rendre service, elle l'était aussi de nuire. L'abbé de Choisy rapporte que le ministre Louvois s'était jeté aux pieds de Louis XIV pour l'empêcher d'épouser la veuve Scarron. Si l'abbé de Choisy savait ce fait, Mme de Maintenon en était instruite; et non-seulement elle pardonna à ce ministre; mais elle apaisa le roi dans les mouvements de colère que l'humeur brusque du marquis de Louvois inspirait quelquefois à son maître. Louis XIV, en épousant madame de Maintenon, ne se donna donc qu'une compagne agréable et soumise. La seule distinction publique qui faisait sentir son élévation secrète, c'est qu'à la messe elle occupait une de ces petites tribunes ou lanternes dorées, qui ne semblaient faites que pour le roi et la reine. D'ailleurs, nul extérieur de grandeur. La dévotion qu'elle avait inspirée au roi, et qui avait servi à son mariage, devint peu à peu un sentiment vrai et profond, que l'âge et l'ennui fortifièrent. Elle s'était déjà donné à la cour et auprès du roi la considération d'une fondatrice, en rassemblant à Noisy plusieurs filles de qualité; et le roi avait affecté déjà les revenus de l'abbaye de Saint-Denis à cette communauté naissante. Saint-Cyr fut bâti au bout du parc de Versailles en 4686. Elle donna alors à cet établissement toute sa forme, et fit les réglements avec Godet-Desmarets, évêque de Chartres, et fut ellemême supérieure de ce couvent. Elle y allait souvent passer quelques heures; et quand je dis que l'ennui la déterminait à ces occupations, je ne parle que d'après elle. Qu'on lise ce qu'elle écrivait à Mme de la Maisonfort, dont il est parlé dans le chapitre du quiétisme. « Que ne puis-je vous donner mon expérience! que ne « puis-je vous faire voir l'ennui qui dévore les grands, et la < peine qu'ils ont à remplir leurs journées! Ne voyez-vous << pas que je meurs de tristesse, dans une fortune qu'on aurait * peine à imaginer? J'ai été jeune et jolie; j'ai goûté les plai« sirs; j'ai été aimée partout. Dans un age plus avancé, j'ai « passé des années dans le commerce de l'esprit; je suis ve<< nue à la faveur; et je vous proteste, ma chère fille, que tous <<< les états laissent un vide affreux. >>> Si quelque chose pouvait détromper de l'ambition, ce serait assurément cette lettre. Madame de Maintenon, qui pourtant n'avait d'autre chagrin que l'uniformité de sa vie auprès d'un grand roi, disait un jour au comte d'Aubigné, son frère : << Je n'y puis plus tenir, je voudrais être morte. » On sait quelle réponse il lui fit: Vous avez donc parole d'épouser Dieu le père? A la mort du roi, elle se retira entièrement à Saint-Cyr. Ce qui peut surprendre, c'est que le roi ne lui avait presque rien assuré. Il la recommanda seulement au duc d'Orléans. Elle ne voulut qu'une pension de quatre-vingt mille livres qui lui fut exactement payée jusqu'à sa mort, arrivée en 1749, le 45 d'avril. On a trop affecté d'oublier dans son épitaphe le nom de Scarron: ce nom n'est point avilissant, et l'omission ne sert qu'à faire penser qu'il peut l'être. La cour fut moins vive et plus sérieuse, depuis que le roi commença à mener avec madame de Maintenon une vie plus retirée; et la maladie considérable qu'il eut en 1686 contribua encore à lui ôter le goût de ces fêtes galantes qui avaient jusque-là signalé presque toutes ses années. Il fut attaqué d'une fistule dans le dernier des intestins. L'art de la chirurgie, qui fit sous ce règne plus de progrès en France que dans tout le reste de l'Europe, n'était pas encore familiarisé avec cette ma & ladie. Le cardinal de Richelieu en était mort, faute d'avoir été bien traité. Le danger du roi émut toute la France. Les églises furent remplies d'un peuple innombrable, qui demandait la guérison de son roi, les larmes aux yeux. Ce mouvement d'un attendrissement général fut presque semblable à ce que nous avons vu, lorsque son successeur fut en danger de mort à Metz en 1744. Ces deux époques apprendront à jamais aux rois ce qu'ils doivent à une nation qui sait aimer ainsi. Dès que Louis XIV ressentit les premières atteintes de ce mal, son premier chirurgien Félix alla dans les hôpitaux chercher des malades qui fussent dans le même péril; il consulta les meilleurs chirurgiens; il inventa avec eux des instruments qui abrégeaient l'opération, et qui la rendaient moins douloureuse. Le roi la souffrit sans se plaindre. Il fit travailler ses ministres auprès de