vita est quasi mortis imago. Vous entendez cela, et vous savez le latin, sans doute ? M. JOURDAIN. Oui; mais faites comme si je ne le savais pas : expliquez-moi ce que cela veut dire. LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Cela veut dire que, sans la science, la vie est presque une image de la mort. M. JOURDAIN. Ce latin-là a raison. LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. N'avez-vous point quelques principes, quelques commencemens des sciences? M. JOURDAIN. Oh! oui. Je sais lire et écrire. LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Par où vous plaît-il que nous commencions? Voulez-vous que je vous apprenne la logique ? M. JOURDAIN. Qu'est-ce que c'est que cette logique ? LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. C'est elle qui enseigne les trois opérations de l'esprit. M. JOURDAIN. Qui sont-elles ces trois opérations de l'esprit ? LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. La première, la seconde, et la troisième. La première est de bien concevoir, par le moyen des univer. saux; la seconde, de bien juger, par le moyen des catégories; et la troisième de bien tirer une conséquence, par le moyen des figures, Barbara, celarent, Darii, ferio, baralipton, etc. M. JOURDAIN. Voilà des mo.s qui sont trop rébarbatifs. Cette logique-là ne me revient point. Apprenons autre chose qui soit plus joli. LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Voulez-vous apprendre la morale? M. JOURDAIN. La morale! LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Oui. M. JOURDAIN. Qu'est-ce qu'elle dit, cette morale ? LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Elle traite de la félicité, enseigne aux hommes a modérer leurs passions, et... M. JOURDAIN. Non, laissons cela: je suis bilieux comme tous les diables, et il n'y a morale qui tienne; je me veux mettre en colère tout mon soûl, quand il m'en prend envie. LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Est-ce la physique que vous voulez apprendre? M. JOURDAIN. Qu'est-ce qu'elle chante, cette physique? La physique est celle qui explique les principes des choses naturelles, et les propriétés du corps; qui discourt de la nature des élémens, des métaux, des minéraux, des pierres, des plantes et des animaux, et nous enseigne les causes de tous les météores, l'arc-en-ciel les feux volans, les comètes, les éclairs, le tonnerre, la foudre, la pluie, la neige, la grêle, les vents et les tourbillons. M. JOURDAIN. Il y a trop de tintamarre là-dedans, trop de brouillamini. LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Que voulez-vous donc que je vous apprenne? M. JOURDAIN. Apprenez-moi l'orthographe. LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Très-volontiers. M. JOURDAIN. Après, vous m'apprendrez l'almanach, pour savoir quand il y a de la lune, et quand il n'y en a point. LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Soit. Pour bien suivre votre pensée, et traiter cette matière en philosophe, il faut commencer, selon l'cıdre des choses, par une exacte connaissance de la nature des lettres, et de la différente manière de les prononcer toutes. Et là-dessus j'ai à vous dire que les lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles, parce qu'elles expriment les voix; et en consonnes, ainsi appelées consonnes, parce qu'elles sonnent avec les voyelies, et ne font que marquer les diverses articulations des voix. Il y a cinq voyelles ou voix : A, E, I, O, U. J'entends tout cela. M. JOURDAIN. LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. La voix A se forme en ouvrant fort la bouche: A. A, A. Oui. M. JOURDAIN. LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. La voix E se forme en rapprochant la mâchoire d'en-bas de celle d'en-haut: A, E. M. JOURDAIN. A, E; A, E. Ma foi, oui. Ah! que cela est beau! Et la voix I, en rapprochant encore davantage les mâchoires l'une de l'autre, et écartant les deux coins de la bouche vers les oreilles: A, E, I. M. JOURDAIN. A, E, I, I, I, I. Cela est vrai. Vive la science! La voix O se forme en rouvrant les mâchoires et rapprochant les lèvres par les deux coins, le haut et le bas : 0. M. JOURDAIN. O, O. Il n'y a rien de plus juste. A, E, I, O; I, O. Cela est admirable! I, O; I, O. LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. L'ouverture de la bouche fait justement comme un petit rond qui représente un O. M. JOURDAIN. 0, 0, O. Vous avez raison. O. Ah! la belle chose que de savoir quelque chose! LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. La voix U se forme en rapprochant les dents sans les joindre entièrement, et alongeant les deux lèvres en dehors, les approchant aussi l'une de l'autre sans les joindre tout-à-fait : U. M. JOURDAIN. U, U. Il n'y a rien de plus véritable. U. LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Vos deux lèvres s'alongent comme si vous faisiez la moue; d'où vient que, si vous la voulez faire à quelqu'un, et vous moquer de lui, vous ne sauriez lui dire que U. M. JOURDAIN. U, U. Cela est vrai. Ah! que n'ai-je étudié plus tôt pour savoir tout cela! LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Demain nous verrons les autres lettres, qui sont les consonnes. M. JOURDAIN. Est-ce qu'il y a des choses aussi curieuses qu'a celles-ci ? LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Sans doute. La consonne D, par exemple, se prononce en donnant du bout de la langue au-dessus des dents d'en-haut: DA. M. JOURDAIN. DA, DA. Oui. Ah! les belles choses! les belles choses! LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. L'F, en appuyant les dents d'en-haut sur la lèvre de dessous: FA. M. JOURDAIN. FA, FA. C'est la vérité. Ah! mon père et ma mère, que je vous veux de mal! |