conftance vous avez vaincu le malheur. Je fuis perfuadé qu'il veut vous rendre heureufe; & je me flatte qu'il m'a choisi pour exécuter fon deffein. Je vous quitte. Reftez ici, obfcure & folitaire, & repofez-vous fur mes foins. Votre amant faura tout, & vous fera bientôt rendu. J'allai le retrouver, mais je me gardai bien de lui donner aucune envie de paffer le vallon. Je lui dis feulement que cette bonne villageoife, en revoyant fon fils, avait fait mille voeux au Ciel pour celui qui l'avait fauvé; & fes vœux, ajoutai-je, vous porteront bonheur; car il eft rare que les vœux des cœurs reconnaiffan ne foient pas écoutés. Pour moi, je ferai, mon ami, quelque temps éloigné de vous; une af faire imprévue & preffante me ramene à Séville; mais je n'ai vu encore, ni la Murcie, ni la Valence; & j'efpere bientôt revenir fur mes pas. , A Séville, me dit Formofe, vous trouverez peut-être encore ce bon Hiéronimite dont je vous ai parlé. Son nom eft le Pere Athanafe. Allez le voir; & fans dire où je fuis', apprenez-lui que je refpire, & que je conferve toujours le fouvenir de fes bontés; fur-tout demandez-lui s'il n'aurait pas enfin quelque lumiere à me donner fur le deftin de Valérie. Invifible tilfu des événemens de ce monde! Les foins, les mouvemens que j'allais me donner à Séville, à Madrid, en faveur de nos deux Amans; ce beau plan de conduite que je m'étais tracé; les moyens que je méditais pour amener à la clémence les implacables ennemis de Formofe, tout fut abrégé par ces mots : Allez voir le Pere Athanafe. Ah! quel foulagement, quelle joie vous m'apportez, me dit le bon vieillard, dès qu'il m'eut entendu, prononcer le nom de Maurice! Que ne puis-je favoir de même fi Valérie eft encore au monde ! Mais hélas ! non, elle n'eft plus. Je l'affurai qu'elle vivait. Dieu clément, je t'adore, dit-il avec tranfport! J'aurai donc, avantde mourir, le bonheur de les voir unis! Que dites-vous, mon Pere?-Je dis que ces deux cœurs fi intéreffans dans leur faibleffe, auront le prix de leur constance. J'ai déjà obtenu que l'abolition de l'Arrêt de Formofe ferait follicitée par la famille de Vélamare, & que Léonce attefterait lui-même que c'eft lui qui fut l'agreffeur. Hélas! ce malheureux Léonce eft confumé depuis long-temps du chagrin d'avoir dérobé ce témoignage à l'innocence; & fon pere, déjà courbé vers le tombeau, s'eft enfin reproché le filence coupable qu'il faifair garder à fon fils. L'un & l'autre ils s'accufent du défefpoir que cet injufte Arrêt mit dans l'ame de Valérie ; mais ils ne favent ce qu'elle eft devenue. On doute dans Séville fi fon pere la retient en fermée dans un couvent, ou fi, dans fa colere, il ne lui a pas donné la mort. Quelques-uns ont penfe qu'elle s'était noyée dans le fleuve; d'autres, qu'en s'évadant, fon amant l'avait enlevée. Cependant la trifteffe & le deuil n'ont ceffé de régner dans le palais de Vélamare. Enfin j'y ai été appelé; & le pere & le fils m'ont conjuré, prefque à genoux, de leur dire fi je favais où étaient Formofe & Valérie. J'ai répondu que je n'en avais aucune connaiffance. Le pere a paru confterné. Je fus injufte, m'a-t-il dit, & je rendis mon fils coupable. Je veux, autant que je le puis, expier ces deux crimes avant que de mourir. On m'accufe d'avoir trempé mes mains dans le fang de ma fille; c'est une cruauté dont je ne fus jamais capable; mais ai mérité d'être en proie à la plus noire calomnie, puifque moi-même j'ai laiffé calomnier, condamner l'innocent, Les larmes lui étouffaient la voix. C'eft moi qui fuis le criminel, a dir Jéonce avec une douleur encore plus déchirante; infenfé que j'étais, j'ai pris plaifir à voir s'allumer dans le fein de mon ami & de ma fœur, cet amour qui les a perdus ; je l'ai favorifé, je m'en fuis fait un jeu, j'en ai été le confident, le complaisant, à l'infçu de mon pere, dans l'efpérance que leur hymen obtiendrait fon aveu. Mais bientôt, voyant qu'un parti plus riche & plus brillant brillant fe propofait, j'ai rebuté froidement un ami qu'il fallait ménager & plaindre. Ma froideur l'a bleffé; il me l'a temoigné avec une fierté que j'ai prife pour une offenfe; & me rangeant du côté d'un rival irrité contre lui des mépris de ma fœur, je me fuis joint à lui pour le venger. Enfin, moi, le fecond de Ferdinand, moi l'agreffeur, moi le témoin de l'innocence de Formofe, j'ai pu le laiffer condamner, profcrire & dépouiller de tous fes biens; j'ai mis la mort dans le cœur de celle qui ne F'aurait jamais connu fans moi, & qui n'aimait en lui que l'homme généreux dont la valeur m'avait fauvé la vie. Où les trouver? on font-ils l'un & l'autre? Faut-il mourir fans avoir réparé tous les maux que je leur ai faits Tel fut le récit d'Athanafe. O mon ami ! je reconnus dans ce moinent combien eft précieuse à l'homme la penféo qu'un témoin invifible & jufte lit, du haut du Ciel, dans fon cœur, Allez, dis-je à ce bon vieillard, allez leur annoncer qu'il exifte à Séville un homme qui peur les confoler. Mon nom eft le Comte de Creutz, envoyé de Suede à Madrid; je fais dans quel endroit du monde refpire Maurice Formofe; je crois favoir auffi où vit cachée Valérie de Vélamare; vous pouvez les en affurer. Vous penfez bien qu'à l'inftant même ils demanderent à me voir. Je les prévins. No. 36. 3 Septembre 1791. B Jamais fur deux visages n'avait été auffi vifiblement empreint le long tourment du repentir. Eft-il bien vrai, Monfieur, me demanda le vieux Marquis de Vélamare? ma fille voit le jour! Je l'affurai qu'elle vivait. Elle a fuivi fans doute le malheureux Formofe? Non, il ne fait pas même en quel lieu elle vit cachée; elle ignore auffi dans quel lieu Formofe eft retiré. Ah! Monfieur, s'écria le vieillard à ces mots, ma fille était donc innocente! - Elle eft plus, elle eft vertueufe, lui dis-je; & fous le ciel rien n'eft plus refpectable que Valérie dans fon malheur. Je ne parle point de Formofe: la nobleffe & la loyauté de fon ame vous font connues; & le malheur n'a fait que lui donner de nouvelles vertus. Eh bien, Monfieur, me dit Léonce, dites-moi où il eft, & je vais tomber à fes pieds, s'il n'eft pas affez généreux pour me recevoir dans fes bras. Meffieurs, leur dis-je, il faut d'abord effacer jufqu'aux moindres traces de l'Arrêt qui l'a condamné; il faut que le Duc d'Ovandès 'confente...... Ovandès ne vit plus, me dit Vélamare, & lui-même en mourant il lui a pardonné. Dès-lors je vis l'orage diffipé, comme par un fouffle: l'Arrêt fut aboli, les biens reftitués; & l'honneur du nom de Formele |