nier notre langue avec autant de facilité que de goût, et dont les lettres (1) piquent la curiosité par une foule d'anecdotes, et touchent l'ame par la délicatesse du sentiment. Comme je ne parle ici que des femmes les plus distinguées dans le style épistolaire, je ne dois nommer ni madame de Tencin, qui faisoit de son boudoir un cabinet de politique, transformait en diplomates l'amour même et l'amitié, et semblait, dans ses lettres les plus familières, avoir emprunté la plume d'un premier commis; ni de madame du Châtelet, si estimable d'ailleurs, mais dont le commerce épistolaire roule fastidieusement sur l'intérêt qu'elle prend à la santé, à la tranquillité et à la réputation de Voltaire; ni de madame des Ursins, qui, voulant être en Espagne l'émule de madame de Maintenon, n'en fut que le singe mal- adroit, et dont les (1) Elles sont imprimées dans la collection que l'on doit à Léopold Collin. lettres, écrites d'un style lourd et languissant, ne montrent, dans leurs phrases éternelles, que ses éternelles prétentions et sa nullité; ni de madame de Montmorenci, qui n'envoyait au comte de Bussi-Rabutin qu'une gazette sèche et insipide, ni de mademoiselle Dupré, cette nièce pédante du pédant Desmarets, qui n'écrivait en faible prose que pour faire voir qu'elle possédait l'art de faire des vers médiocres, etc., etc. Ce ne sont pas là des modèles du style épistolaire, et la collection de semblables lettres n'a pas enrichi la littérature. Je m'arrête: c'est assez d'avoir dit un mot sur ceux de nos écrivains qui ont le plus marqué dans le genre épistolaire. Peut-être même aurais-je dů, par cette raison, m'en tenir à madame de Sévigné pour les lettres que dictent le cœur et la nature, et à Voltaire pour celles dont l'art et l'esprit font les frais. MANUEL ÉPISTOLAIRE, : à l'usage DE LA JEUNESSE. Des Lettres de bonne Année. L'USAGE de donner des étrennes, lorsque l'année se renouvelle, et de s'adresser réciproquement des vœux de santé, de bonheur, de longue vie, remonte à la plus haute antiquité. Ce n'est pas ici le lieu d'en rechercher l'origine : il existe de nombreuses dissertations sur ce sujet; et quand on les a lues, on n'est pas plus avancé qu'auparavant pour écrire des lettres de bonne année à ceux envers lesquels c'est un devoir à remplir. Mais plus un sujet pareil est usé, plus il est difficile de le traiter; on a épuisé tout ce qui peut se dire en ce genre. . Lesvers ont là-dessus une ressource que la prose n'a pas : un rimeur invoque les Parques, et il les conjure de filer des jours d'or et de soie au protecteur que l'on complimente; il prie les dieux de suspendre, pour son bienfaiteur, le cours des saisons et la marche des heures, dont celui ci est censé faire un si bon usage; il ouvre pour lui le livre des Destins, et il lui promet des années sans nombre, ou du moins il lui prédit celles de Nestor; en un mot, il met à contribution tout ce vieux jargon de la mythologie que l'on r'habille comme on peut, et à qui la mesure et la rime servent de passeport. Ce secours est refusé à la prose: le seul parti qui lui reste est de s'énoncer avec cette simplicité qui est, ou qui paraît être le langage du cœur, et surtout avec cette brièveté qui prévient l'ennui. Dans une lettre de bonne année, l'enfant exprime aux auteurs de son être son tendre attachement poureux, son désir d'obtenir la continuation de leurs bontés, ses vœux ardens, et sans cesse renouvelés, pour leur conservation. Le protégé fait parler sa reconnaissance et ses souhaits empressés pour la prolongation des années d'un mortel, à la vie duquel est attachée sa propre existence. Si la lettre est de nature à prendre une teinte sérieuse, alors on porte sa pensée sur la rapidité du torrent qui nous entraîne vers cet océan des âges où tout s'abîme sans retour; on emprunte à la morale, à la philosophie, à la religion surtout, ces idées, soit fortes, soit consolantes, qui roidissent notre âme contre les coups de ce vieillard, dont la faux n'épargne personne, ou qui nous disposent à les souffrir sans murmurer. Au contraire, si la lettre permet le badinage, on y regarde le renouvellement de l'année comme la pas |