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ment l'auteur n'apporte à la défense de sa proposition que des phrases verbeuses, et par endroits prétentieuses, sans ajouter ni une idée ni une image ce qui est plus commun à celles du maître dont il s'est inspiré 1.

Et c'était le temps cependant où tout le terrain conquis allait être reperdu, on sait comment. De Thou ne crut pas le français digne de supporter ni capable de répandre l'histoire monumentale dont il avait conçu le plan, et ce fut le latin qu'il adopta, ravissant ainsi à sa langue un des chefs-d'œuvre sur lesquels elle eût pu s'appuyer, et risquant de lui arracher un genre où, sans prétendre régner encore, elle avait du moins fait ses preuves 2.

Les érudits. Évidemment ce n'est point parmi les érudits qu'il faut chercher les partisans du français. L'humanisme du XVIe siècle est tout naturellement exclusif, en France comme ailleurs. Il est inutile ici d'entasser des noms, il suffit de rappeler les opinions de ceux qui donnaient le branle, par exemple du grand Budé, la lumière du siècle, un de ceux dont les docteurs ne prononçaient le nom qu'en portant par révérence la main à leur bonnet. Il avait l'esprit trop ouvert pour se refuser à reconnaître quelques avantages que le français avait sur le latin, mais dans l'ensemble, il n'estimait pas qu'on pût le comparer aux langues antiques, ni l'appliquer à aucune œuvre sérieuse. A la vérité, il semble avoir fait sur ses vieux jours une grande concession aux adversaires, en s'en servant dans le livre qu'il avait préparé sur l'Institution du prince, et qui parut après sa mort *. Mais il faudrait savoir si un désir plus puissant que ses partis pris ne l'a pas contraint en cette circonstance. Il travaillait sur

1. Voir l'Amiral de France, et par occasion, de celuy des autres nations, tant vieiles que nouuelles, par le Sr de la Popellinière. Paris, Thomas Périer, 1584 2. Sainte-Marthe, qui partageait les idées de De Thou, ne s'explique pas que Vignier ait sacrifié au désir de servir une noblesse ignorante de son propre intérêt, et se soit résigné à n'être lu que dans son pays. Voir dans Hist. de la maison de Luxembourg, Paris, Thiboust, 1617, l'extrait des Eloges cité dans l'Eloge de Vignier.

3. Voir Budeus, De philologia, lib. poster., p. 72 c. in Lucubr. var.; Basil., apud Nic. Episcopium Junior. MDLVII. Est ita ut dicis Here, inquam, sed non si in uniuersum lingua Romana elegantior esse et uberior nostra à me dicta est, ideo non in quibusdam nostra felicior est et Latina et Græca: ut in hac ipsa arte (venatoria) describenda et explananda, in qua certe tam beata et dives est prope nostra, quàm græca in tractanda philosophia. »

4. L'Institution du Prince a été publiée par M Jean de Luxembourg, abbé d'lury, imprimée à l'Arriuour, abbaye dudict seigneur, par M Nicole Paris, 1547.

la demande de François Ier, et la gêne où il se plaint d'être par suite de son ignorance de la diction française, fait soupçonner qu'il s'était déterminé à se mettre dans cet embarras moins par goût que sous des inspirations toutes-puissantes'. Au reste dans le livre même, il a pris sa revanche; à vingt endroits, il revient à l'éloge des langues anciennes, seules dignes de la politique et de l'histoire, seules capables de développer les dons de nature et de faire l'homme éloquent 3.

Toutefois il y eut des défections dans le camp des hellénistes et des latinistes. Dolet, après avoir travaillé, comme il le dit au commencement de ses Epistres familieres, pour acquérir « los et bruict dans la langue latine, ne se voulut efforcer moins a se faire renommer en la sienne maternelle francoyse ». Et pour cela il projetait, outre les travaux originaux, de traduire et imprimer « tous aultres bons liures, qu'il cognoistroit sortir de bonne forge, latine ou italienne, soit autheurs antiques ou modernes ». Fortifié par l'exemple des Italiens et des anciens eux-mêmes, il s'était appliqué à cultiver sa langue, et à composer des traités techniques: dictionnaire, grammaire, orthographe, etc., malheureusement perdus aujourd'hui. En envoyant, en 1542, l'un d'entre eux à Mar de Langei, il s'ouvre à lui de ses projets, et, soutenu plus qu'effrayé par la grandeur de la

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1. Epistre lim., p. 3. Cf. à la fin du livre, p. 204: En laquelle ie suis bien peu exercité, pour auoir plus donné de diligence, a apprendre les bonnes lettres, que a sçauoir curieusement parler celle, qui m'est naturelle et maternelle. »

