terais différemment les malheureux! Qu'on doit peu compter sur les hommes! quand je n'avais besoin de rien j'aurais obtenu un évêché; quand j'ai besoin de tout, tout m'est refusé. M.me de N.*** m'a offert sa protection, mais du bout des lèvres ; M.me de N.*** m'a dit: je verrai je parlerai, du ton dont on dit le contraire. Tout le monde m'a offert des services, et personne ne m'en a rendu. Le duc est sans crédit, le maréchal occupé à demander pour lui-même. Enfin, Madame, il est très-sûr que ma pension ne sera pas rétablie. Je crois que Dieu m'appelle à lui par ces épreuves ; il appelle ses enfans par les adversités. Qu'il m'appelle; je le suivrai dans la règle la plus austère: je suis aussi lasse du monde que les gens de la cour le sont de moi. Je vous remercie, Madame, des consolations chrétiennes que vous m'offrez, et des bontés que mon frère m'écrit que vous daignez lui témoigner. IL me semble, ma chère enfant, que j'ai été traînée malgré moi à ce point fatal où il faut souffrir la vieillesse: je la vois, m'y voilà, et je voudrais bien au moins ne pas aller plus loin, et ne point avancer dans ce chemin des infirmités, des douleurs, des pertes de mémoire, des défigure mens qui sont près de m'outrager. Mais j'entends une voix qui dit: il faut marcher malgré vous, ou bien, si vous ne voulez pas, il faut mourir, qui est une autre extrêmité à quoi la nature répugne. Voilà pourtant le sort de tout ce qui avance un peu trop : mais un retour à la volonté de Dieu, et à cette loi universelle qui nous est imposée, remet la raison à sa place, et fait prendre patience. Prenez-la donc, ma très-chère, et que votre amitié trop tendre ne vous fasse point jeter des larmes que votre raison doit condamner. Je suis tellement éperdue de la nouvelle de la mort très-subite de M. de N.***, que je ne sais par où commencer pour vous en parler. Le voilà donc mort ce grand ministre, cet homme si considérable, qui tenait une si grande place, dont le MOI, comme dit Nicole, était si étendu, qui était le centre de tant de choses! Que d'affaires, que de desseins, que de projets, que de secrets, que d'intérêts à démêler! que deguerres commencées! que d'intrigues, que de beaux coups d'échecs à faire et à conduire! Mon Dieu, Donnez-moi un peu de tems; je voudrais bien donner un échec au duc de S.****: un mat au prince d'O****. Non, non, vous n'aurez pas un seul moment. Faut-il raisonner sur cette étrange aventure? Non, en vérité; il y faut réfléchir dans son cabinet. Voilà le second ministre que vous voyez mourir depuis que vous êtes à Rome: rien n'est plus différent que leur mort; mais rien n'est plus égal que leur fortune, et les cent millions de chaînes qui les attachaient tous deux à la terre. Quant aux grands objets qui doivent porter à Dieu, vous vous trouvez embarrassé dans votre religion sur ce qui se passe à Rome et au conclave. Mon pauvre cousin, vous vous méprenez; j'ai qui dire qu'un homme d'un très-bon esprit tira une conséquence toute contraire au sujet de ce qu'il voyait dans cette grande ville: il en conclut qu'il fallait que la religion chrétienne fût toute sainte et toute miraculeuse de subsister ainsi par elle-même au milieu de tant de désordres et de tant de profanations. Faites donc comme lui, et tirez les mêmes conséquences. Vous êtes én peine de mon ame, mon cher confrère, dans le vide de l'obscurité à laquelle je suis condamné à l'avenir. Avouez que vous me croyez ambitieux comme tous mes pareils. Si vous me connaissiez davantage; vous sauriez que suis arrivé en place philosophe, que j'en suis sorti plus phi losophe encore, et que trois ans de retraite ont affermi cette façon de penser au point de la rendre inébranable. Je sais m'occuper, mais je suis assez sage pour ne pas faire part au public de mes occupations. Je n'avais besoin pour être heureux que de cette liberté dont parle Virgile: quæ sera tamen respexit inertem. Je la possède en partie; avec le tems je la posséderai toute entière Une main invisible m'a conduit des montagnes du Vivarais au faîte des honneurs: laissons-la faire; elle saura me conduire à un état honorable et tranquille; et puis, pour mes menus plaisirs, je dois selon l'ordre de la nature, être l'électeur de trois ou quatre pages, et revoir souvent cette partie du monde qui a été le berceau de tous les arts. N'en voilà-t-il pas assez pour bercer cet enfant que vous appelez la vie? Ne me souhaitez que de la santé, mon cher confrère; j'ai ou j'aurai tout le reste. Quand je désire une longue vie je suppose votre existence et celle de quelques amis: car je suis comme M. lle de N.***; je ne voudrais pas vivre éternellement si mes amis n'étaient éternels comme moi. Adieu, mon cher confrère; je ris comme un fou quand je songe que vous êtes destiné à vivre en Suisse, et moi à habiter un village. 1 Lettres de Reproches. JAMAIS je ne souhaitai plus demment d'être hors d'ici. Plus je vais; plus je fais de vœux pour la retraite et de pas qui m'en éloignent. Je vous en parle rarement parce que vous dites tout à votre confident. Vous aimez la franchise, et je hais la dissimulation. Je vous conjure qu'il ne sache plus de mes nouvelles par vous. Aujourd'hui je ne l'intéresse point, et il a sur tout ce qui regarde la cour, des vues, des sentimens, des connaissances qui ne ressemblent pas aux miens. vous POURQUOI në me faites-vous point réponse, Madame? car vous avez reçu la lettre que je vous écrivis en arrivant ici. Je ne m'étendrai point en longs reproches; peut-être n'en méritez point. Si vous en méritez, j'aime mieux vous abandonner à vos remords que de me plaindre, Sérieusement, Madame, mandez-moi ce qui vous a empêché de m'écrire; j'aimerais mieux que vous eussiez été un peu malade que de croire que vous m'eussiez moins aimé. Ne vous vantez plus de connaître l'amitié Monsieur: il y a six mois que je ne vous ai écrit |