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te qu'il a faite; elle ne pourroit être plus grande, sur-tout depuis qu'il a passé tout le temps de sa disgrace à Chantilly, faisant un usage admirable de tout l'esprit et de toute la capacité de M. le Prince, puisant à la source de tout ce qu'il y avoit de bon à apprendre sous un si grand maître, dont il étoit chérement aimé. M. le Prince avoit couru avec une diligence qui lui a coûté la vie, de Chantilly à Fontainebleau, quand Madame de Bourbon y tomba malade de la petite-vérole, afin d'empêcher M. le Duc de la garder, et d'être auprès d'elle, parce qu'il n'a point eu la petite-vérole; car sans cela Madame la Duchesse qui l'a toujours gardée, suffisoit bien pour être en repos de la conduite de sa santé. Il fut fort malade, et enfin il a péri par une grande oppression qui lui fit dire, comme il croyoit venir à Paris, qu'il alloit faire un plus grand voyage. Il envoya querir le Pere Deschamps, son confesseur, et après vingtquatre heures d'extinction, après avoir reçu tous ses sacrements, il est mort regretté et pleuré amérement de sa famille et de 'ses amis; le Roi en a témoigné beaucoup de tristeste; et enfin on sent la douleur de voir sortir du monde un si grand homme, un si grand héros, dont des siecles entiersne sauront point remplir la pla

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ce. Il arriva une chose extraordinaire il y a trois semaines, un peu avant que M. le Princé partît pour Fontainebleau. Un Gentilhomme à lui, nommé Vernillon, revenant à trois heures de la chasse, approchant du château, vit à une fenêtre du cabinet, des armes, un fantôme, c'est-à-dire, un homme enseveli: il descendit de son cheval et s'approcha, il le vit toujours; son valet qui étoit avec lui, lui dit: Monsieur, je vois ce que vous voyez. Vernillon ne voulant pas lui dire pour le laisser parJer naturellement, ils entrerent dans le château, et prierent le concierge de donner la clefdu cabinet des armes; il y va et trouva toutes les fenêtres fermées, et un silence qui n'avoit pas été troublé il y avoit plus de six mois. On conta cela à M. le Prince, il en fut un peu frappé, puis s'en moqua. Tout le monde sut cette histoire et trembloit pour M. le Prince, et voilà ce qui est arrivé, On dit que ce Vernillon est un homme d'esprit, et aussi peu capable de vision que le pourroit être notre ami Corbinelli, outre que ce valet eut la même apparition. Comme ce conte est vrai, je vous le mande, afin que vous y fassiez vos réflexions comme nous. Depuis que cette lettre est commencée, j'ai vu Briole qui m'a fait pleurer les chaudeslarmes par un récit naturel et sincere de cette

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mort: cela est au-dessus de tout ce qu'on peut dire. La lettre qu'il a écrite au Roi est la plus belle chose du monde, et le Roi s'interrompit trois ou quatre fois par l'abondance des larmes: c'étoit un adieu et une assurance d'une parfaite fidélité, demandant un pardon noble des égarements passés; ayant été forcé par le malheur des temps; un remerciment du retour du Prince de Conti, et beaucoup de bien de ce Prince; ensuite une recommandation à sa famille d'être unis: il les embrassa tous, et les fit embrasser devant lui, et promettre de s'aimer comme freres; une récompense à tous ses gens, demandant pardon des mauvais exemples; et un christianisme par-tout et dans la réception des sacrements, qui donne une consolation et une admiration éternelle. Je fais mes com-pliments à M. de Vardes sur cette perte. Adieu, mon cher Monsieur.

LETTRE VIII.

Le 27 Janvier 1687.

Si cette lettre vous fait quelque plaisir, comme vous voulez me flatter quelquefois que vous aimez un peu mes lettres, vous n'avez qu'à remercier M. le Chevalier de

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Grignan de celle-ci: c'est lui qui me prie de vous écrire, Monsieur, pour vous parJer et vous questionner sur les eaux de Balaruc. Ne sont-elles pas vos voisines ? pour quels maux y va-t-on ? est-ce pour la goutte? ont-elles fait du bien à ceux qui en ont pris? en quel temps les prend-on? en boiton? s'y baigne-t-on? nefait-on que plonger la partie malade? Enfin, Monsieur, si vous pouvez soutenir avec courage l'ennui de ces quinze ou seize questions, et que vous vouliez bien y répondre, vous ferez une grande charité à un des hommes du monde qui vous estime le plus, et qui est le plus incommodé de la goutte. Je pourrois finir ici ma lettre, n'étant à autre fin; mais je veux vous demander par occasion comme vous vous portez d'être grand-pere. Je crois que vous avez reçu une gronderie que je vous faisois sur l'horreur que vous me témoigniez de cette dignité: je vous donnois mon exemple, et vous disois, Pate, non dolet. En effet, ce n'est point ce que l'on pense: la Providence nous conduit avec tant de bonté dans tous ces temps différents de notre vie, que nous ne les sentons quasi pas; cette perte va doucement, elle est imperceptible: c'est l'aiguille du cadran que nous ne voyons pas aller. Si à vingt ans on nous donnoit le degré de supériorité dans notre famille, et qu'on nous fit voir dans un. miroir le visage que nous avons, ou que: nous aurons à soixante ans, en le compa-. rant avec celui de vingt ans, nous tomberions à la renverse, et nous aurions peur de cette figure: mais c'est jour à jour que nous avançons; nous sommes aujourd'hui comme hier, et demain comme aujourd'hui; ainsi nous avançons sans le sentir, et c'est un miracle de cette Providence que j'adore. Voilà une tirade où ma plume m'a conduite sans y penser. Vous avez éré, sans doute, de la belle et bonne compagnie qui étoit chez le Cardinal de Bonzi. Adieu, Monsieur: je ne change point d'avis sur l'estime et l'amitié que je vous ai promise. La M. de Sévigné.

LETTRE IX.

A Livry, 20 Octobre.

Je suis ici dans ce petit lieu que vous connoissez, Monsieur. Ce fut la plus forte des raisons qui m'obligea de vous y mener: car je voulois absolument, que quand je vous écrirois de Livry, votre imagination sût où me prendre. Vous me voyez donc présentement : il y a cinq semaines que je suis avec ma fille, souvent avec mon

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