rent s'opposer à l'amiral Mattheus quand il revint dans ces parages : ces deux nations, obligées d'entretenir continuellement de nombreuses armées de terre, n'avaient pas ce fonds inépuisable de marine qui fait la ressource de la puissance anglaise. CHAPITRE XXIII. Le prince de Conti force les passages des Alpes. Situation des affaires d'Italie. Louis XV, au milieu de tous ces efforts, déclara la guerre au roi George II, et bientôt à la reine de Hongrie, qui la lui déclarèrent aussi dans les formes: ce ne fut de part et d'autre qu'une cérémonie de plus. Ni l'Espagne ni Naples ne déclarèrent la guerre, mais ils la firent. Don Philippe, à la tête de vingt mille Espagnols, dont le marquis de la Mina était le général, et le prince de Conti, suivi de vingt mille Français, inspirèrent tous deux à leurs troupes cet esprit de confiance et de courage opiniâtre dont on avait besoin pour pénétrer dans le Piémont, où un bataillon peut à chaque pas arrêter une armée entière, où il faut à tout moment combattre entre des rochers, des précipices et des torrents, et où la difficulté des convois n'est pas un des moindres obstacles. Le prince de Conti, qui avait servi en qualité de lieutenant-général dans la guerre malheureuse de Bavière, avait de l'expérience dans sa jeunesse. Le premier d'avril 1744 l'infant don Philippe et lui passèrent le Var, rivière qui tombe des Alpes, et qui se jette dans la mer de Gênes, au-dessous de Nice. Tout le comté de Nice se rendit; mais pour avancer il fallait attaquer les retranche ments élevés près de Ville-Franche, et après eux on trouvait ceux de la forteresse de Montalban au milieu des rochers qui forment une longue suite de remparts presque inaccessibles. On ne pouvait marcher que par des gorges étroites et par des abîmes sur lesquels plongeait l'artillerie ennemie, et il fallait sous ce feu gravir de rochers en rochers. On trouvait encore jusque dans les Alpes des Anglais à combattre : l'amiral Mattheus, après avoir radoubé ses vaisseaux, était venu reprendre l'empire de la mer : il avait débarqué lui-même à Ville-Franche; ses soldats étaient avec les Piémontais, et ses canonniers servaient l'artillerie. Malgré ces périls le prince de Conti se présente au pas de Ville-Franche, rempart du Piémont, haut de près de deux cents toises, que le roi de Sardaigne croyait hors d'atteinte, et qui fut couvert de Français et d'Espagnols. L'amiral anglais et ses matelots furent sur le point d'être faits prisonniers. On avança, on pénétra enfin jusqu'à la vallée de ChâteauDauphin. Le comte de Campo-Santo suivait le prince de Conti, à la tête des Espagnols, par une autre gorge. Le comte de Campo-Santo portait ce nom et ce titre depuis la bataille de CampoSanto, où il avait fait des actions étonnantes. Ce nom était sa récompense, comme on avait donné le nom de Bitonto au duc de Montemar, après la bataille de Bitonto. Il n'y a guère de plus beau titre que celui d'une bataille qu'on a gagnée. Le bailli de Givri escalade en plein jour un roc sur lequel deux mille Piémontais sont retranchés. Ce brave Chevert, qui avait monté le premier sur les remparts de Prague, monte à ce roc un des premiers; et cette entreprise était plus meurtrière que celle de Prague: on n'avait point de canon; les Piémontais foudroyaient les assaillants avec le leur : le roi de Sar daigne, placé lui-même derrière ces retranchements, animait ses troupes. Le bailli de Givri était blessé dès le commencement de l'action; et le marquis de. Villemur, instruit qu'un passage non moins important venait d'être heureusement forcé par les Français, envoyait ordonner la retraite. Givri la fait battre; mais les officiers et les soldats trop animés ne l'écoutent point. Le lieutenant-colonel de Poitou saute dans les premiers retranchements; les grenadiers s'élancent les uns sur les autres, et, ce qui est à peine croyable, ils passent par les embrasures mêmes du canon ennemi, dans l'instant que les pièces ayant tiré, reculaient par leur mouvement ordinaire. On y perdit près de deux mille hommes; mais il n'échappa aucun Piémontais. Le roi de Sardaigne, au désespoir, voulait se jeter lui-même au milieu des attaquants, et on eut beaucoup de peine à le retenir. Il en coûta la vie au bailli de Givri; le colonel Salis, le marquis de la Carte, y