2. « Les faictz, et dictz notables ont trop plus d'elegance, d'auctorité, de venusteté, et de maiesté, et de grace persuasiue proferés en langue Grecque, ou Latine, et se disent par plus grande signifiance et efficace, et reuerence des grandes sentences, ou notables, qu'ils ne font a nostre langue francoyse, ainsi qu'il est tout notoire entre ceulx qui ont cognoissance suffisante desdictes langues. »

3. Voir p. 89: « Laquelle faculté de bien dire, avec la liberalité de Nature (qui est aysee à estre rendue docile) procede (sans nul doubte) de multitude de science : Scauoir est, des Langues lettrees, ou excellence d'entendement instruict par Nature ingenieuse et par grande experience. Laquelle (en langue maternelle) ne pourroit en partie supplier la faculté de doctrine desdictes Lettres. Cf. p. 94. Le latin même ne suffit pas. Cf. encore au chap. 4, p. 14, l'éloge de la langue grecque, etc.

4. Cité par Christie, Est. Dolet, p. 345 de la trad. française.

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5. Dans la Préface de la Man. de bien traduire, Dolet dit : « Depuis six ans, i'ay composé en nostre langage ung OEuure intitulé l'Orateur Francoys, duquel œuure les traictés sont telz: La grammaire, L'orthographe, Les accents, La punctuation, La prononciation, L'origine d'aulcunes dictions, La maniere de bien traduire d'une langue en aultre, L'Art oratoire, L'Art poëtique. Mais pour ce... que ledict OEuure est de grande importance, et qu'il y eschet ung grand labeur, scauoir et extreme iugement, i'en differeray la publication (pour ne le precipiter) iusques à deux, ou troys ans. »

tâche, il en parle avec l'enthousiasme d'un Du Bellay, au point qu'on ne reconnaîtrait plus dans ce transfuge le dévot des anciens, qui devait mourir pour un passage de Platon '.

Muret n'était pas tout à fait aussi hardi, et, dans la Préface de son édition de Térence, il s'est plaint de ceux qui préféraient les langues modernes au latin. Mais néanmoins il en était venu à confesser que la nécessité d'apprendre les langues mortes était pour les modernes une cause d'infériorité 3. Il y a plus. Lui-même avait sacrifié aux Muses françaises, et fait des vers pieux, que Goudimel mettait en musique. Enfin, il avait associé son effort à celui des novateurs, et fait aux œuvres de Ronsard l'honneur de les accompagner d'un docte commentaire '.

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Je ne citerai plus qu'un nom, mais c'est un des plus grands du XVIe siècle, celui de Henri Estienne. L'illustre auteur du Thesaurus professait pour l'antiquité une affection non seulement profonde, mais singulièrement active. Il montra néanmoins qu'elle ne comportait pas nécessairement comme corollaire le mépris de l'idiome maternel. Évidemment, cet idiome ne saurait être mis au rang de la langue grecque. Elle est « la reine des langues, et si la perfection se doibt cercher en aucune, c'est en ceste-la qu'elle se trouuera ». Mais du moins la nôtre a, en commun avec cette souveraine, une foule de mots et de tours. Tout l'ouvrage de la Conformité est fait pour le montrer. Et la conclusion d'Estienne est celle-ci : « la langue françoise, pour approcher plus pres de celle qui a acquis la perfection, doibt estre estimee excellente par dessus les autres. » Les rapprochements d'Estienne sont parfois faux, sa manière de raisonner elle-même plus que contestable; le fait n'en reste pas moins significatif, il préfère sans ambages le français au latin, qu'il

1. Voir Est. Dolet (Lyon, chez Dolet, 1542) : La maniere de bien traduire d'une langue en aultre.... A Mgr de Langei. Cf. l'Épistre au Roy en tète du Second Enfer. 2. Voir Dejob, Marc-Antoine Muret, p. 103.

3. Dejob, Ib., p. 327.

4. On pourrait rapprocher encore Vulteius. Celui-là est si latin que jusqu'à ces dernières années on a ignoré qu'il s'appelait Jean Visagier. Et cependant, dans ses Épigrammes, il reproche à Danès de ne pas s'intéresser au français : « Tres linguas laudas, Graecam, Hæbream atque Latinam, Cur non tam Gallo Gallica lingua placet? »

5. Conform., Préf., éd. Feugère, p. 18.

HISTOIRE DE LA LANGUE. III.

(I, p. 47, éd. 1536.)

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attaque souvent en détail', qu'il place, considéré dans son ensemble, au troisième rang, avec l'italien et l'espagnol derrière lui.

H. Estienne nous conduit, par une transition toute naturelle, aux érudits, qui ont fait du français même l'objet de leurs recherches. Les travaux étymologiques, qui depuis le deuxième tiers du siècle allaient se multipliant, et les études dogmatiques qui furent consacrées à notre idiome sont une preuve suffisante qu'il s'imposait de plus en plus à l'attention 2.

