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Après cela M. le Chancelier a continué l'interrogatoire de la pension des gabelles, où M. Fouquet a très-bien répondu. Les interrogations continueront, et je continuerai de vous les mander fidélement; je voudrois seulement savoir si mes lettres vous sont rendues sûrement.

Madame votre sœur, qui est à nos Dames du fauxbourg, a signé; elle voit à cette heure la Communauté, et paroît fort

contente.

Madame votre tante ne paroît pas en colere contre elle; je ne croyois point que ce fût celle-là qui eût fait le saut, il y en a encore une autre. Vous savez sans doute notre déroute de Gigerie, et comme ceux qui ont donné les conseils veulent jetter la fante sur ceux qui ont exécuté. On prétend faire le procès à Gadagne; il y a des gens qui en veulent à sa tête; tout le public est persuadé pourtant qu'il ne pouvoit pas faire autrement. On parle fort ici de M. d'Alais, qui a excommunié les Officiers subalternes du Roi qui ont voulu contraindre les Ecclésiastiques à signer. Voilà qui le brouillera avec M. votre pere, comme cela le réunira avec le Pere Annat.

Adieu, je sens l'envie de causer qui me prend, je ne veux pas m'y abandonner, il faut que le style des relations soit

court.

LETTRE II.

Le jeudi, 20 Novembre 1664.

MONSIEUR Fouquet a été interrogé ce matin sur le marc d'or; il a très-bienrépondu. Plusieurs Juges l'ont salué; M. le Chancelier en a fait reproche, et a dit que ce n'étoit point la coutume, étant Conseiller Breton. >>> C'est à cause que vous >> êtes de Bretagne que vous saluez si bas >> M. Fouquet «. En repassant par l'Arsenal, à pied pour se promener, M. Fouquet a demandé quels ouvriers il voyoit : on lui a dit que c'étoit des gens qui travailloient à un bassin de fontaine; il y est allé et a dit son avis, et puis s'est retourné en riant vers Artagnan, et lui a dit: >> N'ad>> mirez-vous point de quoi je me mêle ? >> Mais c'est que j'ai été autrefois assez ha>> bile sur ces sortes de choses-là «. Ceux qui aiment M. Fouquet trouvent cette tranquillité admirable, je suis de ce nombre; les autres disent que c'est une affectation: voilà le monde. Madame Fouquet, sa mere, a donné un emplâtre à la Reine, qui l'a guérie de ses convulsions, qui étoient, à proprement parler, des vapeurs.

La plupart, suivant leurs desirs, se vont imaginant que la Reine prendra cette occasion pour demander au Roi la grace de ce pauvre prisonnier; mais pour moi qui entends un peu parler des tendresses de ce pays-là, je n'en crois rien du tout. Ce qui est admirable, c'est le bruit que tout le monde fait de cet emplâtre, disant que c'est une sainte que Madame Fouquet, et qu'elle peut faire des miracles.

Aujourd'hui vingt-un, on a interrogé M. Fouquet sur les cires et sucres; il s'est impatienté sur certaines objections qu'on lui faisoit, et qui lui ont paru ridicules. Il l'a un peu trop témoigné, et a répondu avec un air et une hauteur qui ont déplu. Il se corrigera, car cette maniere n'est pas bonne; mais, en vérité, la patience échappe : il me semble que je ferois tout comme lui.

J'ai été à Sainte-Marie, où j'ai vu Madame votre tante qui m'a paru abymée en Dieu, elle étoit à la messe comme en extase. Mademoiselle votre sœur m'a paru jolie, de beaux yeux, une mine spirituelle; la pauvre enfant s'est évanouie ce matin; elle est très-incommodée, sa tante a toujours pour elle la même douceur. M. de Paris lui a donné une certaine maniere de contre-lettre qui lui a gagné le cœur ; c'est cela qui l'a obligée de signer ce diantre de formulaire; je ne leur ai parlé ni à l'une ni à l'autre. M. de Paris l'avoit dé fendu. Mais voici encore une image de la prévention; nos Sœurs de Sainte-Marie m'ont dit: >> Enfin, Dieu soit loué, Dieu >> a touché le cœur de cette pauvre en>> fant, elle s'est mise dans le chemin de > l'obéissance et du salut «. De là je vais à Port-Royal: j'y trouve un certain grand solitaire que vous connoissez, qui commence par me dire: Eh bien! ce pauvre » oison a signé; enfin Dieu l'a abandon>> née, elle a fait le saut«. Pour moi j'ai pensé mourir de rire, faisant réfle-xion sur ce que fait la préoccupation. Voilà bien le monde en son naturel. Je crois que le milieu de ces extrémités est toujours le meilleur.

Samedi au soir.......... M. Fouquet est entré ce matin à la Chambre, on l'a interrogé sur les octrois; il a été très-mal attaqué, et s'est très-bien défendu. Ce n'est pas, entre nous, que ce soit un endroit des plus glissans de son affaire. Je ne sais quel bon ange l'a averti qu'il avoit été trop fier, il s'en est corrigé aujourd'hui, comme on s'est corrigé de le saluer. On ne rentrera que mercredi à la Chambre, je ne vous écrirai aussi que ce jour-là. Au reste, si vous continuez à me tant plaindre de la peine que je prends à vous écrire, et à me prier de ne point continuer,

,

je croirois que c'est vous qui vous ennuyez de lire mes lettres, et que vous vous trouvez fatigué d'y faire réponse; mais sur cela je vous promets encore de faire mes lettres plus courtes, si je puis; et je vous quitte de la peine de me répondre, quoique j'aime encore vos lettres. Après ces déclarations, je ne pense pas que vous espériez d'empêcher le cours de mes gazettes. Quand je songe que je vous fais un peu de plaisir., j'en ai beaucoup. Il se présente si peu d'occasions de témoigner son estime et son amitié, qu'il ne faut pas les perdre quand elles viennent s'offrir. Je vous supplie de faire tous mes compliments chez vous et dans votre voisinage. La Reine est bien mieux.

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