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Sieyes, M. Mounier et moi, nous rencontrons | des autres? Comment se fait-il que ma motion, parfaitement.

3o L'avantage qu'il y aurait à trouver quelque autre dénomination, sous laquelle cette assemblée puisse être constituée, et qui, sans équivaloir à celle d'états-généraux, soit cependant suffisante pour la mettre en activité.

Ici, nous sommes d'accord: car, soit que nous nous appelions les représentans connus et vérifiés de la nation; les représentans de la majeure partie de la nation, ou les représentans du peuple, notre but est le même : toujours nous réunissons-nous contre la qualification également absurde et déplacée d'états-généraux; toujours cherchons-nous, en excluant ces titres, à en trouver un qui aille au grand but de l'activité, sans avoir le funeste inconvénient de paraître une spoliation de deux ordres dont, quoi que nous fassions, nous ne pourrons nous dissimuler l'existence, bien que nous nous accordions à penser qu'ils ne peuvent rien par eux-mêmes.

4o Le quatrième point sur lequel nous sommes d'accord, c'est la nécessité de prévenir toute opinion par chambre, toute scission de l'assemblée nationale, tout veto des ordres privilégiés.

Ici encore, je me plais à rendre hommage aux autres motions; mais sans croire qu'elles aient pourvu à ce mal que nous craignons tous, avec plus d'énergie que je ne l'ai fait. En est-il une qui ait plus fortement ex

si clairement fondée sur les principes, qui les met au-dessus de toute atteinte; si explicite, si satisfaisante pour tout homme qui déteste comme moi toute espèce d'aristocratie; comment se peut-il que cette motion ait été présentée comme si étrange, si peu digne d'une assemblée d'amis, de serviteurs de ce peuple qui nous a chargés de le défendre?

1o Un défaut commun aux dénominations que j'attaque, c'est qu'elles sont longues, c'est qu'elles sont inintelligibles pour cette portion immense de Français qui nous honorent de leur confiance. En est-il un seul qui puisse se faire une idée juste de ce que c'est que les représentans connus et vérifiés de la nation, et ce qu'on entend par la majorité de tous les députés envoyés aux états-généraux dûment invités, délibérant en l'absence de la minorité dûment invitée ?

A ces titres énigmatiques, à ces doubles logogriphes, substituez les représentans du peuple français; et voyez quelle dénomination offre la définition la plus claire, la plus sensible, la plus propre à nous concilier nos commettans mêmes.

2o Un défaut particulier à une de ces deux motions, c'est qu'elle nous donne un nom qui ne nous désigne pas seuls, qui, par conséquent, ne nous distingue pas, qui peut convenir aux députés des autres ordres, des autres chambres, aux députés des classes privilégiées, suivant qu'il vous plaira les ap

primé que la mienne l'intention de communi- | peler; car, ils peuvent aussi bien que nous se

quer, non avec les autres ordres, mais directement à sa majesté, les mesures que nous estimons nécessaires à la régénération du royaume? En est-il une qui rejette plus fortement que la mienne tout veto, c'est-à-dire tout droit par lequel les députés des classes privilégiées, en quelque nombre qu'ils soient, voudraient s'opposer par des délibérations séparées, prises hors de l'assemblée nationale, à ce qui serait jugé nécessaire pour le bien général de la France?

Nous sommes donc d'accord sur ces quatre points vraiment cardinaux, vraiment nécessaires, qui devraient nous servir à tous de signal de ralliement.

En quoi différons-nous? Qu'est-ce qui peut justifier cette chaleur, cet éloignement que nous marquent les uns pour les opinions

dénommer les représentans connus de la nation. Supposons que vous ayez à vous adresser au roi, oseriez-vous lui dire que vous êtes les seuls représentans de la nation qui soient connus de sa majesté? Lui direz-vous qu'il ne connaît pas les députés du clergé, qu'il ne connaît pas ceux de la noblesse pour des représentans de la nation; lui qui les a convoqués comme tels; lui qui a désiré qu'ils lui fussent présentés comme tels; lui qui les a fait appeler comme tels; lui qui les a présidés ainsi que nous dans l'assemblée nationale; lui enfin qui a reçu leurs discours, leurs adresses comme les nôtres; et qui les a constamment désignés par des termes équivalens à ceux dont il s'est servi avec nous ?

