MERCURE DE FRANCE. PIECES FUGITIVES DISTIQUE POUR le Portrait de M. De Buffon. PEINTRE de la Nature & fublime comme elle, (Par M. de Bonnard, Rec. de fes Poéfies. TRADUCTION EN VERS LATINS. PICTOR Nature, magnus velut ipfa creando, - de Belles Lettres, & Membre de LES SOLITAIRES DE MURCIE, CONTE MORA L. Troifieme Partie. JE fuis né, pourfuivit mon aimable Sué dois, avec un fentiment d'orgueil dont je m'accufe, mais que je me pardonne; c'est de me croire, dans le malheur, plus courageux que mes amis. Quand je fuis affligé, mon ame fe retire, & je n'ai besoin de perfonne; mais lorfque c'eft mon ami qui fouffre, je crois toujours qu'il a besoin de moi. Du moment que Formofe n'eut confié fes peines, je n'eus plus de repos que je ne fuffe auprès de lui; & tantôt en atténuant les torts qu'il fe reprochait à luimême, & dont il faifait fon fupplice tantôt en le flattant d'efpérances confufes, j'étais fans ceffe à manier les plaies de fon cœur, pour y faire couler quelque adouciffement. Un jour, après un violent orage, le ciel ayant repris la férénité pure qui lui est naurelle dans cet heureux climat, j'allai revoir mon Solitaire. Je le trouvai tout occupé d'un jeune enfant de l'âge de l'Amour, & aufli beau que lui. Mon Sauvage l'avait enveloppé dans fon manteau, & il me le fit voir tout nu. Adonis, à neuf ans, n'offrait pas un plus beau modèle: c'étaient les graces de l'enfance dans toute leur délicateffe; c'était la Nature idéale dans toute fa perfection. Je n'ai rien vu de fi divin. Mon raviffement fut extrême. : Quelle eft cette merveille, demandai-je à Formofe? Hélas! c'eft, me dit-il, un petit Payfan que je viens de fauver des eaux fes vêtemens font là qui fechent au foleil l'orage était paffé, mais la riviere était enflée; & cet enfant, une ligne à la main, était à l'autre bord. Moi, felon ma coutume, j'allais herborifant fur la pente de la montagne. Je l'apperçois fur la pointe d'un roc qu'avait mouillé la pluie, je l'y vois comme fufpendu, immobile & tout occupé de l'hameçon qu'il fuivait des yeux. Le pied lui gliffe, il tombe & roule dans les eaux. Le courant l'entraînait je m'y jette, & nageant vers lui, je l'atteins, le faifis, l'amene vers le bord, l'enleve dans mes bras & tout évanoui je l'emporte dans ma cabane. Lorfqu'il s'eft vu ranimé dans mon fein, il m'en a bien remercié', le pauvre enfant; mais il eft défolé d'avoir perdu fa ligne, que fa mere, dit-il, avait filée de fes cheveux. mere Elle doit être belle, mon petit, votre lui demandai je en le carellant a Qui, Monfieur, me dit-il, elle est bien belle; mais elle eft pâle; & cela m'afflige: car j'entends dire que lorfqu'on eft fi pâle: on va bientôt mourir; & fi je la perdais, je ferais bien à plaindre ! Après m'avoir donné fon lait, c'eft elle encore qui me nourrit. Aimable enfant !.... ainfi vous n'avez plus de pere? - Hélas! non. J'ai perdu mon pere dès le berceau; je ne l'ai jamais vu; je n'ofe pas même en parler; car dès que je le nomme, je vois ma mere toute en pleurs... Tenez, la voilà qui m'appelle & qui me cherche à l'autre bord. Elle eft inquiete de moi. Mon Dieu, oui, elle eft inquiete elle leve les mains au ciel. Ele me croit noyé. Ah! rendez-moi bien vire mes vêtemens, que je m'habille & queje paraiffe à fes yeux. Men bon ami, me dit Formofe, votre chaife eft là-bas faites-moi le plaifir de rendre fon enfant à cette mere défolée. Allez, cher enfant, lui dit-il, allez la retrouver; aimez-la bien; & le plus tôt poffible, rendez lui tous les foins qu'elle aura pris de vous. O Dieu ! fi Formofe avait fu quel était cet enfant qu'il preffait dans fes bras! s'il avait fu que cette mere qu'il voyait éplorée à l'autre bord, était fa chere Valérie ! Oui, mon ami, c'était Valérie elle-même. Je vous le cacherais en vain; vous l'avez déjà preffenti. Dès que l'enfant fut habillé, je defcendis |