Page images
PDF
EPUB

fut rétabli dans tout fon éclat. Il ne reftait plus que la grace d'Hyacinthe à négocier ; mais ce n'était plus mon office; & je laissai à la Nature, plus habile que moi, & bien plus éloquente, le foin de la folliciter.

Dès que l'acte d'abolition fut dans mes mains, je ne demandai que le temps de ramener Valérie & Formole, & le plus tôt poffible j'allai les retrouver.

Ici vous attendez fans doute, mon ami une belle reconnaiffance; & d'un côté avec mon Sauvage, de l'autre avec ma paysanne & mon jeune Hyacinthe, il ne tenait qu' moi de produire fans art un coup de théâtre intéreffant. Mais fur deux ames fatiguées d'inquiétude & de douleur, pourquoi me ferais-je fait un jeu cruel des commotions de la joie? Ils n'avaient befoin, l'un & l'autre que de foulagement & de repos, après tant de peines.

Au lieu de préparer entre eux une fcene d'étonnement, je pris foin d'affaiblir, au moins pour la fenfible Valérie , ce coup dont la violence aurait pu l'accabler. Je lui avais laiffé l'efpérance; mais à mon retour, je trouvai ce fentiment prefque éteint dans fon cœur ; je le ranimai doucement. Je lui fis voir d'abord comme poffible, & puis comme affez vraisemblable une heureufe révolution dans la fortune de fon amant: rien d'injufte n'était durable; la vérité n'éprouvait jamais que des éclipfes paffageres;

l'innocence avait dans le Ciel, & même dans le cœur de l'homme, un vengeur que l'on n'appaifait que par des expiations.

[ocr errors]

A mefure que je voyais ces premieres lueurs d'efpoir s'infinuer dans fon efprit je redoublais de confiance. J'allai jufqu'à promettre que Léonce & fon pere ne tarderaient pas à réparer l'injuftice de leur filence,& qu'Ovandès lui-même ne voudrait pas emporter au tombeau celle de fon reffentiment. Qui fait enfin, lui dis-je, fi le Ciel, qui difpofe les événements à fon gré, n'a pas voulu que non loin de vous, Formofe foit venu attendre l'un de ces coups du fort dont la caufe eft dans la Nature, & qu'on ne trouve miraculeux que parce qu'ils font imprévus ?

Hélas! Monfieur, me difait Valérie pourquoi vous plaifez-vous à m'abufer de flatteufes illufions? On n'eft point heureux par des fables. Non. Mais pourquoi, lui dis-je, feraient-ce là des fables plutôt que des réalités ? Ce que je prévois eft fi fimple que fi je venais à favoir que cette efpece de Sauvage qui a fauvé votre enfant des eaux, eft Formofe lui-même, j'en ferais à peine étonné.Quoi, Monfieur, ce Sauvage!.... Elle ne put parler, tant l'émotion que j'avais voulu affaiblir était vive encore.Oui; ce Sauvage; & pourquoi non? Pourquoi fi Formofe refpire, ne ferait-ce point là qu'il fe ferait caché: Tour

le prodige ferait que fon afile fe trouvât fi voilin du vôtre; & dans le voilinage de deux cabanes, il n'y a rien de miraculeux.Quoi, Monfieur, il ferait pollible, il ferait vrai!Sans doute, il eft pollible, if eft vrai que c'eft lui. Dieu! jufte Dieu ! Mon fils mon fils! s'écria-t-elle dans fon égarement. Viens! ton pere eft vivant, tu vas le voir. Monfieur! pardonnez; mais je tremble, je n'ofe encore..... Eft-il bien vrai? Quoi, ce vallon, ce vallon feul nous féparait ! Le fait-il? - Non, il ne fait rien; il ne fait point que vous vivez; il ne fait pas non plus que l'Arrêt de fa mort eft révoqué, qu'il rentre dans fes biens; il ne fait pas que votre pere confent à vous donner à lui. Tout cela cependant eft vrai, & nous allons le lui apprendre.

Quelque fimplicité qu'affectât mon récit, je n'en vis pas moins le moment où fa tête en était troublée. A chaque mot fon étonnement redoublait; fes mains tremblaient ; tous les frêles refforts de ce corps délicat & affaibli par la douleur, étaient en mouvement; je voyais palpiter fes fibres; fes yeux même étaient vacillans; elle ferait tombée en défaillance fi je ne l'avais ranimée avec ces mots: Allons le voir. Tout à coup en effet fes forces lui revinrent; & prenant fon fils par la main, allons le voir, s'écria-t-elle. Nous défcendimes la montagne, la mere, fon enfant & moi; & tous trois

dans ma chaife ayant paffé le fleuve, nous voilà bientôt arrivés à l'autre côté du vallon.

C'était l'heure où le Solitaire allait herborifant. Valérie & fon fils étaient tout hors d'haleine. Voici, leur dis-je, sa demeure; repofez-vous tandis que je vais l'appeler.

[ocr errors]

Ah! vous qui m'accufez d'exagérer dans mes récits, donnez-moi des couleurs pour peindre l'attendriffement, ou plutôt le délire d'amour & de compaffion où tomba Valérie en voyant l'état miférable auquel depuis neuf ans Formofe était réduit. Ce toit, ce mur de gazon, cette natte & cette pierre brute où repofait fa tête!.... C'est donc là, difait-elle, qu'il a gémi qu'il a défefpéré de me revoir. Elle s'y profterna; ce lit fut baigné de fes larmes. Son enfant pleurait avec elle en tâchant de la confoler. Ah! ma mere ! lui difait-il, quand nous allons embraffer mon pere, eft-ce le moment de pleurer ?

Cependant j'errais çà & là, l'appelant, mais fans le nommer, & feulement par des fons de voix que répétait l'écho de la mon

tagne.

Il m'entendit, il vint à moi; & dès que je le vis, m'avançant au devant de lui: embraffez-moi, lui dis-je froidement, & félicitez-moi. J'ai réuffi dans le deffein qui me ramenait à Séville. Vous êtes libre:

voici l'acte qui vous rétablit dans les droits de l'honneur & de l'innocence. Vos biens vous font rendus. Il me prit dans fes bras, & me ferrant contre fon cœur: Généreux ami, me dit-il, que ne vous dois-je pas? Vous me rendez la vie, la liberté, l'honneur, & jufqu'à ces biens même que j'avais oubliés. Mais qui me rendra Valérie, ajouta t-il avec le plus profond accent de la douleur? Qui vous la rendra? moi, lui dis-je. -Vous, mon ami ! — Et fans cela qu'aurais-je fait pour vous ? Ce ne fut qu'à ces mots que je vis éclater fa joie. Allons, repris - je, point de faibleffe. Don Maurice, faitesmoi voir autant de fermeté à foutenir la joie & le bonheur, que vous avez eu de courage à vaincre la douleur & l'adverfité. Je ne veux pas vous trouver infenfible au plaifir d'apprendre que Valérie voit le jour; qu'elle eft mere; qu'elle a un fils aufli beau qu'elle-même; que vous allez bientôt les voir; que votre ami Léonce vous eft rendu; que fon pere confent à ce que vous foyez l'époux de Valérie: tout cela doit vous caufer fans doute un agréable étonnement; mais dans toutes les fituations de la vie, une ame forte fe poffede.

me

Qu'appelez-vous une ame forte dit-il en homme éperdu! Si la moitié de ces prodiges, fi le feul bonheur de revoir ma femme & mon enfant était véritable ou poffible, les tranfports de ma joie iraient

« PreviousContinue »