ainsi dire, l'humanité toute entière? Louis le Grand est entré lui-même dans ces sentimens. Après avoir pleuré ce grand homme, et lui avoir donné par ses larmes, au milieu de toute sa cour, le plus glorieux éloge qu'il pût recevoir, il assemble dans un temple si célèbre ce que son royaume a de plus auguste, pour y rendre des devoirs publics à la mémoire de ce prince, et veut que ma faible voix anime toutes ces tristes représentations et tout cet. appareil funèbre. Faisons donc cet effort sur notre douleur. Ici un plus grand objet et plus digne de cette chaire se présente à ma pensée. C'est Dieu qui fait les guerriers et les conquérans. C'est vous, lui disait David, qui avez instruit mes mains à combattre, et mes doigts à tenir l'épée. S'il inspire le courage, il nedonne pas moins les autres grandes qualités naturelles et surnaturelles et du cœur et de l'esprit. Tout part de sa puissante main : c'est lui qui envoye du ciel les généreux sentimens, les sages conseils et toutes les bonnes pensées. Ce qui distingue ses amis de tous les autres, c'est la piété. Sans cet inestimable don, que serait-ce que le prince de Condé avec tout ce grand cœur et ce grand génie? Non, si la piété n'avait comme consacré ses autres vertus, nices princes du sang ne trouveraientaucunadoucissementàleur douleur, ni ce religieux Pontife aucune confiance dans ses prières, ni moi-même aucun soutien aux louanges que je dois à un si grand homme. Poussons donc à bout la gloire humaine par cet exemple: détruisons l'idole des ambitieux; qu'elle tombe anéantie devant ces autels. >>> De quelles majestueuses idées cet étonnant Bossuet couronne son sujet! Il ajoute : « Dieu nous a revélé que lui seul fait les conquérans, et que seul il les fait servir à ses dessins. Quel autre a fait un Cyrus, si ce n'est Dieu qui l'avait nommé deux cents ans avant sa naissance dans les oracles d'Isaïe? Tu n'es pas encore, lui disait-il; mais je te vois, je t'ai nommé par ton nom: tu t'appelleras Cyrus. Je marcherai devant toi dans les combats: à ton approche je mettrai les Rois en fuite; je briserai les portes d'airain. C'est moi qui étend les cieux, qui soutiens la terre, qui nomme ce qui n'est pas, comme ce qui est: c'est-à-dire, c'est moi qui fais tout, qui vois dès l'éternité tout ce que je fais. Quel autre a pu former un Alexandre, si ce n'est ce même Dieu, qui en a fait voir de si loin, et par des figures si vives, l'ardeur indomptable à son prophète Daniel? Le voyez-vous, dit-il, ce conquérant; avec quelle ardeur il s'élève de l'Occident, comme par bonds, et ne touche pas à terre? semblable, dans ses sauts hardis et dans sa démarche lé gère à ces animaux vigoureux et bondissans, il ne s'avance que par vives et impétueuses saillies, et n'est arrêté ni par montagnes, ni par précipices. Déjà le Roi de Perse est entre ses mains, il l'abat, il le foule aux pieds: nul ne peut défendre Darius des coups qu'il lui porte, ni arracher sa proie au vainqueur. A n'entendre que ces paroles de Daniel, qui croiriez-vous voir, messieurs, sous cette figure ? Alexandre, ou le prince de Condé? >>> C'est avec le même ton que l'orateur continue de parler du vainqueur de Lens et de Rocroy. Détachons encore de ce bel éloge le parallèle du grand Condé et de Turenne. « Ça été dans notre siècle un grand spec-. tacle, de voir dans le même tems et dans les mêmes campagnes ces deux hommes que la voix commune de toute l'Europe égalait aux plus grands capitaines des siècles passés; tantôt à la tête de corps séparés; tantôt unis plus encore par le concours des mêmes pensées que par les ordres que l'inférieur recevait de l'autre; tantôt opposés front à front, et redoublant l'un dans l'autre l'activité et la vigilance: comme si Dieu, dont souvent, selon l'Ecriture, la sagesse se joue dans l'univers, eût voulu nous les montrer en toutes les formes, et nous montrer ensemble tout ce qu'il peut faire des hommes. Que de campemens, que de belles marches, que de hardiesse, que de précautions, que de périls, que de ressources! Vit-on jamais en deux hommes les mêmes vertus avec des caractères si divers, pour ne pas dire si contraires ? L'un paraît agir par des réflexions profondes, et l'autre par de soudaines imaginations: celui-ci par conséquent plus vif, mais sans que son feu eût rien de précipité : celui-là d'un air plus froid, sans avoir jamais rien de lent, plus hardi à faire qu'à parler, résolu et déterminé au-dedans, lors même qu'il paraissait embarrassé au-dehors. L'un, dès qu'il parut dans les armées, donne une haute idée de sa valeur et fait attendre quelque chose d'extraordinaire; mais toutefois s'avance par ordre et vient comme par degrés aux prodiges qui ont fini le cours de sa vie : l'autre, comme un homme inspiré, s'égale, dès sa première bataille, aux maîtres les plus consommés. L'un, par de vifs et continuels efforts, emporte l'admiration du genre humain et fait taire l'envie : l'autre jette d'abord une si vive lumière, qu'elle n'osait l'attaquer. L'un enfin par la profondeur de son génie et les incroyables ressources de son courage, s'élève au-dessus des plus grands périls, et sait même profiter de toutes les infidélités de la fortune : l'autre, et par l'avantage d'une si haute naissance, et par ces grandes pensées que le ciel envoie, et par une espèce d'instinct admirable dont les hommes ne connaissent pas le secret, semble né pour entraîner la fortune dans ses desseins et forcer les destinées. Et afin qu'on vit toujours dans ces deux hommes de grands caractères, mais divers, l'un emporté d'un coup soudain, meurt pour son pays, comme un Judas Machabée; l'armée le pleure comme son père, et la cour et tout le peuple gémit; sa piété est louée comme son courage, et sa mémoire ne se flétrit point par le tems: l'autre élevé par les armes au comble de la gloire comme un David, comme lui meurt dans son lit en publiant les louanges de Dieu, en instruisant sa famille, et laisse tous les cœurs remplis tant de l'éclat de sa vie que de la douceur de sa mort. Quel spectacle de voir et d'étudier ces deux hommes, et d'apprendre de chacun d'eux toute l'estime que méritait l'autre ! C'est ce qu'a vu notre siècle : et ce qui est encore plus grand, il a vu un roi se servir de ces deux illustres chefs, et profiter du secours du ciel; et après qu'il en est privé par la mort de l'un et les maladies de l'autre, concevoir de plus grands desseins, exécuter de plus grandes choses, s'élever au-dessus de lui-même, surpasser et l'espérance des siens et l'attente de l'univers : tant est haut son courage, tant est vaste son intelligence, tant ses destinées sont glorieuses. Voilà messieurs, les spectacles que Dieu donne à l'univers, et les hommes qu'il y envoie quand il y veut faire éclater, tantôt dans une nation, tantôt dans une autre, selon ses conseils éternels, sa puissance ou sa sagesse. >> |