Le titre que je vous propose, le titre que vous réprouvez, n'a point l'inconvénient de s'appliquer à d'autres qu'à nous; il ne convient qu'à nous, il ne nous sera disputé par personne. Les représentans du peuple français! Quel titre pour des hommes qui, comme vous, aiment le peuple, qui sentent comme vous ce qu'ils doivent au peuple!

3o Cette même motion que je combats, tout en vouant mon estime, mon respect à celui qui l'a proposée, vous appelle les représentans vérifiés de la nation, comme si les autres représentans n'avaient pas aussi été vérifiés, comme s'il pouvait leur être défendu de s'appeler, ainsi que nous, les représentans vérifiés, parce qu'ils n'ont pas été vérifiés à notre manière.

4o Cette même motion tire une conséquence, qui n'a aucun rapport avec les premières. Consultez celle-ci, on croirait que vous allez vous constituer en assemblée nationale, en états-généraux. C'est ce qui reste de cette phrase remarquable : Il appartient à cette assemblée, il n'appartient qu'à elle, d'interpréter et de représenter la volonté générale de la nation. Est-ce là cependant ce qu'on nous propose? Est-ce là la conclusion que, selon la motion, vous devez tirer du principe? Non, vous allez vous déclarer les représentans connus et vérifiés de la nation. Vous laissez à ce qu'il vous plaît d'appeler les représentans non connus, non vérifiés, le soin de fixer à leur tour les qualifications dont il leur plaira de se décorer.

50 Cette même qualification ne porte que sur une simple dispute de forme, dans laquelle notre droit n'est fondé que sur des argumens très subtils, quoique très solides, et non sur une loi positive.

La mienne porte sur un fait; un fait authentique, indéniable, c'est que nous sommes les représentans du peuple français.

6o Cette même qualification est d'une telle faiblesse, comme l'a observé M. Thouret, que dans le cas (très aisé à supposer) où les députés du clergé et de la noblesse se détermineraient à venir dans notre salle pour faire vérifier leurs pouvoirs, et s'en retourneraient ensuite dans leurs chambres respectives pour y opiner par ordre, cette qualification ne pourrait plus nous convenir.

Celle que je vous propose nous convient dans tous les temps, dans tous les cas et

même dans celui où, comme nous le désirons tous, les députés des trois ordres se réuniraient formellement dans cette salle en états-généraux pour y voter par tête et non par ordre.

On vous a dit, messieurs, on l'a dit au public, on en a fait une espèce de cri d'alarme contre ma motion, qu'elle tendait à chambrer les états-généraux, à autoriser les distinctions des ordres; mais moi, je vous le demande, je le demande à tous ceux qui m'ont entendu, à tous ceux qui m'ont lu ou qui liront ma motion, où s'y trouve cette distinction des ordres, cette nécessité de chambres ? Peut-on ainsi, en prenant une partie de cette motion, passer l'autre sous silence? Je vous ai déjà rappelé les termes dont je me suis servi: je vous ai dit, et j'ai exprimé de la manière la plus forte, que les deux ordres qui veulent s'isoler du peuple ne sont rien quant à la constitution, tant qu'ils veulent être étrangers au peuple; qu'ils ne peuvent pas avoir une volonté séparée de la sienne; qu'ils ne peuvent ni s'assembler, ni exercer un veto, ni prendre des résolutions séparées.

Voilà le principe sur lequel ma motion est fondée; voilà le but où elle tend; voilà ce que, à moins de s'aveugler volontairement, tout homme de sens y trouvera.

Si je voulais employer contre les autres motions les armes dont on se sert pour attaquer la mienne, ne pourrais-je pas dire à mon tour: De quelque manière que vous vous qualifiiez, que vous soyez les représentans connus et vérifiés de la nation, les représentans de vingt-cinq millions d'hommes, les représentans de la majorité du peuple, dussiez-vous même vous appeler l'assemblée nationale, les états-généraux, empêcherez-vous les classes privilégiées de continuer des assemblées que sa majesté a reconnues? Les empêcherezvous de prendre des délibérations? Les empêcherez-vous de prétendre au veto? Empêcherez-vous le roi de les recevoir, de les reconnaître, de leur continuer les mêmes titres qu'il leur a donnés jusqu'à présent? Enfin, empêcherez-vous la nation d'appeler le clergé, le clergé; la noblesse, la noblesse?

