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Heureux qui sait aimer ce trouble auguste et grand!

Seul, il rêve en silence à la voix du torrent Qui le long des rochers se précipite et tonne: Son esprit, en torrent, et s'élance et bouillonne. Là, je vais dans mon sein méditant à loisir Ces chants à faire entendre aux siècles à venir; Là, dans la nuit des cœurs, qu'osa sonder Homère, Cet aveugle divin et me guide et m'éclaire. Souvent mon vol, armé des ailes de Buffon, Franchit avec Lucrèce, au flambeau de Newton, La ceinture d'azur sur le globe étendue. Je vois l'être et la vie et leur source inconnue, Dans les fleuves d'éther tous les mondes roulans; Je poursuis la comète aux crins étincelans, Les astres et leur poids, leurs formes, leurs distances; Je voyage avec eux dans leurs cercles immenses. Comme eux, astre, soudain je m'entoure de feux; Dans l'éternel concert je me place avec eux. En moi leurs doubles lois agissent et respirent; Je sens tendre vers eux mon globe qu'ils attirent; Sur moi, qui les attire, ils pèsent à leur tour. Les élémens divers, leur haine, leur amour, Les causes, l'infini, s'ouvre à mon œil avide. Bientôt redescendu sur notre fange humide, J'y rapporte des vers de nature enflammés, Aux purs rayons des Dieux dans ma course allumés. Écoutez donc ces chants d'Hermès dépositaires, Où l'homme antique, errant dans ses routes premières,

Fait revivre à vos yeux l'empreinte de ses pas;
Mais dans peu, m'élançant aux armes, aux combats,

Je dirai l'Amérique à l'Europe montrée;

J'irai dans cette riche et sauvage contrée

Soumettre au Mançanar le vaste Maranon.
Plus loin dans l'avenir je porterai mon nom,
Celui de cette Europe en grands exploits féconde,
Que nos jours ne sont loin des premiers jours du monde.

L'AMÉRIQUE.

FRAGMENS.

J'ACCUSERAI les vents et cette mer jalouse
Qui retient, qui peut-être a ravi La Peyrouse.
Il partit. L'amitié, les sciences, l'amour,
Et la gloire française imploraient son retour.
Dix ans sont écoulés sans que la renommée
De son trépas au moins soit encore informée.
Malheureux! un rocher, inconnu sous les eaux,
A-t-il, brisant les flancs de tes hardis vaisseaux,
Dispersé ta dépouille au sein du gouffre immense?
Ou, le nombre et la fraude opprimant ta vaillance,
Nu, captif, désarmé, du sauvage inhumain
As-tu vu s'apprêter l'exécrable festin?
Ou plutôt dans une île, assis sur le rivage,
Attends-tu ton ami voguant de plage en plage;

1. (Brumy) d'Entrecasteaux, officier de marine distingué, fut chargé, en 1791, du commandement des deux frégates, la Recherche et l'Espérance, envoyées à la découverte de La Peyrouse. (Note de l'Éditeur.)

Ton ami qui partout, jusqu'aux bornes des iners
Où d'éternelles nuits et d'éternels hivers

Font plier notre globe entre deux monts de glace,
Aux flots de l'Océan court demander ta trace?
Malheureux! tes amis, souvent dans leurs banquets,
Disent en soupirant : <<< Reviendra-t-il jamais! >>>
Ta femme à son espoir, à ses vœux enchaînée,
Doutant de son veuvage ou de son hyménée,
N'entend, ne voit que toi dans ses chastes douleurs,
Se reproche un sourire; et, tout entière aux pleurs,
Cherche en son lit désert, peuplé de ton image,
Un pénible sommeil que trouble ton naufrage.

Un Inca, racontant la conquête du Mexique par les Espagnols, que le peuple prenait pour des dieux, s'exprime ainsi :

Pour moi, je les crois fils de ces dieux malfaisans
Pour qui nos maux, nos pleurs sont le plus doux encens.
Loin d'être dieux eux-même, ils sont tels que nous sommes:
Vieux, malades, mortels. Mais, s'ils étaient des hommes,
Quel germe dans leur cœur peut avoir enfanté
Un tel excès de rage et de férocité?
Chez eux peut-être aussi qu'une avare nature
N'a point voulu nourrir cette race parjure.
Le Cacao sans doute et ses glands onctueux
Dédaignent d'habiter leurs bois infructueux;
Leur soleil ne sait point sur leurs arbres profanes
Mûrir le doux Coco, les mielleusės Bananes;

ar

Leurs champs du beau Maïs ignorent la moisson; La Mangue leur refuse une douce boisson; D'herbages venimeux leurs terres sont couvertes. Noires d'affreux poissons, leurs rivières désertes N'offrent à leurs filets nulle proie; et leurs traits Ne trouvent point d'oiseaux dans leurs sombres forêts.

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