furent tués; le duc d'Agénois et beaucoup d'autres blessés. Mais il en avait coûté encore moins qu'on ne devait s'attendre dans un tel terrain. Le comte de Campo-Santo, qui ne put arriver à ce défilé étroit et escarpé où ce furieux combat s'était donné, écrivit au marquis de la Mina, général de l'armée espagnole sous don Philippe : « Il se présentera quelques occasions où nous ferons aussi « bien que les Français; car il n'est pas possible de faire « mieux. » Je rapporte toujours les lettres des généraux, lorsque j'y trouve des particularités intéressantes; ainsi je transcrirai encore ce que le prince de Conti écrivit au roi touchant cette journée : « C'est une des plus brillantes et des plus << vives actions qui se soient jamais passées : les troupes y ont « montré une valeur au-dessus de l'humanité. La brigade de « Poitou, ayant M. d'Agénois à sa tête, s'est couverte de gloire. « La bravoure et la présence d'esprit de M. de Chevert ont << principalement décidé l'avantage. Je vous recommande « M. de Solémi et le chevalier de Modène : La Carte a été tué; « votre majesté, qui connaît le prix de l'amitié, sent combien << j'en suis touché. » Ces expressions d'un prince à un roi sont des leçons de vertu pour le reste des hommes, et l'histoire doit les conserver. Pendant qu'on prenait Château-Dauphin, il fallait emporter ce qu'on appelait les barricades; c'était un passage de trois toises entre deux montagnes qui s'élèvent jusqu'aux nues. Le roi de Sardaigne avait fait couler dans ce précipice la rivière de Sture qui baigne cette vallée. Trois retranchements et un chemin couvert par-delà la rivière défendaient ce poste, qu'on appelait les barricades; il fallait ensuite se rendre maître du château de Démont, bâti avec des frais immenses sur la tête d'un rocher isolé, au milieu de la vallée de Sture; après quoi les Français, maîtres des Alpes, voyaient les plaines du Piémont. Ces barricades furent tournées habilement par les Français et par les Espagnols, la veille de l'attaque de ChâteauDauphin: on les emporta presque sans coup férir, en mettant ceux qui les défendaient entre deux feux. Cet avantage fut un des chefs-d'œuvre de l'art de la guerre; car il fut glorieux; il remplit l'objet proposé, et ne fut pas sanglant. CHAPITRE XXIV. Nouvelles disgrâces de l'empereur Charles VII. - Bataille de Dettingue. Tant de belles actions ne servaient de rien au but principal; et c'est ce qui arrive dans presque toutes les guerres. La cause de la reine de Hongrie n'en était pas moins triomphante. L'em pereur Charles VII, nommé en effet empereur par le roi de France, n'en était pas moins chassé de ses Etats héréditaires, et n'était pas moins errant dans l'Allemagne. Les Français n'étaient pas moins repoussés au Rhin et au Mein. La France enfin n'en était pas moins épuisée pour une cause qui lui était étrangère, et pour une guerre qu'elle aurait pu s'épargner; guerre entreprise par la seule ambition du maréchal de BelleIsle, dans laquelle on n'avait que peu de chose à gagner et beaucoup à perdre. L'empereur Charles VII se réfugia d'abord dans Augsbourg, ville impériale et libre, qui se gouverne en république, fameuse par le nom d'Auguste, la seule qui ait conservé les restes, quoique défigurés, de ce nom d'Auguste, autrefois commun à tant de villes sur les frontières de la Germanie et des Gaules. Il n'y demeura pas longtemps; et en la quittant, au mois de juin 1743, il eut la douleur d'y voir entrer un colonel de houssards, nommé Mentzel, fameux par ses férocités et ses brigandages, qui le chargea d'injures dans les rues. Il portait sa malheureuse destinée dans Francfort, ville encore plus privilégiée qu'Augsbourg, et dans laquelle s'était faite son élection à l'empire; mais ce fut pour y voir accroître ses infortunes. Il se donnait une bataille qui décidait de son sort à quatre milles de son nouveau refuge. Le comte Stair, écossais, l'un des élèves du duc de Marlborough, autrefois ambassadeur en France, avait marché vers Francfort à la tête d'une armée de cinquante mille hommes, composée d'Anglais, d'Hanovriens et d'Autrichiens. Le roi d'Angleterre arriva avec son second fils, le duc de Cumberland, après avoir passé à Francfort dans ce même asile de l'empereur, qu'il reconnaissait toujours pour son suzerain, |