son lit le jour même; et, afin que la nouvelle de son danger ne fit aucun changement dans les cours de l'Europe, il donna audience le lendemain aux ambassadeurs. A ce courage d'esprit se joignait la magnanimité avec laquelle il récompensa Félix; il lui donna une terre qui valait alors plus de cinquante mille écus. Depuis ce temps le roi n'alla plus aux spectacles. La dauphine de Bavière, devenue mélancolique et attaquée d'une maladie de langueur qui la fit enfin mourir en 1690, se refusa à tous les plaisirs, et resta obstinément dans son appartement. Elle aimait les lettres, elle avait même fait des vers; mais dans sa mélancolie, elle n'aimait plus que la solitude. Ce fut le couvent de Saint-Cyr qui ranima le goût des choses d'esprit. Madame de Maintenon pria Racine, qui avait renoncé au théâtre pour le jansénisme et pour la cour, de faire une tragédie qui pût être représentée par ses élèves. Elle voulut un sujet tiré de la Bible. Racine composa Esther. Cette pièce, ayant d'abord été jouée dans la maison de Saint-Cyr, le fut ensuite à Versailles devant le roi, dans l'hiver de 1689. Des prélats, des jésuites s'empressaient d'obtenir la permission de voir ce singulier spectacle. Il paraît remarquable que cette pièce eut alors un succès universel, et que deux ans après, Athalie, jouée par les mêmes personnes, n'en eut aucun. Ce fut tout le contraire quand on joua ces pièces à Paris, longtemps après la mort de l'auteur, et après le temps des partialités. Athalie, représentée en 1717, fut reçue comme elle devait l'être, avec transport; et Esther, en 1721, n'inspira que de la froideur, et ne reparut plus. Mais alors il n'y avait plus de courtisans qui reconnussent avec flatterie Esther dans madame de Maintenon, et avec malignité Vasthi dans madame de Montespan, Aman dans M. de Louvois, et surtout les huguenots persécutés par ce ministre dans la proscription des Hébreux. Ces amusements ingénieux recommencèrent pour l'éducation d'Adélaïde de Savoie, duchesse de Bourgogne, amenée en France à l'âge de onze ans. On éleva un petit théâtre dans l'appartement de Mme de Maintenon. La duchesse de Bourgogne, le duc d'Orléans, y jouaient avec les personnes de la cour qui avaient le plus de talents. Le fameux acteur Baron leur donnait des leçons, et jouait avec eux. La plupart des tragédies de Duché, valet de chambre du roi, furent composées pour ce théâtre; et l'abbé Genêt, aumônier de la duchesse d'Orléans, en faisait pour la duchesse du Maine, que cette princesse et sa cour représentaient. Ces occupations formaient l'esprit, et animaient la société. Aucun de ceux qui ont trop censuré Louis XIV ne peut disconvenir qu'il ne fût, jusqu'à la journée d'Hochstedt, le seul puissant, le seul magnifique, le seul grand presque en tout genre. Car, quoiqu'il y eût des héros, comme Jean Sobieski, et des rois de Suède, qui effaçassent en lui le guerrier, personne n'effaça le monarque. Il faut avouer encore qu'il soutint ses malheurs, et qu'il les répara. Il a eu des défauts, il a fait de grandes fautes; mais ceux qui le condamnent l'auraientils égalé s'ils avaient été à sa place? La duchesse de Bourgogne croissait en grâces et en mérite. Les éloges qu'on donnait à sa sœur en Espagne, lui inspirèrent une émulation qui redoubla eu elle le talent de plaire. Ce n'était pas une beauté parfaite; mais elle avait le regard tel que son fils, un grand air, une taille noble. Ces avantages étaient embellis par son esprit, et plus encore par l'envie extrême de mériter les suffrages de tout le monde. Elle était, comme Henriette d'Angleterre, l'idole et le modèle de la cour, avec un plus haut rang: elle touchait au trône : la France attendait du duc de Bourgogne un gouvernement tel que les sages de l'antiquité en imaginèrent, mais dont l'austérité se-rait tempérée par les grâces de cette princesse, plus faites encore pour être senties que la philosophie de son époux. Le monde sait comme toutes ces espérances furent trompées. Ce fut le sort de Louis XIV de voir périr en France toute sa famille par des morts prématurées, sa femme à quarante-cinq ans, son fils unique à cinquante; et un an après que nous eûmes perdu son fils, son petit-fils le dauphin, duc de Bourgogne, la dauphine sa femme, leur fils aîné le duc de Bretagne, furent portés à Saint-Denis au même tombeau, au mois d'avril 1742; tandis que le dernier de leurs enfants, monté |