On a cru m'opposer le plus terrible di lemme, en me disant que le mot peuple signifie nécessairement ou trop ou trop peu; que si

on l'explique dans le même sens que le latin populus, il signifie la nation, et qu'alors il a une acception plus étendue que le titre auquel aspire la généralité de l'assemblée ; que si on l'entend dans un sens plus restreint, comme le latin plebs, alors il suppose des ordres, des différences d'ordres, et que c'est là ce que nous voulons prévenir. On a même été jusqu'à craindre que ce mot ne signifiât ce que les Latins appelaient vulgus, ce que les Anglais appellent mob, ce que les aristocrates, tant nobles que roturiers, appellent insolemment la canaille.....

ger comme la plus précieuse occasion de servir ce peuple qui existe, ce peuple qui est tout, ce peuple que nous représentons, dont nous défendons les droits, de qui nous avons reçu les nôtres, et dont on semble rougir que nous empruntions notre dénomination et nos titres. Ah! si le choix de ce nom rendait au peuple abattu de la fermeté, du courage... Mon ame s'élève en contemplant dans l'avenir les heureuses suites que ce nom peut avoir ! Le peuple ne verra plus que nous, et nous ne verrons plus quele peuple; notre titre nous rappellera et nos devoirs et nos for

A cet argument je n'ai que ceci à répon- | ces; à l'abri d'un nom qui n'effarouche point,

dre: c'est qu'il est infiniment heureux que notre langue, dans sa stérilité, nous ait fourni un mot que les autres langues n'auraient pas donné dans leur abondance; un mot qui présente tant d'acceptions différentes; un mot qui, dans ce moment où il s'agit de nous constituer sans hasarder le bien public, nous qualifie sans nous avilir, nous désigne sans nous rendre terribles; un mot qui ne puisse nous être contesté, et qui, dans son exquise simplicité, nous rende chers à nos commettans, sans effrayer ceux dont nous avons à combattre la hauteur et les prétentions; un mot qui se prête à tout, qui, modeste au

qui n'alarme point, nous jetons un germe, nous le cultiverons, nous en écarterons les ombres funestes qui voudraient l'étouffer, nous le protégerons; nos derniers descendans seront assis sous l'ombrage bienfaisant de ses branches immenses.

Représentans du peuple, daignez me répondre: irez-vous dire à vos commettans que vous avez repoussé ce nom de peuple? que si vous n'avez pas rougi d'eux, vous avez pourtant cherché à éluder cette dénomination, qui ne vous paraît pas assez brillante? qu'il vous faut un titre plus fastueux que celui qu'ils vous ont conféré? Eh! ne voyez-vous pas que

jourd'hui, puisse agrandir notre existence, ❘ le nom de représentans du peuple vous est

nécessaire, parce qu'il vous attache le peu

ne seriez que des individus, de faibles roseaux que l'on briserait un à un? Ne voyez-vous pas qu'il vous faut le nom de peuple, parce qu'il donne à connaître au peuple que nous avons lié notre sort au sien; ce qui lui apprendra à reposer sur nous toutes ses pensées, toutes ses espérances?

à mesure que les circonstances le rendront nécessaire, à mesure que, par leur obstina-ple, cette masse imposante sans laquelle vous tion, par leurs fautes, les classes privilégiées nous forceront à prendre en main la défense des droits nationaux, de la liberté du peuple, Je persévère dans ma motion et dans la seule expression qu'on en avait attaquée; je veux dire la qualification de peuple français. Je l'adopte, je la défends, je la proclame parla raison qui la fait combattre. Oui, c'est parce que le nom de peuple n'est pas assez respecté en France, parce qu'il est obscurci, couvert de la rouille du préjugé, parce qu'il nous présente une idée dont l'orgueil s'alarme et dont la vanité se révolte, parce qu'il est prononcé avec mépris dans les chambres des aristocrates; c'est pour cela même que nous devons nous imposer, non seulement de le relever, mais de l'ennoblir, de le rendre désormais respectable aux ministres et cher à tous les cœurs. Si ce nom n'était pas le nôtre, il faudrait le choisir entre tous, l'envisa- | dans les Pays-Bas; ils se pareront des injures

Plus habiles que nous, les héros bataves qui fondèrent la liberté de leur pays prirent le nom de Gueux; ils ne voulurent que ce titre, parce que le mépris de leurs tyrans avait prétendu les en flétrir; et ce titre, en leur attachant cette classe immense que l'aristocratie et le despotisme avilissaient, fut à la fois leur force, leur gloire, et le gage de leur succès. Les amis de la liberté choisissent le nom qui les sert mieux, et non celui qui les flatte le plus; ils s'appelleront les Remontrans en Amérique, les Pâtres en Suisse, les Gueux SÉANCE ROYALE DU 23 JUIN.

de leurs ennemis : ils leur ôteront le pouvoir de les humilier avec des expressions dont ils auront su s'honorer. >

Les débats terminés, l'abbé Sieyes modifia sa motion, en substituant le nom d'assemblée nationale à celui dont il avait d'abord qualifié cette assemblée. Voici la rédaction définitive de sa motion:

MOTION DE L'ABBÉ SIEYES.

