Lauzun, en novembre 1670, au château de Pignerol, pour avoir épousé en secret la princesse qu'il lui avait permis, quelques mois auparavant, d'épouser en public. Il fut enfermé dix années entières. Ceux qui ont douté de ce mariage secret n'ont qu'à lire attentivement les Mémoires de Mademoiselle. Ces Mémoires apprennent ce qu'elle ne dit pas. On voit que cette même princesse, qui s'était plainte si amèrement au roi de la rupture de son mariage, n'ose se plaindre de la prison de son mari. Elle avoue qu'on la croyait mariée; elle ne dit point qu'elle ne l'était pas; et quand il n'y aurait que ces paroles: Je ne puis ni ne dois changer pour lui, elles seraient décisives. Lauzun et Fouquet furent étonnés de se rencontrer dans la même prison; mais Fouquet surtout, qui dans sa gloire et dans sa puissance avait vu de loin Péguilin dans la foule, comme un gentilhomme de province sans fortune, le crut fou, quand celui-ci lui conta qu'il avait été le favori du roi, et qu'il avait eu la permission d'épouser la petite fille de Henri IV, avec tous les biens et les titres de la maison de Montpensier. Après avoir langui dix ans en prison, il en sortit enfin; mais ce ne fut qu'après que Mme de Montespan eut engagé Mademoiselle à donner la souveraineté de Dombes et le comté d'Eu au duc du Maine encore enfant, qui les posséda après la mort de cette princesse. Elle ne fit cette donation que dans l'espérance que M. de Lauzun serait reconnu pour son époux; elle se trompa: le roi lui permit seulement de donner à ce mari secret et infortuné les terres de Saint-Fargeau et de Tiers, avec d'autres revenus considérables que Lauzun ne trouva pas suffisants. Elle fut réduite à être secrètement sa femme, et à n'en être pas bien traitée en public. Malheureuse à la cour, malheureuse chez elle, effet ordinaire des passions, elle mourut en 1693. Pour le comte de Lauzun, il passa en Angleterre en 4688. Toujours destiné aux aventures extraordinaires, il conduisit en France la reine épouse de Jacques II, et son fils au berceau. Il fut fait duc. Il commanda en Irlande avec peu de succès, et revint avec plus de réputation attachée à ses aventures que de considération-personnelle. Nous l'avons vu mourir fort âgé et oublié, comme il arrive à tous ceux qui n'ont eu que de grands événements sans avoir fait de grandes choses. Cependant Mme de Montespan était toute-puissante dès le commencement de ces intrigues. Athenaïs de Mortemart, femme du marquis de Montespan ; sa sœur aînée, la marquise de Thiange; et sa cadette, pour qui elle obtint l'abbaye de Fontevrault, étaient les plus belles femmes de leur temps; et toutes trois joignaient à cet avantage des agréments singuliers dans l'esprit. Le duc de Vivonne, leur frère, maréchal de France, était aussi un des hommes de la cour qui avaient le plus de goût et de lecture. C'était lui à qui le roi disait un jour : Mais à quoi sert de lire? Le duc de Vivonne, qui avait de l'embonpoint et de belles couleurs, répondit : « La lecture fait à l'esprit ce que vos perdrix font à << mes joues. >>> Ces quatres personnes plaisaient universellement par un tour singulier de conversation mêlée de plaisanterie, de naïveté et de finesse, qu'on appelait l'esprit des Mortemart. Elles écrivaient toutes avec une légèreté et une grâce particulières. On voit par là combien est ridicule ce conte que j'ai entendu encore renouveler, que Mme de Montespan était obligée de faire écrire ses lettres au roi par Mme Scarron; et que c'est là ce qui en fit sa rivale, et sa rivale heureuse. Mme Scarron, depuis Mme de Maintenon, avait à la vérité plus de lumières acquises par la lecture; sa conversation était plus douce, plus insinuante. Il y a des lettres d'elle où l'art embellit le naturel, et dont le style est très-élégant. Mais Mme de Montespan n'avait besoin d'emprunter l'esprit de personne; et elle fut longtemps favorite avant que Mme de Maintenon lui fût présentée. Le triomphe de Mme de Montespan éclata au voyage que le roi fit en Flandre en 1670. La ruine des Hollandais fut préparée dans ce voyage au milieu des plaisirs: ce fut une fête continuelle dans l'appareil le plus pompeux. Le roi, qui fit tous ses voyages de guerre à cheval, fit celui-ci pour la première fois dans un carrosse à glaces : les chaises de postes n'étaient point encore inventées. La reine, Madame, sa belle-sœur, la marquise de Montespan, étaient