la plus spirituelle, durant vingt-sept années de la plus aimable époque de la plus aimable société française. Lafontaine, peintre des champs et des animaux, n'ignorait pas du tout la société, et l'a souvent retracée avec finesse et malice. Madame de Sévigné à son tour aimait beaucoup les champs; elle allait faire de longs séjours à Livry chez l'abbé de Coulanges, ou à sa terre des Rochers en Bretagne; et il est piquant de connaître sous quels traits elle a vu et a peint la nature. On s'aperçoit d'abord que, comme notre bon fabuliste, elle a lu de bonne heure l'Astrée, et qu'elle a rêvé dans sa jeunesse sous les ombrages mythologiques de Vaux et de Saint-Mandé. Elle aime à se promener aux rayons de la belle maîtresse d'Endymion, à passer deux heures seule avec les Hamadryades; ses arbres sont décorés d'inscriptions et d'ingénieuses devises, comme dans les paysages du Pastor Fido et de l'Aminta: « Bella cosa far niente, dit un de mes arbres; >> l'autre lui répond, amor odit inertes; on > ne sait auquel entendre. » Et ailleurs : << Pour nos sentences, elles ne sont point >> défigurées; je les visite souvent; elles » sont même augmentées, et deux arbres >> voisins disent quelquefois les deux con>> traires : La lontananza ogni gran piaga » salda, et Piaga d'amor non si sana mai. » Il y en a cinq ou six dans cette contra>> riété. » Ces réminiscences un peu fades de pastorales et de romans sont naturelles sous son pinceau, et font agréablement ressortir tant de descriptions fraîches et neuves qui n'appartiennent qu'à elle : « Je suis » venue ici (à Livry) achever les beaux >> jours, et dire adieu aux feuilles; elles sont >> encore toutes aux arbres, elles n'ont fait » que changer de couleur; au lieu d'être » vertes, elles sont aurores, et de tant de » sortes d'aurore que cela compose un >> brocart d'or riche et magnifique, que » nous voulons trouver plus beau que du >> vert, quand ce ne serait que pour chan» ger. » Et quand elle est aux Rochers : • Je serais fort heureuse dans ces bois, si >> j'avais une feuille qui chantât: Ah! la › jolie chose qu'une feuille qui chante! >>> Et comme elle nous peint encore le triomphe du mois de mai, quand le rossignol, le coucou, la fauvette, ouvrent le printemps dans nos forêts; comme elle nous fait sentir et presque toucher ces beaux jours de cristal de l'antomne, qui ne sont plus chauds, qui ne sont pas froids! Quand son fils, pour fournir à de folles dépenses, fait jeter bas les antiques bois de Buron, elle s'émeut, elle s'afflige avec toutes ces dryades fugitives et ces sylvains dépossédés; Ronsard n'a pas mieux déploré la chute de la forêt de Gastine, ni M. de Châteaubriand celle des bois paternels. Parce qu'on la voit souvent d'une humeur enjouée et folâtre, on aurait tort de juger madame de Sévigné frivole ou peu sensible. Elle était sérieuse, même triste, surtout pendant les séjours qu'elle faisait à la campagne, et la rêverie tint une grande place dans sa vie. Seulement il est besoin de s'entendre; elle ne rêvait pas sous ses longues avenues épaisses et sombres, dans le goût de Delphine ou comme l'amante d'Oswald; cette rêverie-là n'était pas inventée encore; il a fallu 93, pour que madame de Staël écrivit son admirable livre de l'Influence des Passions sur le Bonheur. Jusque-là, rêver, c'était une chose plus facile, plus simple, plus individuelle, et dont pour. tant on se rendait moins compt : c'était penser à sa fille absente en Provence, à son fils qui était en Candie ou à l'armée du roi, à ses amis éloignés ou morts; c'était dire : « Pour ma vie, vous la connaissez: on la >> passe avec cinq ou six amies dont la so>> ciété plaît, et à mille devoirs à quoi l'on >> est obligé, et ce n'est pas une petite af>> faire. Mais, ce qui me fâche, c'est qu'en >> ne faisant rien, les jours se passent, et >> notre pauvre vie est composée de ces jours, >> et l'on vieillit, et l'on meurt. Je trouve cela » bien mauvais. >>> La religion précise et régulière, qui gouvernait la vie, contribuait beaucoup alors à tempérer ce libertinage de sensibilité et d'imagination qui, depuis, n'a plus connu de frein. Madame de Sévigné se défiait avec soin de ces pensées sur lesquelles il faut glisser; elle veut expressément que la morale soit chrétienne, et raille plus d'une fois sa fille d'être entichée de cartésianisme. Quant à elle, au milieu des accidens de ce monde, elle incline la tête, et se réfugie dans une sorte de fatalisme providentiel, que ses liaisons avec Port-Royal et ses lectures de Nicole et de Saint-Augustin lui avaient inspiré. Ce caractère religieux et résigné augmenta chez elle avec l'âge, sans altérer en rien la sérénité de son humeur; il communique souvent à son langage quelque chose de plus fortement sensé et d'une tendresse plus grave. Il y a surtout une lettre à M. de Coulanges sur la mort du ministre Louvois, où elle s'élève jusqu'à la sublimité de Bossuet, comme, en d'autres temps et en d'autres endroits, elle avait atteint au comique de Molière. |