Chez beaucoup de ces érudits, le goût d'étudier notre langue repose sur le désir de la servir. C'est très sensible chez Meigret, quoiqu'il ne s'en explique que brièvement, chez Pillot, chez Ramus, chez Abel Mathieu. Ce dernier est un homme sans valeur, et qui eût pu s'appliquer sa propre phrase sa propre phrase: « Nous parlons tous, mais tous ne sçauons pas bien de quoy nous parlons », mais ses protestations emphatiques méritent pourtant d'être retenues, comme témoignage des idées qui commençaient à dominer.

Parmi les étymologistes, je dois rappeler avant tous Fauchet, dont il a été question antérieurement, et Estienne Pasquier. Non seulement celui-ci a témoigné par ses Recherches de la France, l'intérêt qu'il prenait à la langue à laquelle il a consacré son huitième livre, mais longtemps auparavant, il disputait à ce sujet avec Turnèbe, dans une lettre qui est tout un plaidoyer. La fermeté qu'il y montre en refusant de croire « sa langue plus legere et plus faible que les anciennes, sinon de quelques grains », et de l'abandonner pour une si minime infériorité, le mettent en bon rang dans la liste de ses défenseurs. Arts poétiques et poètes. Rhétoriques. Ora

teurs.

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M. Roy a publié récemment une curieuse lettre de

1. Voir Conform., p. 127, 157, 159, etc.

2. Il ne faudrait pas croire toutefois que le fait d'avoir porté de ce côté son observation implique nécessairement chez un écrivain l'estime de notre idiome. Budé, dont nous venons de voir les sentiments, a fait maintes fois de l'étymologie; Bouelles en a fait aussi, et il a écrit pour démontrer l'incurable barbarie du français. Hotman semble également avoir été tout latin, quoiqu'il ait curieusement établi la part de l'allemand dans nos origines, etc.

3. Gram., p. 2: « Or et il qe notre lang' et aojourdhuy si enrichie par la profession experience de' langes Latin' e Grecqe, q'il n'et poît d'art, ne siençe si difficile subtile ne même cete tant haote theolojie (qoç q'elle luy soet deffendue, pourtant la peine de la coulpe d'aotruy) dōt elle ne puysse tretter amplement e elegamment.

4. C'est la 2o lettre du livre I, t. II, p. 3, des OEuvres, éd. d'Amsterdam, 1723. 5. Revue d'Histoire littéraire, II, 233.

Jacques de Beaune, qui montre à quel point, avant qu'on eût parlé de Ronsard et de son école, le public, suivant une jolie expression de Des Autels, « prenoit plaisir à voir nostre poësie laisser ces plumes folles, et deuenir drue pour s'enuoler par l'Uniuers auecques la grecque et latine ». Et l'auteur, qui n'était pas un écrivain de profession, ne doute pas de la valeur de notre langue; il la croit susceptible d'être réglée, fixée, la compare sans hésiter aux anciennes, auxquelles il la trouve supérieure en harmonie, et égale en grâce, capable, partant, de devenir l'organe d'une littérature « que la plus loingtaine posterité sera chere d'entendre, cognoistre et imiter, et par aduanture d'autres nations sera recherchee et requise, comme les faictz desdictz Romains et Grecz ont esté par infinies autres nations estimez ».

A l'occasion de cette lettre, M. Roy a montré comment la Deffence et Illustration, quelque allure prophétique et révolutionnaire qu'elle affectât, ne contenait en somme sur la langue française que des idées déjà exprimées et presque reçues. Cette manière de voir est, à mon sens, la bonne. Tout ce qui précède l'a déjà prouvé. Il est vrai qu'en ce qui concerne la poésie, peu de déclarations avaient été faites. M. Roy n'en a trouvé qu'une, de Peletier du Mans, et elle ne prouve pas grand'chose à elle seule, car le recueil dont elle est tirée est de 1547 (privilège du 1er septembre), et s'il y a au feuillet 82 une « ode contre un poete qui n'escriuoit qu'en latin », il y en a plus loin une de Ronsard. Les deux hommes étaient donc à ce moment en relations et en commerce de vers. Peletier du Mans, tout en imprimant le premier, aurait pu, par suite, n'être ici qu'un reflet de son ami.

On trouverait cependant mieux dans son œuvre. En effet, dès 1545', il a publié une déclaration très importante, très complète, où les idées chères à Du Bellay sont non seulement exprimées en général, mais appliquées à la poésie même, et cette déclaration, où l'on retrouvera nombre des expressions de la Deffence, est en tête d'une traduction de l'Art poétique.

1. Je doute que cette épitre signée se trouve dans l'édition anonyme de 1541, que je n'ai toutefois pas vue. Si elle s'y trouvait, mon raisonnement n'en serait que fortifié.

2. Voir lacques Peletier du Mans, L'Art poetique d'Horace, recognue par l'auteur depuis la premiere impression. Paris, Vascosan, MDXLV. « A TRES VERTUEUX ET

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