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Malgré des apparences aussi rassurantes, Bossuet n'était pas entièrement exempt d'inquiétude, et sa lettre à l'abbé de Rancé le laisse assez apercevoir. Il faisait observer que les esprits, agités par la chaleur des discussions qui s'étaient élevées sur des discussions d'un intérêt bien plus important que celle de la régale, pouvaient s'égarer sans le vouloir, et peut-être sans le savoir, par un excès de zèle pour l'Eglise ou pour l'Etat. II voyait dans le ministère des dispositions capables de conduire à des mesures extrêmes, qui prépareraient peut-être dans la suite des regrets au gouvernement lui-même. Il voyait dans le clergé des évêques, très-recommandables par leurs lumières et leur piété, s'abandonner à des opinions qui pouvaient les conduire bien au-delà du but. Il ne se dissimulait pas que, parmi ce grand nombre d'évêques, il en était quelques-uns que des ressentiments personnels avaient aigris contre la cour de Rome. Bossuet savait enfin que, dans toutes les assemblées, le plus grand nombre ne fait qu'obéir à l'impulsion qui lui est imprimée.

Dès le moment où l'assemblée s'était formée elle avait jeté les yeux sur Bossuet pour le sermon de l'ouverture. Il profita d'une circonstance si naturelle et si précieuse, que la Providence elle-même semblait lui offrir, pour tracer à l'assemblée la marche qu'elle devait suivre.

Si jamais Bossuet a bien mérité de la religion et de l'église, ce fut certainement dans une circonstance si critique.

Il ne s'agissait point, à la vue d'un pareil danger, de rechercher les vains succès d'un orateur. Ce qui distingue éminemment Bossuet dans ce célèbre discours, c'est la profondeur des vues et l'habileté, ou plutôt la sagesse avec laquelle il posa dès-lors tous les fondements de la doctrine que nous le ver

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rons bientôt consacrer dans les quatre articles de 1682. Quelle réunion de science et de sagesse ne fallait-il pas pour marquer le caractère et l'action des deux puissances, en fixer les bornes, éviter toutes les maximes et toutes les résolutions extrêmes, et exposer la véritable doctrine de l'église de France, avec l'exactitude nécessaire pour calmer les inquiétudes et échapper à la malveillance!

Ce fut le 19 mars 1682 que l'assemblée du clergé fit cette célèbre déclaration, qui est un des beaux titres de la gloire de Bossuet et de l'église de France.

Deux jours auparavant, l'évêque de Tournai fit un rapport pour préparer la décision de l'assemblée. Ce rapport est un véritable traité sur cette matière importante, il est plein d'érudition et de recherches; il annonce que l'évêque de Tournai s'était livré à une étude approfondie de l'histoire ecclésiastique, mais la forme en est sèche, pénible, et manque de chaleur et de dignité; on peut même lui reprocher de l'avoir chargé d'une érudition qui aurait pu être présentée avec plus d'art et de goût. C'est dans ce genre de mérite qu'excellait éminemment Bossuet, dont le génie ne se montrait jamais avec plus d'éclat que dans l'emploi des textes de l'Ecriture et des Pères.

C'est ce qu'on remarque d'une manière sensible dans la déclaration de 1682. Les quatre articles qu'elle proclame sont presqu'entièrement composés des propres paroles répandues dans les écrits des Pères de l'église, dans les canons des conciles et dans les lettres mêmes des souverains pontifes. Tout y respire cette gravité antique qui annonce en quelque sorte la majesté des canons faits par l'esprit de Dieu, et consacrés par le respect général de l'univers.

Le préambule mérite une attention particulière; il manifeste clairement la pensée et l'intention de Bossuet. On voit dans quel esprit il a conçu, rédigé et présenté cette célèbre déclaration. Il est impossible de ne pas y reconnaître que Bossuet s'est également proposé de réprimer ceux qui dégradent l'autorité légitime du Saint-Siége, et ceux qui l'exagèrent à un degré incompatible avec les maximes de la religion et avec les principes de la soumission due aux puissances de la terre. Cette déclaration est connue de tout le monde; il est peu d'actes ecclésiastiques qui aient eu autant de solennité et aient obtenu autant d'autorité; mais c'est surtout dans la vie de Bossuet qu'elle doit être inscrite comme le plus beau monument de son histoire.