‹ L'assemblée, délibérant après le résultat de la vérification des pouvoirs, reconnaît que cette assemblée est déjà composée des représentans envoyés directement par les quatrevingt-seize centièmes, au moins, de la nation.

Une telle masse de députation ne saurait rester inactive par l'absence des députés de quelques bailliages ou de quelques classes de citoyens; car les absens qui ont été appelés ne peuvent point empêcher les présens d'exercer la plénitude de leurs droits, surtout lorsque l'exercice de ces droits est un devoir impérieux et pressant.

De plus, puisqu'il n'appartient qu'aux représentans vérifiés de concourir à former le vœu national, et que tous les représentans vérifiés doivent être dans cette assemblée, il est encore indispensable de conclure qu'il lui appartient, et n'appartient qu'à elle, d'interpréter et de représenter la volonté générale de la nation. Nulle autre chambre de députés simplement présumés ne peut rien ôter à la force de ses délibérations; enfin, il ne peut exister entre le trône et cette assemblée aucun veto, aucun pouvoir négatif.

L'assemblée déclare donc que l'œuvre commune de la restauration nationale peut et doit être commencée sans retard par les députés présens, et qu'ils doivent la suivre sans interruption comme sans obstacles.

La dénomination d'assemblée nationale est la seule qui convient à l'assemblée dans l'état actuel des choses, soit parce que les membres qui la composent sont les seuls représentans légitimement et publiquement connus et vérifiés, soit parce qu'ils sont envoyés par la presque totalité de la nation; soit enfin parce que la représentation nationale étant une et indivisible, aucun des députés, dans quelque autre classe qu'il soit choisi, n'a le droit d'exercer des fonctions séparément de la présente assemblée.

L'assemblée ne perdra jamais l'espoir de voir réunis dans son sein tous les députés aujourd'hui absens; elle ne cessera de les appeler, tant individuellement que collectivement, à remplir l'obligation qui leur est imposée de concourir à la tenue des états-généraux. A quelque moment que les députés absens se présentent dans le cours de la session qui va s'ouvrir, elle déclare d'avance qu'elle les recevra avec joie, et qu'elle s'empressera, après la vérification de leurs pouvoirs, de partager avec eux les grands travaux qui doivent procurer la régénération de la France. ›

Le 17 juin les communes adoptèrent cette motion, et votèrent une adresse au roi pour lui faire part de leur délibération.

(23 Juin-1 Juillet 1789.)

État des esprits. - Discours du Rot. - Déclaration du Ror sur la tenue des états-généraux. - Seconde partie du Discours du Rot. - Déclaration des intentions du Ror. - Fin du Discours du Roz. - La noblesse et une partie du clergé se retirent. - Paroles de MIRABEAU. - Discours de SIEYES. - Réponse de MIRABEAU au grand-maître des cérémonies. - Motion de MIRABEAU sur l'inviolabilité de la représentation nationale. - Discours de LALLY-TOLENDAL. - Motion de CLERMONT-TONNERRE dans la chambre de la noblesse. - Réunion des trois ordres en ASSEMBLÉE NATIONALE.

Le premier décret des communes, après s'être conen ajoutant qu'elles continueraient d'être levées jusstituées et avoir prêté serment, fut un acte de souvequ'au jour de la première séparation, de quelque raineté, par lequel elles déclarèrent illégales et nulles cause qu'elle pût provenir; mais que toute levée d'imles contributions qui se percevaient dans le royaume; | pôts qui n'aurait pas été nommément et librement

accordée par l'assemblée avant cette dissolution cesserait dans toute l'étendue du royaume; elles mirent en même temps les créanciers de l'état sous la sauvegarde de la nation, et nommèrent un comité des subsistances, pour aviser ét remédier aux causes de la disette qui affligeait le royaume.

Cette fameuse délibération, qui fut imprimée et envoyée dans toutes les provinces, produisit un grand effet. On oublia un moment la noblesse et le clergé, et cette assemblée seule parut digne, au jugement du peuple, du titre d'Assemblée Nationale.

