureux tant qu'il fit son plaisir de ce talent agréable ; mais il voulut s'en faire une arme, et il s'en blessa lui-même.

Les troubles de la Régence éclatèrent. Attaché au jeune vainqueur de Rocroi, comme guerrier, comme Bourguignon, et pour les bienfaits qu'il en avoit reçus, Bussy n'avoit garde de prendre parti dans la Fronde; au contraire, il servit trèsactivement dans cette foible armée, avec laquelle, en 1649, Condé sut réduire une grande Capitale. Nul doute qu'ensuite il ne jouat aussi son rôle dans cette faction de jeunes gens, qui, après avoir défendu la Cour, voulut la dominer, et qu'on appela les Petits-maîtres. Enfin, quand les Princes furent arrêtés, il fit la guerre au Roi dans le Berry, jusqu'à leur entière délivrance. Mais le Grand-Condé, libre, ayant recommencé cette guerre, Bussy ne différa de l'abandonner qu'autant qu'il le falloit pour faire valoir à la Cour cette défection. II y gagna en effet le grade de Maréchal de Camp, le commandement dans le Nivernois, et depuis la charge de Mestre de Camp Général de la cavalerie; mais il y perdit l'amitié d'un héros.

Ce fut le malheur de Bussy, et la postérité lui en fait un tort, de s'être brouillé avec les deux plus grands Capitaines du siècle. Turenne, sous lequel il servoit, eut lieu d'être offensé de l'arrogance avec laquelle il prétendit faire valoir les attributions de sa charge, qui le mettoit à la tête de la Cavalerie. Aussi, quelque tems après, s'étant fait battre, par une manœuvre mal entendue, le bon Maréchal parut s'amuser du mauvais succès de sa jactance. Bussy crut se venger par un couplet plus plat que méchant. Turenne, tout simple qu'il étoit, avoit aussi l'épigramme en main. Il usa de représailles, en disant au Roi que M. de Bussy étoit le meilleur Officier, pour les chansons, qu'il eût dans ses troupes.

Présomptueux, irascible et malin, Bussy qui s'étoit fait à l'armée beaucoup d'ennemis, en grossit le nombre à la Cour. Après avoir courtisé le Surintendant Fouquet, il entra dans une cabale contre lui. La princesse Palatine eut sans doute à s'en plaindre, puisqu'elle le desservit aussi. Le Cardinal Mazarin lui-même en étoit mécontent. Nul doute qu'un homme qui ménageoit peu les grands pesonnages, n'eût aliéné beaucoup d'inférieurs. Ces ressentimens commencèrent à éclater vers 1659, à l'occasion d'une partie de plaisir de quelques gens de Cour, dont étoit Bussy. La voix publique en exagéra le scandale; il eut beau la démentir par le récit qu'il publia de cette aventure, la Cour s'en prévalut pour l'exiler.

La partie de son Histoire amoureuse, où il place Madame de Sévigné, date de cette même année. Revenu à la Cour, il continua ses Chroniques galantes Il faut avouer qu'alors cette Cour ne manquoit pas de beautés peu scrupuleuses. En même tems que les Précieuses spiritualisoient l'amour au Marais et à la Place-Royale, on le pratiquoit fort sensuellement au Louvre et aux Tuileries. Si les Romans de Mademoiselle de Scudéry représentoient les conversations des ruelles les plus célèbres, les historiettes de Bussy peignoient au naturel des intrigues et des scènes bien différentes. Quoiqu'on ait remarqué qu'il prête à l'une de ses héroïnes une Lettre traduite de Pétrone, il n'en faut pas conclure qu'il eût inventé ce qu'il racontoit. Mieux on connoît les personnages et les anecdotes de ce tems, plus on se persuade que, pour être revêtu d'un style romanesque, le fonds n'en est pas moins historique, et que Bussy fût coupable de médisances plutôt que de calomnies.

Un Conteur satyrique et suffisant ne se passe guère de confidens. Bussy lut ses Histoires à quiconque parut faire cas de son esprit. Il en confia même le manuscrit à une femme qui le fit copier; il circula: on l'imprima en Hollande. Soit qu'on l'eût altéré, comme il le prétend, soit qu'il fût tel que nous l'avons, de toutes parts on se récria contre lui; on demanda même sa punition au Roi. On ne l'obtint pas: sa disgrace eut une autre cause. Dans sa jeunesse, Louis laissoit le champ assez libre à la satire, pourvu que son nom fût épargné. Mais Bussy s'avisa de faire, sur les amours du Roi avec Mademoiselle de la Vallière, ce couplet :

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