les Anglais maitres du canon qu'ils tournaient contre lui, et qui allaient y mettre le feu : il prend sa résolution dans l'instant sans se troubler; il ne perd pas un moment; il court avec son régiment aux ennemis par un côté, le jeune marquis de Laval s'avance avec un autre bataillon; on reprend le canon; on fait ferme. Tandis que les marquis de Crillon et de Laval arrêtaient ainsi les Anglais, une seule compagnie de Normandie, qui s'était trouvée près de l'abbaye, se défendait contre eux. Deux bataillons de Normandie arrivent en hate; le jeune comte de Périgord les commandait : il était fils du marquis de Talleirand, d'une maison qui a été souveraine, mort malheureusement devant Tournai, et venait d'obtenir à dix-sept ans ce régiment de Normandie qu'avait eu son père. Il s'avança le premier à la tête d'une compagnie de grenadiers : le bataillon anglais attaqué par lui jette bas les armes. MM. du Chaila et de Souvré paraissent bientôt avec la cavalerie sur cette chaussée. Les Anglais sont arrêtés de tous côtés; ils se défendirent encore: le marquis de Graville y fut blessé; mais enfin ils furent mis dans une entière déroute. M. Blondel d'Azincour, capitaine de Normandie, avec quarante hommes seulement, fait prisonnier le lieutenant-colonel du régiment de Rich, huit capitaines, deux cent quatre-vingt soldats, qui jetèrent les arines et qui se rendirent à lui. Rien ne fut égal à leur surprise quand ils virent qu'ils s'étaient rendus à quarante Français. M. d'Azincour conduisit ses prisonniers à M. de Graville, tenant la pointe de son épée sur la poitrine du lieutenant-colonel anglais, et le menaçant de le tuer si ses gens faisaient la moindre résistance. Un autre capitaine de Normandie, nommé M. de Montalembert, prend cent-cinquante Anglais avec cinquante soldats de son régiment. M. de Saint-Sauveur, capitaine au régiment du roi, avec un pareil nombre, mit en fuite, sur la fin de l'action, trois escadrons ennemis. Enfin le succès étrange de ce combat est peut-être ce qui fit le plus d'honneur aux Français dans cette campagne, et qui mit le plus de consternation chez leurs ennemis. Ce qui caractèrise encore cette journée, c'est que tout y fut fait par la présence d'esprit et par la valeur des officiers français, ainsi que la bataille de Fontenoi fut gagnée. On arriva devant Gand au moment désigné par le maréchal de Saxe: on entre dans la ville les armes à la main sans la piller; on fait prisonnière la garnison de la citadelle. Un des grands avantages de la prise de cette ville fut un magasin immense de provisions de guerre et de bouche, de fourrages, d'armes, d'habits, que les alliés avaient en dépôt dans Gand. C'était un faible dédommagement des frais de la guerre, presque aussi malheureuse ailleurs qu'elle était glorieuse sous les yeux du roi. Tandis qu'on prenait la citadelle de Gand on investissait Oudenarde, et le même jour que M. de Lovendhal ouvrait la tranchée devant Oudenarde, le marquis de Souvré prenait Bruges. Oudenarde se rendit après trois jours de tranchée. A peine le roi de France était-il maître d'une ville qu'il en faisait assiéger deux à la fois. Le duc d'Harcourt prenait Dendermonde en deux jours de tranchée ouverte, malgré le jeu des écluses et au milieu des inondations; et le comte de Lovendhal faisait le siége d'Ostende. Le siége d'Ostende était réputé le plus difficile; on se souvenait qu'elle avait tenu trois ans et trois mois au commen cement du siècle passé. Par la comparaison du plan des fortifications de cette place avec celles qu'elle avait quand elle fut prise par Spinola, il paraît que c'était Spinola qui devait la prendre en quinze jours, et que c'était M. de Lovendhal qui devait s'y arrêter trois années. Elle était bien mieux fortifiée; M. de Chanclos, lieutenant-général des armées d'Autriche, la défendait avec une garnison de quatre mille hommes, dont la moitié était composée d'Anglais; mais la terreur et le découragement étaient au point que le gouverneur capitula dès que le marquis d'Hérouville, homme digne d'être à la tête des ingénieurs, et citoyen aussi utile que bon officier, eut pris le chemin couvert du côté des dunes. Une flotte d'Angleterre qui avait apporté du secours à la ville, et qui canonnait les assiégeants, ne vint là que pour être témoin de la prise. Cette