la plus jolie, la plus jeune, la plus délicate, et la plus nymphe de la Cour. O trop heureux d'avoir une si belle femme ! Il en faut croire Moliere. L'endroit le plus sensible étoit de jouir du nom de Baviere, d'être cousin de Madame la Dauphine, de porter tous les deuils de l'Europe par parente; enfin, rien ne manquoit à la suprême beauté de cette circonstance. Mais comme on ne peut pas être entiérement heureux en ce monde, Dieu a permis que Madame la Dauphine, ayant su que cette jolie personne avoit signé par-tout Sophie de Baviere, s'est transportée d'une telle colere, que le Roi fut trois fois chez elle pour l'appaiser, craignant pour sa grossesse. Enfin, tout a été effacé, rayé, biffé, M. de Strasbourg ayant demandé pardon, et avoué que sa niece est d'une branche égarée et séparée depuis long-temps, et rabaissée par de mauvaises alliances, qui n'a jamais été appellée que Lenestin. C'est à ce prix qu'on a fini cette brillante et ridicule scene, et en promettant qu'elle ne seroit point Baviere, ou qu'autrement ils ne seroient pas cousins: or, vous m'avouerez qu'à un homme gonflé de cette vision, c'est une chose plaisante que dès le premier pas retourner en arriere. Vous pouvez penser, comme les Courtisans charitables sont touchés de Tome X. E V cette aventure; pour moi j'avoue que tous ces maux qui viennent par la vanité, me font un malin plaisir. Ne me citez point, et croyez que je suis toujours une des personnes du monde qui vous estime et vous connoît le plus (c'est la même chose ). Dites-nous quelquefois de vos nouvelles; et si vous voulez assurer le Pere BourdaJoue de mes sinceres respects, et M. de la Trousse de ma fidelle amitié, vous ferez plaisir à votre très-humble servante.Jevoulois que notre Corbinelli mît là un mot, mais il m'est glissé des mains, je ne sais où le reprendre. LETTRE XIV. A Paris, lundi 29 Avril. un VOUS ous aimez donc mes lettres : j'en suis ravie, Monsieur; en voici une qui en vaut cent. Il y a un mois que ma triomphante santé est un peu attaquée: un peu de colique, un peu de rhumatisme peu de chagrin, par conséquent, tout ceTa me pourroit dispenser de vous écrire; mais j'aimerois mieux mourir qu'un autre que moi vous eût mandé que M. le Prince de Conti est enfin revenu à la Cour; il est ce soir à Versailles, et le Roi, com me un véritable pere, l'a fait revenir auprès de lui, après l'avoir exilé quelque temps pour lui donner le loisir de faire des réflexions. Il les a faites sans doute, et la Cour sera bien parée et bien brillante de son retour. S. M. fait des Chevaliers à la Pentecôte, mais ce n'est qu'une promotion de famille: M. de Chartres, M. le Duc de Bourbon, M. le Prince de Conti, M. du Maine, sans plus: tous les autres prétendants prendront patience, s'il leur plaît: ce n'est pas sans chagrin qu'ils verront leurs espérances reculées. M. le Duc de la Vieuville est Gouverneur de M. le Duc de Chartres. Madame de Polignac, qui n'est point Mademoiselle d'Alérac, vint voir hier Madame de Grignan. Elle étoit brillante, vive, toute entêtée de la grandeur de la maison de Polignac, en aimant le nom et les personnes, se chargeant de la fortune des deux freres, et ayant soutenu fort généreusement et avec courage la premiere improbation du Roi; elle a prisson temps; elle a mis de bons ouvriers en campagne; et enfin, au lieu delesabandonner, comme les femmes du commun, elle s'est fait un point d'honneur de les remettre bien à la Cour. Je vous réponds qu'elle rétablira et ressuscitera cette maison: voilà ce que la Providence leur gardoit, et c'est ce qui nous empêchoit de pouvoir lire distincte ment ce qu'elle avoit écrit pour Mademoiselle d'Alérac. Adieu, Monsieur, aimez-moi, vous le devez. J'aime votre esprit, votre mérite, votre sagesse, votre folie, votre vertu, votre humeur, votre bonté, enfin, tout ce qui est en vous, et vous souhaite toute sorte de bonheur, et à cette jolie couvée qui est sous votre aile, et qui vous doit donner tant de plaisir et de consolation. Tout ce qui est ici vous salue, et notre ami ne sait rien de cette lettre précipitée. Je parlerai bien de vous avec Bourdaloue. Madame Danio, ci-devant Baviere est toute sage, toute aimable, et rend son mari heureux ; il n'auroit tenu qu'à elle de le rendre bien ridicule. LETTRE XV. A Paris, le jour des Rois. Je laisse à part tout ce que je pourrois répondre à vos réflexions morales et chrétiennes, et je crois même que ce ne seroit pas une réponse que j'y ferois, ce ne seroit qu'une répétition. Je vous rendrois wos paroles, et ma lettre ne seroit que l'écho de la vôtre, parce que je suis assez ! heureuse pour penser comme vous dans cette occasion. J'aime donc bien mieux vous gronder et vous dire que vous êtes vraiment bien délicat et bien précieux, de vous trouver atteint d'une petite attaque de décrépitude, parce que vous êtes grand-pere, et que Madame votre fille a pris la liberté de vous en faire une autre. Voilà un grand malheur ! Et à qui vous en plaignez-vous, Monsieur? à qui pensez-vous parler? et que feriez-vous donc, si vous en aviez une qui eût pris l'habit à la Visitation d'Aix à seize ans? Vraiment vous feriez une belle vie, et moi je soutiens cet affront comme si ce n'étoit rien; je regarde ce mal, qui n'est point encore tombé sur moi, avec un courage héroïque; je me prépare à toutes les conséquences avec paix et tranquillité; et voyant qu'il faut se résoudre, et que je ne suis pas la plus forte, je m'occupe de l'obligation que j'ai à Dieu de me conduire si doucement à la mort. Je le remercie de l'envie qu'il me donne de m'y préparer tous les jours, et même de ne pas souhaiter de tirer jusqu'à la lie. L'excès de la vieillesse est affreux et humiliant: nous en voyons tous les jours un exemple qui nous afflige, le bon Corbinelli et moi, le pauvre Abbé de Coulanges, dont la pesanteur et les incommodités nous font sou |