fait est bien fat? Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom. Oh bien! dit le roi, je suis ravi que vous m'en avez parlé si bonnement; c'est moi qui l'ai fait. Ah! Sire, quelle trahison! que votre majesté me le rende; je l'ai lu brusquement. Non, Monsieur le Maréchal; les premiers sentimens sont toujours les plus naturels. Le roi a beaucoup ri de cette folie; et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose qu'on puisse faire à un vieux courtisan. L'ARCHEVÊQUE de Rheims revenait hier fort vîte de Saint-Germain; c'était comme un tourbillon. S'il se croit grand-seigneur, ses gens le croient encore plus que lui: ils passaient au travers de Nanterre, tra, tra, tra: ils rencontrent un homme à cheval: Gare! gare! Ce pauvre homme se veut ranger; son cheval ne le veut pas; et enfin le carrosse et les chevaux renversent cul par-dessus tête le pauvre homme et le cheval, et passent pardessus, et si bien par-dessus, que le carrosse en fût versé et renversé, En même tems l'homme et le cheval, au lieu de s'amuser à être roués, se relèvent miraculeusement, remontent l'un sur l'autre, et s'enfuient; ils courent encore pendant que les laquais et le cocher de l'archevêque, et l'arche vêque même, se mettent à crier: Arrête, arrêtece coquin! qu'on lui donne cent coups! L'archevêque en racontant ceci disait : Si j'avais tenu ce maraudlà je lui aurais rompu les bras et coupé les oreilles. C'EST une chose étrange que de voir mettre le chapeau à des gens qui n'ont jamais eu que des bonnets bleus sur la tête; ils ne peuvent comprendre l'exercice, ni ce qu'on leur défend. Quand ils avaient leur mousquet sur l'épaule, et que M. de N.*** paraissait, ils voulaient le saluer : l'arme tombait d'un côté et le chapeau de l'autre. On leur dit qu'il ne faut pas saluer; et quand ils sont désarmés, et qu'ils voient passer M. de N.***, ils enfoncent leur chapeau avec les deux mains, et se gardent bien de saluer. On leur a dit qu'il ne faut pas branler, ni aller et venir quand ils sont dans leurs rangs: Ils se laissaient l'autre jour rouer par le carrosse de M.me de N.*** sans vouloir se retirer d'un seul pas, quoi qu'on pût leur dire. Le comte de N.*** a fait une action dont le succès le couvre de gloire; car si elle eût tourné autrement il était criminel. Il se charge de reconnaître si la rivière est guéable; il dit que oui: elle ne l'est pas. Des escadrons entiers passent à la : nage, sans se déranger; il est vrai qu'il passe le premier. Cela ne s'est jamais hasardé; cela réussit. Il enveloppe des escadrons et les force à se rendre. Vous voyez bien que son bonheur et sa valeur ne se sont point séparés. Mais vous devez avoir de grandes relations de tout cela. Un chevalier de Nantouillet était tombé de cheval; il va au fond de l'eau, il revient, il y rentre, il revient encore : enfin il trouve la queue d'un cheval; il s'y attache: ce cheval le mène à bord; il monte sur le cheval, se trouve à la mêlée, reçoit deux coups dans son chapeau, et revient gaillard. ECOUTEZ, je vous prie, une chose qui est, à mon fort belle. II sens, me semble que je lis l'histoire romaine. St. Hilaire, lieutenant-général de l'artillerie, fit prier M. de Turenne, qui allait d'un autre côté, de se détourner un moment pour venir voir une batterie. C'était comme s'il eût dit: Monsieur, arrêtez-vous un peu; car c'est ici que vous devez être tué. Un coup de canon vient donc, etemporte le bras de St. Hilaire qui montrait cette batterie, et tue M. de Turenne. Le fils de St. Hilaire se jette à son père, et se met à crier et à pleurer. Taisez-vous, mon enfant, lui dit-il: voyez, (en lui montrant M.de Turenne roide mort) voilà ce qu'il faut pleurer éternellement, voilà ce qui est irréparable. Et, sans faire nulle attention sur lui, se met à crier et à pleurer cette grande perte. Le roi arriva le jeudi au soir à Chantilly. La promenade, la collation dans un lieu tapissé de jonquilles, tout cela fut à souhait. On soupa; il y eut plusieurs tables où le rôti manqua, à cause de plusieurs dîners à quoi l'on ne s'était pas attendu. Cela saisit Vatel; il dit plusieurs fois : je suis perdu d'honneur, voici un affront que je ne supporterai pas. Il dit à Gourville : La tête me tourne, il y a douze nuits que je n'ai dormi; aidez-moi à donner des ordres. Gourville le soulagea en ce qu'il put. Le rôti qui avait manqué, non pas à la table du roi, mais à la vingt-cinquième, lui revenait toujours à la tête. Gourville le dit à M. le prince; M. le prince alla jusque dans sa chambre, lui dit: Vatel, tout va bien; rien n'était si beau que le souper du roi! Il répondit: Monseigneur, votre bonté m'achève; je sais que le rôti a manqué à deux tables. Point du tout, dit M. le Prince: ne vous fachez pas, tout va bien. La nuit vint; le feu d'artifice ne réussit pas; il fut couvert d'un nuage. Il coûtait seize mille francs. A quatre heures du matin Vatel s'en va par - tout: il trouve tout endormi; il rencontre un petit pourvoyeur qui lui apportait seulement deux charges de marée; il lui demanda: Est-ce là tout? Il lui dit: Oui, Monsieur. Il ne savait pas que Vatel avait envoyé à tous les ports de mer, Vatel attend quelque tems: les autres pourvoyeurs ne vinrent point: sa tête s'échauffait; il crut qu'il n'aurait point d'autre marée. Il trouva Gourville; il lui dit: Monsieur, je ne survivrai point à cet affront-ci. Gourville se moqua de lui. Vatel monte à sa chambre, met son épée contre la porte, et se la passe au travers du corps: mais ce ne fut qu'au troisième coup, car il s'en donna deux qui n'étaient pas mortels; il tombe mort. La marée cependant arrive de tous côtés : on cherche Vatel pour la distribuer: on va à sa chambre, on heurte, on enfonce la porte: on le trouve noyé dans son sang. On court le dire à M. le prince, qui fut au désespoir. M. le duc pleura; c'était sur Vatel que tournait tout son voyage de Bourgogne. M. le prince le dit au roi fort tristement. On dit que c'était à force d'avoir de l'honneur à sa manière. On le loua fort; on loua et l'on blama son courage. Le roi dit qu'il y avait cinq ans qu'il retardait de venir à Chantilly, parce qu'il comprenait l'excès de cet embarras. Il dit à M. le prince qu'il ne devait avoir que deux tables, et ne point se charger de tout: il jura qu'il ne |