Page images
PDF
EPUB

Martial, qu'il a souvent traduit, mais non pas aussi-bien qu'il a imité Catulle.

Las! il est mort (pleurez-le, damoiselles),
Le passereau de la jeune Maupas.

Un autre oiseau, qui n'a plume qu'aux ailes,
L'a dévoré. Le connaissez-vous pas?

C'est ce fâcheux Amour, qui, sans compas,
Avecque lui se jetait au giron
De la pucelle, et volait environ
Pour l'enflamber et tenir en détresse.
Mais par dépit tua le passeron,
Quand il ne sut rien faire à la maîtresse.

Marot n'est pas le seul de nos anciens poëtes qui ait pris le style anacreontique, quoiqu'à vrai dire, aucun ne l'ait eu comme lui. Ecoutez cette ode à Vénus: elle est de du Bellay, chanoine de l'église de Paris.

Ayant, après long désir,
Pris de ma douce ennemie
Quelques arrhes du plaisir
Que sa rigueur me dénie;
Je t'offre ces beaux œillets,
Vénus, je t'offre ces roses,
Dont les boutons vermeillets
Imitent les lèvres closes
Que j'ai baisé par trois fois,
Marchant tout beau dessous l'ombre
De ces buissons que tu vois;
Et n'ai su passer ce nombre,
Pour ce que la mère était
Auprès de là, ce me semble,
Laquelle nous aguettait.

De peur encore j'en tremble.
Or je te donne ces fleurs;
Mais si tu fais ma rebelle
Aussi piteuse à mes pleurs
Comme à mes yeux elle est belle,
Un myrte je dédîrai
Dessus les rives de Loire,
Et sur l'écorce écrirai
Ces quatre vers à ta gloire:
« Un amant, sur ce bord-ci,
« A Vénus consacre et donne
« Ce myrte, et lui donne aussi
« Ses troupeaux et sa personne. »

Au nom de Ronsard, on croit voir fuir les grâces, et sur-tout les grâces anacreontiques. On va lire pourtant de ce Ronsard deux morceaux dont l'un me semble digne de Catulle, et l'autre

d'Anacréon.

Voici les bois que ma jeune Angelette
Sur le printemps réjouit de son chant ;
Voici les fleurs où son pied va marchant,
Quand à soi-même elle pense senlette....
Ici, chanter; là, pleurer je la vi;
Ici, sourire; et là, je fus ravi.
De ses discours par lesquels je desvie;
Ici, s'asseoir; là, je la vis danser.
Sur le métier d'un si vague penser,
Amour ourdit la trame de ma vie.

Cette simplicité naïve ne vaut-elle pas ces tournures métaphysiques que le sentiment ne connut jamais? Ne vaut-elle pas le reproche qu'un amant adresse à son cœur dans ce madrigal de

Boileau?

Voici les lieux charmants, où mon ame ravie
Passait, à contempler Silvie,

Ces tranquilles moments, si doucement perdus.
Que je l'aimais alors! que je la trouvais belle!
Mon cœur, vous soupirez au nom de l'infidèle :
Avez-vous oublié que vous ne l'aimez plus?

C'est bien ici que le Misanthrope dirait :

Ce n'est que jeu de mots, qu'affectation pure,
Et ce n'est point ainsi que parle la nature.

J'entends les zélateurs de Boileau s'écrier que je lui préfère Ronsard. Non, messieurs : Ronsard n'a fait ni le Lutrin, ni l'Art poétique; mais il a fait un sonnet où il y a du naturel et de la sensibilité; et Boileau a fait un madrigal où il n'y a que de l'esprit.

Ce même Ronsard a fait aussi une jolie ode anacreontique; et comme elle n'est pas longue, je la transcris encore.

Mignonne, allons voir si la rose,
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
N'a point perdu, cette vêprée,
Les plis de sa robe pourprée
Et son teint au vôtre pareil.
Las! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Toutes ses beautés laissé choir!
O vraiment marâtre nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir!

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.

Quelle différence y avait-il donc entre les poëtes de ce temps-là, et ceux d'un siècle où le goût fut plus épuré? La justesse et la sûreté du discernement et du choix. L'homme de talent, que le goût n'éclaire pas, fait bien de temps en temps. lorsque l'idée ou le sentiment lui commande, lorsqu'un petit tableau, que lui présente sa pensée, porte avec lui son caractère et sa couleur; et plus ce poëte a de naturel, plus souvent il écrit comme ferait l'homme de goût. Mais à côté d'un morceau exquis, on en trouve chez lui vingt de mauvais, qu'il croyait bons, et que l'homme de goût rejette. Marot conte souvent comme a fait depuis La Fontaine; mais La Fontaine est toujours, pour le moins, aussi bon que Marot quand il est excellent.

Au reste, par-tout où une certaine philosophie naturelle sera assaisonnée d'enjouement, la seule verve de la gaieté, la seule grâce de l'indolence, feront produire des chansons anacreontiques. En voici une qui, quoique chinoise, ne laisse pas de ressembler assez aux poésies d'Anacréon.

« Que m'importe que les diamants brillent d'un éclat plus vif que le crystal et le verre? Ce qui me frappe, c'est qu'ils ne perdent rien de leur prix pour être dans l'argile. Il en est de même du vin. Il est aussi bon dans une tasse de terre que dans la plus belle coupe de jaspe. Le vin est l'appui de la vieillesse, la consolation de ses maux; plus j'en bois, plus je ris des vains soucis qui tourmentent des dormeurs éveillés. L'empereur, sur son trône, trouve-t-il le vin meilleur que moi? Si son cœur est empoisonné de vices, cent rasades ne lui ôtent pas un remords; et une seule me donne cent plaisirs. Les riches boivent pour boire; et moi, pour appaiser ma soif. Buvons, amis, à tasse pleine. La joie de nos repas n'a jamais coûté un soupir à la vertu. L'amitié et la sagesse sont assises à nos côtés. La bouteille à la main, écoutons leurs leçons. C'est à table que Chuss (sage empereur chinois) reçut leurs couronnes immortelles. Buvons comme lui, et leur main couronnera notre front. >>>

1

Si telle est la philosophie à la Chine, les sages y sont assez heureux.

[ocr errors]

ANALOGIE DU STYLE. Sans compter l'accord de la parole et de la pensée, qui est la première règle de l'art de parler et d'écrire, nous avons encore dans le style plusieurs rapports à observer, lesquels peuvent être compris sous le terme d'analogie.

Par l'analogie du style en lui-même, on en

« PreviousContinue »