perte consterna le gouvernement d'Angleterre et celui des Provinces-Unies. Il ne resta plus que Nieuport à prendre pour être maître de tout le comté de la Flandre proprement dite, et le roi en ordonna le siége. Dans ces conjonctures le ministère de Londres fit réflexion qu'on avait en France plus de prisonniers anglais qu'il n'y avait de prisonniers français en Angleterre. La détention du maréchal de Belle-Isle et de son frère avait suspendu tout cartel. On avait pris les deux généraux contre le droit des gens, on les renvoya sans rançon; il n'y avait pas moyen en effet d'exiger une rançon d'eux, après les avoir déclarés prisonniers d'état, et il était de l'intérêt de l'Angleterre de rétablir le cartel. Cependant le roi partit pour Paris, où il arriva le 7 septembre 1745. On ne pouvait ajouter à la réception qu'on lui avait faite l'année précédente: ce furent les mêmes fêtes; mais on avait de plus à célébrer la victoire de Fontenoi, celle de Melle, et la conquête du comté de Flandre. CHAPITRE XXXI. Affaires d'Allemagne. - François de Lorraine, grand-duc de Toscane, élu empeArmées autrichiennes et saxonnes battues par Frédéric III, roi de Prise de Dresde. reur. Prusse. Les prospérités de Louis XV s'accrurent toujours dans les Pays-Bas; la supériorité de ses armées, la facilité du service en tout genre, la dispersion et le découragement des alliés, leur peu de concert, et surtout la capacité du maréchal de Saxe, qui, ayant recouvré sa santé, agissait avec plus d'activité que jamais, tout cela formait une suite non interrompue de succès qui n'a point d'exemple que les conquêtes de Louis XIV. Tout était favorable en Italie pour don Philippe. Une révolution étonnante en Angleterre menaçait déjà le trône du roi George II; mais la reine de Hongrie jouissait d'une autre gloire et d'un autre avantage qui ne coûtait point de sang, et qui remplit la première et la plus chère de ses vues. Elle n'avait jamais perdu l'espérance du trône impérial pour son mari, du vivant même de Charles VII; et après la mort de cet empereur elle s'en crut assurée, malgré le roi de Prusse qui lui faisait la guerre, malgré l'électeur palatin qui lui refusait sa voix, et malgré une armée française qui n'était pas loin de Francfort, et qui pouvait empêcher l'élection. C'était cette même armée commandée d'abord par le maréchal de Maillebois, et qui passa, au commencement de mai 1745, sous les ordres du prince de Conti; mais on en avait tiré vingt mille hommes pour l'armée de Fontenoi. Le prince ne put em pêcher la jonction de toutes les troupes que la reine de Hongrie avait dans cette partie de l'Allemagne, et qui vinrent couvrir Francfort, où l'élection se fit comme en pleine paix. Ainsi la France manqua le grand objet de la guerre, qui était d'ôter le trône impérial à la maison d'Autriche. L'élection se fit le 13 septembre 1755. Le roi de Prusse en fit protester la nullité par ses ambassadeurs; l'électeur palatin, dont l'armée autrichienne avait ravagé les terres, protesta de même ; les ambassadeurs électoraux de ces deux princes se retirèrent de Francfort; mais l'élection ne fut pas moins faite dans les formes; car il est dit dans la bulle d'or, « que si des électeurs « ou leurs ambassadeurs se retirent du lieu de l'élection avant << que le roi des Romains, futur empereur, soit élu, ils se<< ront privés cette fois de leur droit de suffrage, comme étant « censés l'avoir abandonné. » La reine de Hongrie, désormais impératrice, vint à Francfort jouir de son triomphe et du couronnement de son époux. Elle vit du haut de son balcon la cérémonie de l'entrée; elle fut la première à crier vivat, et tout le peuple lui répondit par des acclamations de joie et de tendresse; ce fut le plus beau jour de sa vie. Elle alla voir ensuite son armée rangée en bataille auprès de Heidelberg, au nombre de soixante mille hommes; l'empereur son époux la reçut l'épée à la main à la tête de l'armée; elle passa entre les lignes, saluant tout le monde, dina sous une tente, et fit distribuer un florin à chaque soldat. C'était la destinée de cette princesse et des affaires qui troublaient son règne, que les événements heureux fussent balancés de tous les côtés par des disgrâces. L'empereur Charles VII avait perdu la Bavière pendant qu'on le couronnait empereur, |