Déclaration du clergé de France touchant la puissance ecclésiastique, du 19 mars 1682.

Plusieurs personnes s'efforcent de ruiner les décrets de l'Eglise gallicane et ses libertés, que nos ancêtres ont soutenues avec tant de zèle, et de renverser leurs fondements qui sont appuyés sur les saints canons et sur la tradition des pères; d'autres, sous prétexte de les défendre, ont la hardiesse de donner atteinte à la primauté de saint Pierre et des pontifes romains ses successeurs, instituée par Jésus-Christ, d'empêcher qu'on ne leur rende l'obéissance que tout le monde leur doit, et de diminuer la majesté du Saint-Siége apostolique, qui est respectable à toutes les nations où l'on enseigne la vraie foi de l'Eglise, et qui conserve son unité. Les hérétiques, de leur côté, mettent tout en œuvre pour faire paraître cette puissance, qui maintient les lois de l'Eglise, insupportable aux rois et aux

peuples; et ils se servent de cet artifice, afin de séparer les âmes simples de la communion de l'Eglise. Voulant donc remédier à ces inconvénients, nous, archevêques et évêques assemblés à Paris, par ordre du roi, avec les autres ecclésiastiques députés, qui représentent l'Eglise gallicane, avons jugé convenable, après une mûre délibération, de faire les règlements et la déclaration qui suivent :

I.

Que saint Pierre et ses successeurs, vicaires de Jésus-Christ, et que toute l'Eglise même n'ont reçu de puissance de Dieu que sur les choses spirituelles et qui concernent le salut, et non point sur les choses temporelles et civiles. Jésus-Christ nous apprend lui-même que son royaume n'est point de ce monde : et en un autre endroit, qu'il faut rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu; qu'ainsi ce précepte de l'apôtre saint Paul ne peut en rien être ébranlé, que toute personne soit soumise aux puissances supérieures ; car il n'y a point de puis-sance qui ne vienne de Dieu; et c'est lui qui ordonne celles qui sont sur la terre; celui donc qui résiste aux puissances, résiste à l'ordre de Dieu. Nous déclarons en conséquence que les rois et les souverains ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique par l'ordre de Dieu dans les choses temporelles; qu'ils ne peuvent être déposés directement ni indirectement par l'autorité des clés de l'Eglise; que leurs sujets ne peuvent être dispensés de la soumission et de l'obéissance qu'ils leur doivent, ou absous du serment de fidélité; et que cette doctrine, nécessaire pour la tranquillité publique, et non moins avantageuse à l'Eglise qu'à l'état, doit être inviolablement suivie, comme conforme à la parole de Dieu, à la tradition des saints pères et aux exemples des saints.

II.

Que la plénitude de la puissance que le saint-siége apostolique et les successeurs de saint Pierre, vicaires de JésusChrist, ont sur les choses spirituelles, est telle, que néanmoins les décrets du saint concile œcuménique de Constance, contenus dans les sessions quatre et cinq, approuvés par le Saint-Siége apostolique, confirmés par la pratique de toute l'Eglise et des pontifes romains, et observés religieusement dans tous les temps par l'Eglise gallicane, demeurent dans toute leur force et vertu, et que l'Eglise de France n'approuve pas l'opinion de ceux qui donnent atteinte à ces décrets ou qui les affaiblissent, que leur autorité n'est pas bien établie, qu'ils ne sont point approuvés, ou qu'ils ne regardent que le temps du schisme.

III.

Qu'ainsi il faut régler l'usage de la puissance apostolique, en suivant les canons faits par l'esprit de Dieu, et consacrés par le respect général de tout le monde; que les règles, les mœurs et les constitutions reçues dans le royaume et dans l'Eglise gallicane doivent avoir leur force et vertu, et les usages de nos pères demeurer inébranlables; qu'il est même de la grandeur du Saint-Siége apostolique que les lois et coutumes établies du consentement de ce Siége respectable et des églises, subsistent invariablement.

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