Les deux premiers ordres furent attérés de ce coup d'autorité; ils ne virent pas sans frémir cette nouvelle puissance, que rien de légal ne pouvait désormais balancer, livrée tout entière à l'impulsion de ses forces, dominer tous les pouvoirs, et ne reconnaître d'autre frein que celui qu'elle voudrait bien s'imposer elle-même; leur cause se trouva dès lors plus intimement liée à celle du gouvernement.

Le roi, qui craignait, depuis quelques jours, les excès d'un corps d'autant plus dangereux qu'il affectait de s'identifier avec la nation, pour en exercer plus sûrement les droits illimités, voulut intervenir lui-même entre la nation et cette assemblée qui disait la représenter: il fit annoncer à cet effet une séance royale; mais les préparatifs de cette séance nécessitèrent malheureusement des précautions d'autant plus alarmantes pour les communes, qu'elles n'en avaient point été prévenues à temps. Le 20 juin la salle des états se trouva fermée et entourée de gardes, à l'heure indiquée par leur président pour la tenue de la séance: elles se réfugièrent dans un jeu de paume; et là, sur la motion de Mounier, elles firent le serment solennel, que chaque membre signa, à l'exception d'un seul (Martin d'Auch), de « se réunir partout où les circonstances l'exigeraient pour établir et affermir la constitution du royaume. »

Ce fut dans l'église de Saint-Louis, où le tiers-état s'était assemblée le 22, que la majorité du clergé vint enfin se réunir à cet ordre devenu si puissant par l'opinion populaire; elle fut reçue avec des transports de joie qui avaient l'air d'un triomphe; mais le président affecta de ne rien dire dans son discours qui pût faire regarder cet ordre comme le premier de l'état; il parla des membres du clergé et de la noblesse comme d'une portion de l'auguste famille qui désirait si ardemment leur retour: enfin, le 23 juin, les trois ordres se réunirent pour l'ouverture de la séance royale.

Cette séance royale fut bien différente de la première; et à l'espace parcouru depuis le 5 mai jusqu'au 23 juin, on aurait pu, dès lors, se faire une idée de la rapidité avec laquelle la révolution se précipiterait dans sa marche. Le bonheur, la confiance mutuelle des trois ordres, l'espoir et le désir de faire le bien,

rayonnaient sur tous les visages le 5 mai. Le 23 juin tout était changé : ces sentimens bienveillans avaient fait place à la défiance, à la haine, au mépris. Fort de ses conquêtes et de l'appui de l'opinion, le tiers se considérait comme l'Assemblée Nationale, tandis que les ordres privilégiés, irrités de la nullité à laquelle ils se trouvaient réduits, aspiraient à reconquérir leur prépondérance par un coup d'état. Le discours du roi fut maladroit, car tout en allant au devant d'une réforme dans la constitution, qu'il semblait désirer plus encore que la nation elle-même ; en annonçant plusieurs dispositions de justice et de bienfaisance qui auraient dû être mieux appréciées, il négligea de les présenter sous une forme que des circonstances impérieuses nécessitaient. Il parla en maître, en monarque qui rappelle à ses sujets les lois constitutives de son royaume, et donna prétexte à tous les esprits ambitieux et remuans de repousser ses bienfaits.

:

DISCOURS DU Roi, dans la séance du 23
juin 1789.

‹ Messieurs, je croyais avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour le bien de mes peuples, lorsque j'avais pris la résolution de vous rassembler; lorsque j'avais surmonté toutes les difficultés dont votre convocation était entourée; lorsque j'étais allé, pour ainsi dire, au-devant des vœux de la nation en manifestant à l'avance ce que je voulais faire pour son bonheur.

Il semblait que vous n'aviez qu'à finir mon ouvrage; et la nation attendait avec impatience le moment où, par le concours des vues bienfaisantes de son souverain, et du zèle éclairé de ses représentans, elle allait jouir des prospérités que cette union devait leur procurer.

Les états-généraux sont ouverts depuis près de deux mois, et ils n'ont point encore pu s'entendre sur les préliminaires de leurs opérations. Une parfaite intelligence aurait dû naître du seul amour de la patrie, et une funeste division jette l'alarme dans tous les esprits. Je veux le croire, et j'aime à le penser, les Français ne sont pas changés; mais pour éviter de faire à aucun de vous des reproches, je considère que le renouvellement des états-généraux, après un si long terme, l'agitation qui l'a précédé, le but de cette convocation, si différent de celui qui rassemblait vos ancêtres, les restrictions dans les

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