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fait une grande diligence; il avoit dit en partant qu'il n'iroit coucher qu'à Livry. Enfin, il est arrivé le premier, à ce qu'il m'a dit. Mon Dieu que cette nouvelle vous a été sensible et douce, et que les moments qui délivrent tout d'un coup le cœur et l'esprit d'une si terrible peine, font sentir un inconcevable plaisir! De long-temps je ne serai remise de la joie que j'eus hier, tout de bon elle est trop complette, j'avois peine à la contenir. Le pauvre homme apprit cette nouvelle par l'air, peu de moments après, et jenedoute pas qu'il ne l'ait sentie dans toute son étendue. Ce matin le Roi a envoyé son Chevalier du Guet à Mesdames Fouquet leur recommander de s'en aller toutes deux à Montluçon en Auvergne; le Marquis et la Marquise de C... à Ancenis, et le jeune Fouquet à Joinville en Champagne. La bonne femme a mandé au Roi, qu'elle avoit soixante et douze ans, qu'elle supplioit Sa Majesté de lui donner son dernier fils pour l'assister sur la fin de sa vie, qui apparemment ne seroit pas longue. Pour le prisonnier, il n'a point encore su son arrêt. On dit que demain on le fait conduire à Pignerol, car le Roi change l'exil en une prison. On lui refuse sa femme contre toutes les regles. Mais gardez vous bien de rien rabattre de votre joie pour tout ce procédé, la mienne est augmentée s'il se peut, et me fait bien mieux voir la grandeur de notre victoire. Je vous manderai fidélement la suite de cette histoire: elle est curieuse. Voilà ce qui s'est passé aujourd'hui, à demain le reste.

Lundi au soir.

Ce matin à dix heures ou a mené M. Fouquet à la chapelle de la Bastille. Foucaut tenoit son arrêt à la main. Il lui a dit: Monsieur, il faut me dire votre nom, afin que je sache à qui je parle. M. Fouquet a répondu: Vous savez bien qui je suis, et pour mon nom je ne le dirai pas plus ici que je ne l'ai dit à la Chambre ; et pour suivre le même ordre, je fais mes protestations contre l'arrêt que vous m'allez lire. On a écrit ce qu'il disoit, et en même temps Foucaut s'est couvert, et a lu l'arrêt. M. Fouquet l'a écouté découvert. Ensuite on a séparé de lui Pecquet et Lavalée, et les cris et les pleurs de ces pauvres gens ont pensé fendre le cœur de ceux qui ne l'ont pas de fer; ils faisoient un bruit si étrange, que M. d'Artagnan a été obligé de les aller consoler; car il sembloit que c'étoit un arrêt de mort qu'on vînt de lire à leur maître. On les a mis tous deux dans une chambre à la Bastille, on ne sait ce qu'on en fera.

Cependant M. Fouquet est allé dans la chambre de M. d'Artagnan; pendant qu'il y étoit, il a vu par la fenêtre passer M. d'Ormesson qui venoit de reprendre quelques papiers qui étoient entre les mains de M. d'Artagnan. M. Fouquet l'a apperçu, il l'a salué avec un visage ouvert et plein de joie et de reconnoissance; il lui a même crié qu'il étoit son très-humble serviteur. M. d'Ormesson lui a rendu son salut avec une très-grande civilité, et s'en est venu le cœur tout serré me conter ce qu'il avoit vu.

A onze heures, il y avoit un carrosse prêt où M. Fouquet est entré avec quatre hommes, M. d'Artagnan à cheval avec cinquante Mousquetaires; il le conduira jusqu'à Pignerol, où il le laissera en prison sous la conduite d'un nommé S. Marc, qui est fort honnête homme, et qui prendra cinquante soldats pour le garder. Je ne sais si on lui a redonné un autre valetde-chambre; si vous saviez comme cette cruauté paroît à tout le monde, de lui avoir ôté ces deux hommes Pecquet et Lavalée, c'est une chose inconcevable; on en tire même des conséquences fâcheuses, dont Dieu les préserve, comme il a fait jusqu'ici: il faut mettre sa confiance en lui, et le laisser sous sa protection qui lui a été si salutaire. On lui refuse toujours sa femme. On a obtenu que la mere n'iroit qu'au Parc chez sa fille qui en est Abbesse. L'Ecuyer suivra sa belle-sœur; il a déclaré qu'il n'avoit pas de quoi se nourrir ailleurs. Monsieur et Madame de C...... vont toujours à Ancenis. M. Bailly, Avocat-Général, a été chassé pour avoir dit à Gisaucourt, avant le jugement du procès, qu'il devoit bien remettre la compagnie du Grand-Conseil en honneur, et qu'elle seroit déshonorée si C...... et P...... et lui alloient le même train. Cela me fâche à cause de vous: voilà une grande rigueur. Tanta ne animis cæleftibus ira!

Mais non, ce n'est point de si haut que cela vient. De telles vengeances rudes et basses, ne sauroient partir d'un cœurcomme celui de notre maître. On se sert de son nom, et on le profane, comme vous voyez. Je vous manderaila suite; il y auroit bien à causer surtout cela; mais il est impossible par lettres. Adieu, mon pauvre Monsieur, je ne suis pas si modeste que vous; et sans me sauver dans la foule, je vous assure que je vous aime et vous estime très-fort. J'ai vu aujourd'hui la comete sa queue est d'une belle longueur. J'y mets une partie de mes espérances. Mille compliments à votre chere femme.

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Mardi.

Voilà de quoi vous amuser quelques moments: assurément vous trouverez quelque chose de beau et d'agréable à ce que je vous envoie. C'est une vraie charité de vous divertir tous deux dans votre solitude. Si l'amitié que j'ai pour le pere et le fils, vous étoit un remede contre l'ennui, vous ne seriez pas à plaindre. Je viens d'un lieu où je l'ai renouvellée, ce me semble, en parlant de vous à cinq ou six personnes qui se mêlent comme moi d'être de vos amis et amies; c'est à l'hôtel de Nevers, en un mot. Madame votre femme y étoit; elle vous mandera les admirables petits comédiens que nous y avons vus. Je crois que notre cher ami est an rivé; je n'en ai pas de nouvelles certaines. On a su seulement que M. d'Artagnan, continuant ses manieres obligeantes, lui a donné toutes les fourrures ordinaires pour passer les montagnes sans incommodité. J'ai su aussi qu'il avoit reçu des lettres du Roi, et qu'il avoit dit à M. Fouquet qu'il falloit se réjouir et avoir toujours bon courage, que tout alloit bien. On espere toujours des adoucissements, je les espere aussi; l'espérance m'a trop bien servie pour l'abandonner. Ce n'est pas que toutes les

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