dans cet équipage superbe, suivi de beaucoup d'autres; et quand Mme de Montespan allait seule, elle avait quatre gardes du corps aux portières de son carrosse. Le Dauphin arriva ensuite avec sa cour, Mademoiselle avec la sienne: c'était avant la fatale aventure de son mariage; elle partageait en paix tous ces triomphes, et voyait avec complaisance son amant, favori du roi, à la tête de sa compagnie des gardes. On faisait porter dans les villes où l'on couchait les plus beaux meubles de la couronne. On trouvait dans chaque ville un bal imasqué ou paré, ou des feux d'artifice. Toute la maison de guerre accompagnait le roi, et toute la maison de service précédait ou suivait. Les tables étaient tenues comme à Saint-Germain. La cour visita dans cette pompe toutes les villes conqui ses. Les principales dames de Bruxelles, de Gand, venaient voir cette magnificence. Le roi les invitait à sa table; il leur faisait des présents pleins de galanterie. Tous les officiers des troupes en garnison recevaient des gratifications. Il en coûta plu-sieurs fois quinze cents louis d'or par jour en libéralités. Tous les honneurs, tous les hommages étaient pour Mme de Montespan, excepté ce que le devoir donnait à la reine. Cependant cette dame n'était pas du secret. Le roi savait distinguer les affaires d'état des plaisirs. Madame, chargée seule de l'union des deux rois et de la destruction de la Hollande, s'embarqua à Dunkerque sur la flotte du roi d'Angleterre Charles II, son frère, avec une partie de la cour de France. Elle menait avec elle Mile de Kéroual, depuis duchesse de Portsmouth, dont la beauté égalait celle de Mme de Montespan. Elle fut depuis en Angleterre ce que Mme de Montespan était en France, mais avec plus de crédit. Le roi Charles fut gouverné par elle jusqu'au dernier moment de sa vie; et, quoique souvent infidèle, il fut toujours maîtrisé. Jamais femme n'a conservé plus longtemps sa beauté; à l'âge de près de soixante et dix ans, elle avait une figure encore noble et agréable, que les années n'avaient point flétrie. Madame alla voir son frère à Cantorbéry, et revint avec la gloire du succès. Elle en jouissait, lorsqu'une mort subite et douloureuse l'enleva à l'âge de vingt-six ans, le 30 juin 1670. La cour fut dans une douleur et dans une consternation que le genre de mort augmentait. Cette princesse s'était crue empoisonnée. L'ambassadeur d'Angleterre, Montaigu, en était persuadé; la cour n'en doutait pas; et toute l'Europe le disait. La cour et la ville pensèrent que Madame avait été empoisonnée dans un verre d'eau de chicorée, après lequel elle éprouva d'horribles douleurs, et bientôt les convulsions de la mort. Mais la malignité humaine et l'amour de l'extraordinaire furent les seules raisons de cette persuasion générale. Le verre d'eau ne pouvait être empoisonné, puisque Mme de La Fayette et une autre personne burent le reste sans ressentir la plus légère incommodité. Il y avait longtemps que Madame était malade d'un abcès qui se formait dans le foie. Elle était très-malsaine, et même avait accouché d'un enfant absolument pourri. Son mari, trop soupçonné dans l'Europe, ne fut ni avant ni après cet événement accusé d'aucune action qui eût de la noirceur; et on trouve rarement des criminels qui n'aient fait qu'un grand crime. Le genre humain serait trop malheureux s'il était aussi commun de commettre des choses atroces que de les croire. On prétendit que le chevalier de Lorraine, favori de Monsieur, pour se venger d'un exil et d'une prison que sa conduite coupable auprès de Madame lui avait attirés, s'était porté à cette horrible vengeance. On ne fait pas attention que le chevalier de Lorraine était alors à Rome, et qu'il est bien difficile à un chevalier de Malte de vingt ans, qui est à Rome, d'acheter à Paris la mort d'une grande princesse. Il n'est que trop vrai qu'une faiblesse et une indiscrétion du vicomte de Turenne avaient été la première cause de toutes ces rumeurs odieuses qu'on se plait encore à réveiller. Il était à soixante ans l'amant de Mme de Coatquen, et sa dupe, comme il l'avait été de Mme de Longueville. Il révéla à cette dame le secret de l'Etat, qu'on cachait au frère du roi. Mme de Coatquen, qui aimait le chevalier de Lorraine, le dit à son amant: celui-ci en avertit Monsieur. L'intérieur de la maison de ce prince fut en proie à tout ce qu'ont de plus amer les re |