SUITE DE LOUIS XIV. CHAPITRE XXVI. Suite des particularités et anecdotes. A la gloire, aux plaisirs, à la grandeur, à la galanterie, qui occupaient les premières années de ce gouvernement, Louis XIV voulut joindre les douceurs de l'amitié; mais il est difficile à un roi de faire des choix heureux. De deux hommes auxquels il marqua le plus de confiance, l'un le trahit indignement, l'autre abusa de sa faveur. Le premier était le marquis de Vardes, confident du goût du roi pour madame de La Vallière. On sait que des intrigues de cour lui firent chercher à perdre madame de La Vallière, qui par sa place devait avoir des jalouses, et qui par son caractère ne devait point avoir d'ennemis. On sait qu'il osa, de concert avec le comte de Guiche et la comtesse de Soissons, écrire à la reine régnante une lettre contrefaite, au nom du roi d'Espagne, son père. Cette lettre apprenait à la reine ce qu'elle devait ignorer, et ce qui ne pouvait que troubler la paix de la maison royale. Il ajouta à cette perfidie la méchanceté de faire tomber les soupçons sur les plus honnêtes gens de la cour, le duc et la duchesse de Navailles. Ces deux personnes innocentes furent sacrifiées au ressentiment du monarque trompé. L'atrocité de la conduite de Vardes fut trop tard connue; et Vardes, tout criminel qu'il était, ne fut guère plus puni que les innocents qu'il avait T. XV. 1 accusés, et qui furent obligés de se défaire de leurs charges, et de quitter la cour. L'autre favori était le comte depuis duc de Lauzun; tantôt rival du roi dans ses amours passagers, tantôt son confident, et si connu depuis par ce mariage qu'il voulut contracter trop publiquement avec Mademoiselle, et qu'il fit ensuite secrètement malgré sa parole donnée à son maître. Le roi, trompé dans ses choix, dit qu'il avait cherché des amis, et qu'il n'avait trouvé que des intrigants. Cette connaissance malheureuse des hommes, qu'on acquiert trop tard, lui faisait dire aussi: Toutes les fois que je donne une place vacante, je fais cent mécontents et un ingrat. Ni les plaisirs, ni les embellissements des maisons royales et de Paris, ni les soins de la police du royaume, ne discontinuèrent pendant la guerre de 1666. Le roi dansa dans les ballets jusqu'en 1670. Il avait alors trente-deux ans. On joua devant lui à Saint-Germain la tragédie de Britannicus; il fut frappé de ces vers : Pour toute ambition, pour vertu singulière, Dès-lors il ne dansa plus en public, et le poète réforma le monarque. Son union avec madame la duchesse de La Vallière subsistait toujours, malgré les infidélités fréquentes qu'il lui faisait. Ces infidélités lui coûtaient peu de soins. Il ne trouvait guère de femmes qui lui résistassent, et revenait toujours à celle qui, par la douceur et par la bonté de son caractère, par un amour vrai, et même par les chaînes de l'habitude l'avait subjugué sans art. Mais, dès l'an 1669, elle s'aperçut que madame de Montespan prenait de l'ascendant; elle combattit avec sa douceur ordinaire; elle supporta le chagrin d'être témoin longtemps du triomphe de sa rivale, et sans presque se plaindre: elle se crut encore heureuse, dans sa douleur, d'être considérée du roi qu'elle aimait toujours, et de le voir sans en être aimée. Sa conversion fut aussi célèbre que sa tendresse. Elle se fit carmélite à Paris, et persévéra. Se couvrir d'un cilice, marcher pieds nus, jeûner rigoureusement, chanter, la nuit, au chœur dans une langue inconnue: tout cela ne rebuta point la délicatesse d'une femme accoutumée à tant de gloire, de mollesse et de plaisirs. Elle vécut dans ses austérités depuis 1675 jusqu'en 17410, sous le nom seul de sœur Louise de la Miséricorde. On sait que quand on annonça à sœur Louise de la Miséricorde la mort du duc de Vermandois qu'elle avait eu du roi, elle dit: Je dois pleurer sa naissance encore plus que sa mort. Il lui resta une fille, qui fut de tous les enfants du roi la plus ressemblante à son père, et qui épousa le prince Armand de Conti, neveu du grand Condé. Cependant la marquise de Montespan jouissait de sa faveur, avec autant d'éclat et d'empire que madame de La Vallière avait eu de modestie. Tandis que madame de La Vallière et madame de Montespan se disputaient encore la première place dans le cœur du roi, toute la cour était occupée d'intrigues d'amour. Louvois même était sensible. Parmi plusieurs maîtresses qu'eut ce ministre, dont le caractère dur paraissait si peu fait pour l'amour, il y eut une madame du Frénoy, femme d'un de ses commis, pour laquelle il eut depuis le crédit de faire ériger une charge chez la reine; on la fit dame du lit: elle eut les grandes entrées. Le roi, en favorisant ainsi jusqu'aux goûts de ses ministres, voulait justifier les siens. Mademoiselle, après avoir refusé tant de souverains, après avoir eu l'espérance d'épouser Louis XIV, voulut faire à quarante-quatre ans la fortune d'un gentilhomme. Elle obtint la permission d'épouser Péguilin, du nom de Caumont, comte de Lauzun, le dernier qui fut capitaine d'une compagnie de cent gentilshommes au bec-de-corbin, qui ne subsiste plus, et le premier pour qui le roi avait créé la charge de colonel-général des dragons. Il y avait cent exemples de princesses qui avaient épousé des gentilshommes : les empereurs romains donnaient leurs filles à des sénateurs; les filles des souverains de l'Asie, plus puissants et plus despotiques qu'un roi de France, n'épousent jamais que des esclaves de leurs pères. Mademoiselle donnait tous ses biens, estimés vingt millions, au comte de Lauzun; quatre duchés, la souveraineté de Dombes, le comté d'Eu, le palais d'Orléans qu'on nomme le Luxembourg. Elle ne se réservait rien, abandonnée tout entière à l'idée flatteuse de faire à ce qu'elle aimait une plus grande fortune qu'aucun roi n'en a fait à aucun sujet. Le contrat était dressé: Lauzun fut un jour duc de Montpensier. II ne manquait plus que la signature. Tout était prêt, lorsque le roi, assailli par les représentations des princes, des ministres, des ennemis d'un homme trop heureux, retira sa parole, et défendit cette alliance. Il avait écrit aux cours étrangères pour annoncer le mariage; il écrivit la rupture. On le blama de l'avoir permis, on le blåma de l'avoir défendu. Il pleura de rendre Mademoiselle malheureuse. Mais ce même prince, qui s'était attendri en lui manquant de parole, fit enfermer |