que forte que soit la vengeance, le tort est toujours à l'agresseur. Cela paraîtra dans la semaine, et ma nouvelle ode1 quelques jours après. Je vous enverrai les deux ouvrages. Vous vous plaisez à Londres, et je m'y attendais. Je voudrais bien pouvoir un jour vous aller embrasser dans cette belle ville, avant de vous revoir à Paris. C'est de tous les voyages celui qui me plairait davantage; mais jusqu'ici mon espérance à cet égard est un peu éloignée. Vous me paraissez indulgent sur Shakespeare. Vous trouvez qu'il a des scènes admirables. J'avoue que dans tous ses drames je n'en connais qu'une seule qui mérite à mon gré ce nom, du moins d'un bout à l'autre : c'est l'entretien d'Henri IV mourant, avec son fils le prince de Galles. Cette scène m'a toujours semblé parfaitement belle. Ailleurs et dans la même pièce, il y a des morceaux qui unissent la noblesse à l'énergie; mais il m'a paru qu'ils étaient courts. Dans le JulesCésar, par exemple, la scène vantée de Brutus et de Cassius, avant la bataille de Philippe, est, selon moi, très-vicieuse. Ces deux philosophes, ces derniers Romains, c'est tout dire, ont la colère de deux hommes du peuples. Ce que Shakespeare a copié de Plutarque est fort bon; mais je ne saurais admirer ce qu'il y a ajouté. Les Anglais diront 1. Cette ode n'a point vu le jour. (Note de l'Éditeur.) que c'est naturel : ce n'est point là le naturel des OEdipes et du Philoctète. Je vous parle du Jules-César, parce qu'il m'est fort présent. J'ai relu cette pièce attentivement à l'occasion de ma tragédie de Brutus et Cassius, que je fais aussi imprimer. J'y ai fait des corrections qui, je crois, étaient nécessaires. J'ai trouvé moyen de supprimer le long monologue de Porcie au troisième acte. Enfin j'ai retranché beaucoup de fautes; il en restera toujours assez. J'ai aussi changé quelque chose à l'épître dédicatoire qui vous est adressée: je pense qu'elle en vaudra mieux. Je m'étais exprimé sur Spartacus d'une manière trop dure : j'ai fort adouci mes expressions, sans rien changer à mon jugement. Vous voyez que j'aime à vous rendre compte de mes travaux; j'espère que vous en usérez de même : vous savez combien je suis sensible aux marques de votre amitié, et combien vous devez compter sur la mienne. Un des grands plaisirs que je puisse avoir est de recevoir de tems en tems de ces beaux vers que vous savez faire. Adieu. Prenez bien soin de votre santé, qui est précieuse aux lettres et à tous ceux qui vous connaissent. Je ne vous écris point de nouvelles politiques: je présume qu'elles vous parviennent plus rapidement et plus sûrement, car je vois fort peu de monde. Je vous embrasse en bon frère, en bon ami. |