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LETTREX.

Madame DE SÉVIGNÉ.

MA fille a fort bien dit, mais elle a oublié de vous dire que M. d'Argouges lui a dit en ma présence qu'elle vous dît de sa part de lui donner dutemps; songez donc que c'est M. d'Argouges qui vous en prie, mais n'y songez qu'en cas que la considération de cette Comtesse de Grignan eût besoin de ce secours. Je vous avoue que j'ai eu envie de rire, quand j'ai vu que ce Commissaire où il nous renvoyoit, étoit ce cher ami que nous aimons et que nous estimons si parfaitement. Madame la Duchesse d'Arpajon est nommée Dame d'honneur. C'est Madame de Maintenou qui a rempli cette place, cette place qu'elle avoit refusée. Le Roi a dit que Madame de Rochefort étoit trop jeune, et a dit à Madame la Dauphine que Madame d'Arpajon avoit eu une parfaite beauté, une parfaite réputation, qu'elle étoit douce, complaisante, sûre, qu'il ne connoissoit pas par lui-même toutes ses bonnes qualités, mais par quelqu'un à qui il se fioit autant qu'à lui-même. La voilà donc transportée de joie, au-dessus du vent et de

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tous les procès de M. d'Ambres, en état de bien marier sa fille. C'est ainsi que la Providence a rangé cette grande affaire que M. de Louvois vouloit faire tomber à Mademoiselle de la Motte, M. de Cré-qui et la voix publique à la Duchesse de Créqui. Voilà qui est fait, et c'est l'ouvrage de Madame de Maintenon qui s'est souvenue fort agréablement de l'ancienne amitié de M. de Beuvron et de Madame d'Arpajon pour elle, du temps qu'elle -étoit Madame Scaron.

La jeune Duchesse de Vantadour est Dame d'honneur de Madame : la jeunesse n'a point fait de tort à celle-là; elle faitles délices du Palais-Royal; Monsieur en a parlé comme s'il étoit honoré qu'elle eût bien voulu cette place. Enfin, notre ami a si bien fait à force de raisonner, de conclure, d'écrire et de philosopher, que M. de Bussy perdit hier son procès tout du long. Sa fille obligée à reconnoître le mari, et l'enfant est condamné à donner cent francs d'aumônes. Ce procès mettra notre ami en vogue. Bussy bondit dans les nues, sa fille est forcenée dans son lit. Dieu l'a ainsi réglé de toute éternité. Amen.

La Marquise de Sévigné.

LETTRE

LETTRE XI.

A Grignan, le 5 Juin 1695.

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J'AI dessein, Monsieur, de vous faire un procès: voici comme je m'y prends. Je veux que vous le jugiez vous-même. Il y a plus d'un an que je suis ici avec ma, fille, pour qui je n'ai pas changé de goût. Depuis ce temps vous avez entendu parIer, sans doute, du mariage du Marquisde Grignan avec Mademoiselle de Saint-Amant. Vous l'avez vue assez souvent à Montpellier pour connoître sa personne; vous avez aussi entendu parler des grands biens de M. son pere; vous n'avez point ignoré que. ce mariage s'est fait avec un assez grand bruit dans ce château que vous connoissez. Je suppose que vous n'avez point oublié ce temps où commença la véritable estime que nous avons toujours conservée pour vous. Sur cela je mesure vos sentiments par les miens, et je juge que ne vous ayant point oublié, vous ne devez pas aussi nous avoir oubliées.

J'y joins même M. de Grignam, dont les dates sont encore plus anciennes que les nôtres. Je rassemble toutes ces choses, er de tout côté je me trouve offensée; je Tome X.

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m'en plains ici, je m'en plains à vos amis je m'en plains à notre cher Corbinelli confident jaloux et témoin de toute l'estime et l'amitié que nous avons pour vous; et enfin, je m'en plains à vous-même Monsieur, D'où vient ce silence? est-ce de l'oubli ? est-ce une parfaite indifférence? Je ne sais: que voulez-vous que je pense? A quoi ressemble votre conduite? donnez-y un nom, Monsieur; voilà le procès en état d'être jugé. Jugez-le: je consens que vous soyez juge et partie.

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La Marquise de Sévigné.

LETTRE XII.

A Paris, le ver. Juin 1695.

Je ne suis point en Bretagne, Monsieur, je suis encore à Paris, et j'y serai encore quelque temps. Je m'amuse à regarder le dénouement de plusieurs affaires qui décident du départ de ma fille. Si elle s'en va, je la suivrai de près, c'est-à dire, en prenant une route toute contraire. Si elle ne s'en va point, je ferai la belle action de la quitter, parce que mille raisons me forcent d'aller en Bretagne. Voilà ce qui me regarde, ce qui touche notre amitié : et

notre commerce ne vous déplaira pas, puisque je déclare qu'en quelque lieu que je sois, je conserverai pour vous un souvenir digue de la jalousie de notre ami, et que je prétends que nous ne soyons point deux mois sans savoir des nouvelles les uns des autres, ainsi nous trouverons le moyen de rapprocher les deux bouts de la France. J'ai fait voir à Madame de Villars tout ce que vous me mandez de M. le Maréchal de Bellefond. Cette action vous a paru plus grande qu'à nous : c'est l'effet de la perspective. Nous vous donnons Luxembourg pour sujet d'admiration et de méditation. Cette conquête ne perdra rien de son prix en s'éloignant. Le Roi revient samedi triomphant à son ordinaire; M. de Vardes l'a prévenu, il honore Paris de sa présence, et il est toujours le bon parti de la conversation. Vous savez que nous avons perdu Madame de Richelieu, véritable Dame d'honneur au pied de la lettre; elle est regrettée universellement: on ne sait encore qui occupera cette belle place. Je ne m'amuserai point à vous conter le remue-ménage de tous les Evêques, cela blesse et fait mal au cœur. Adieu, l'aimable scélérat: écrivez-moi donc de temps en temps, et adressez vos lettres ici: on me les fera toujours tenir. Voilà notre très-cher jas

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