Page images
PDF
EPUB

..

Des bords du Rhône, le 7 juillet 1790.

TERRE, Terre chérie,

Que la Liberté sainte appelle sa patrie!
Père du grand sénat, ô sénat de Romans,
Qui de la Liberté jeta les fondemens!
Romans! berceau des lois! vous, Grenoble et Valence!
Vienne! toutes enfin! Monts sacrés d'où la France
Vit naître le Soleil avec la Liberté!

Un jour le voyageur par le Rhône emporté,
Arrêtant l'aviron dans la main de son guide,
En silence, et debout sur sa barque rapide,
Fixant vers l'Orient un œil religieux,
Contemplera long-tems ces sommets glorieux;
Car son vieux père, ému de transports magnanimes,
Lui dira: « Vois, mon fils, vois ces augustes cimes!>>

IAMBE I.

CONTRE LES SUISSES DU RÉGIMENT DE CHATEAUVIEUX,

RÉVOLTÉS A NANCY,

KT FÊTÉS A PARIS D'APRÈS UNE MOTION DE COLLOT-D'HERBOIS 1.

SALUT, divin Triomphe! entre dans nos murailles!
Rends-nous ces guerriers illustrés

Par le sang de Desille et par les funérailles
De tant de Français massacrés.

Jamais rien de si grand n'embellit ton entrée,
Ni quand l'ombre de Mirabeau

S'achemina jadis vers la voûte sacrée

Où la gloire donne un tombeau;
Ni quand Voltaire mort et sa cendre bannie
Rentrèrent aux murs de Paris,

1. Voyez page 260, présent volume, l'ode composée sur le même sujet. (Note de l'Éditeur.)

2. Tous les Français ont présent à leur mémoire cet infortuné Desille, officier au régiment des Chasseurs du roi, en garnison à Nancy, et qui périt victime des troubles de cette ville, le 31 août 1790. (Note de l'Éditeur.)

Vainqueurs du Fanatisme et de la Calomnie,
Prosternés devant ses écrits.

Un seul jour peut atteindre à tant de renommée;
Et ce beau jour luira bientôt!
C'est quand tu conduiras Jourdan à notre armée,
Et La Fayette à l'échafaud1.

Quelle rage à Coblentz! quel deuil pour tous ces Princes,
Qui, partout diffamant nos lois,

Excitent contre nous et contre nos provinces
Et les esclaves et les rois!

Ils voulaient nous voir tous à la folie en proie.
Que leur front doit être abattu!

Tandis que parmi nous, quel orgueil, quelle joie,
Pour les amis de la vertu!

Pour vous tous, ô Mortels! qui rougissez encore,
Et qui savez baisser les yeux!

De voir des échevins que la Rapée honore,
Asseoir sur un char radieux

Ces héros, que jadis sur les bancs des Galères

1. Le sens ironique de cet Iambe est sensible par l'opposition que présente ce vers et les trois précédens. Un suppôt de Marat, que l'anarchie de ces tems aurait pu associer à la gloire de nos armées, y contraste avec un vertueux défenseur du droit des peuples. L'un est ce Jourdan, d'Avignon, connu sous le nom de Coupe-téte, et qui, condamné à mort par le tribunal révolutionnaire, périt sur l'échafaud. L'autre est cet ami éclairé de la liberté qui dès sa plus tendre jeunesse lui consacra son bras et sa vie.

Assit un arrêt outrageant,

Et qui n'ont égorgé que très-peu de nos frères,
Et volé que très-peu d'argent.

Eh bien, que tardez-vous, harmonieux Orphées?

Si sur la tombe des Persans

Jadis Pindare, Eschyle, ont dressé des trophées,

Il faut de plus nobles accens: Quarante meurtriers, chéris de Robespierre, Vont s'élever sur nos autels.

Beaux-arts! qui faites vivre et la toile et la pierre, Hâtez-vous, rendez immortels

Le grand Collot-d'Herbois, ses cliens helvétiques,
Ce front que donne à des héros

La vertu, la taverne, et le secours des piques!
Peuplez le Ciel d'astres nouveaux,
O vous! Enfans d'Eudoxe, et d'Hipparque, et d'Euclide!
C'est par vous que les blonds cheveux
Qui tombèrent du front d'une Reine timide

1. Bérénice, fille unique de Magas, roi de Cyrène, avait fait vœu de consacrer à Vénus Zephirienne sa chevelure, à laquelle elle attachait un grand prix, si Ptolémée Évergète, son époux, revenait vainqueur d'une expédition dangereuse. Ptolémée revint, et Bérénice accomplit sa promesse; mais, peu de tems après, ces cheveux se perdirent, on ne sait comment. Évergète, furieux, accusa les prêtres de négligence; alors Conon, de Samos, mathématicien, et habile courtisan, s'avisa de dire que ces cheveux avaient été transportés aux cieux; et, montrant près de la queue du Lion sept étoiles, qui jusque - là n'avaient fait partie d'aucune constellation, il dé

Œuvres posthumes.

20

Sont tressés en célestes feux; Par vous l'heureux vaisseau des premiers Argonautes

Flotte encor dans l'azur des airs1:

Faites gémir Atlas sous de plus nobles hôtes,
Comme eux dominateurs des mers.

Que la Nuit de leurs noms embellisse ses voiles;
Et que le nocher aux abois

Invoque en leur galère, ornement des étoiles,
Les Suisses de Collot-d'Herbois 2!

Au reste, puisque tous les magistrats de la Capitale nous assurent que cette fête n'est rien qu'une fête privée et particulière, et qu'elle n'a aucun des caractères d'une fête publique, on ne peut rien faire de mieux que de les croire : ainsi, il faut soigneusement prévenir tous les citoyens, qui pourraient s'égarer, en s'abandonnant imprudemment à un peu de logique, il faut, dis-je, les prévenir de ne point manquer de foi; et que, malgré toutes les apparences, les ordres qui interrompent le cours habituel des choses, comme

clara que c'était la Chevelure de Bérénice. Cette dénomination fut adoptée par les astronomes qui vinrent après lui; et elle est demeurée en usage jusqu'à présent. (Note de l'Éditeur.)

1. Voyez les premiers vers de l'ouvrage de Valerius Flaccus dont nous ne possédons que huit livres, et qui est intitulé: Histoire des Argonautes. (Note de l'Éditeur).

2. Voyez dans les Œuvres anciennes la lettre aux auteurs du Journal de Paris, sur le même sujet. Elle est datée du 27 mars 1792. (Idem.)

« PreviousContinue »