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ODE VII.

A FANNY.

FANNY! l'heureux mortel qui près de toi respire
Sait, à te voir parler, et rougir, et sourire,
De quels hôtes divins le Ciel est habité:
La Grâce, la Candeur, la naïve Innocence,
Ont, depuis ton enfance,

De tout ce qui peut plaire enrichi ta beauté.

Sur tes traits, où ton âme imprime sa noblesse,
Elles ont su mêler aux roses de jeunesse
Ces roses de pudeur, charmes plus séduisans,
Et remplir tes regards, tes lèvres, ton langage,
De ce miel dont le sage

Cherche lui-même en vain à défendre ses sens.

Oh! que n'ai-je moi seul tout l'éclat et la gloire Que donnent les talens, la beauté, la victoire, Pour, fixant sur moi seul ta pensée et tes yeux, Que ton cœur loin de moi soit plein de ma présence, Comme dans ton absence

Ton aspect bien-aimé m'est présent en tous lieux.

Je pense: Elle était là. Tous disaient : « Qu'elle est belle!»
Tels furent ses regards, sa démarche fut telle,

Et tels ses vêtemens, sa voix et ses discours.
Sur ce gazon assise, et dominant la plaine,
Des Méandres de Seine,

Rêveuse, elle suivait les obliques détours.

Ainsi dans les forêts j'erre avec ton image.
Ainsi le jeune faon, dans son désert sauvage,
D'un plomb volant percé, précipite ses pas :
Il emporte en fuyant sa mortelle blessure;
Couché près d'une eau pure,

Palpitant, hors d'haleine, il attend le trépas.

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ODE VIII.

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A FANNY, MALADE.

QUELQUEFOIS un souffle rapide Obscurcit un moment sous sa vapeur humide L'or, qui reprend soudain sa brillante couleur: Ainsi du Sirius, ô jeune bien-aimée!

Un moment l'haleine enflammée

De ta beauté vermeille a fatigué la fleur.

De quel tendre et léger nuage Un peu de pâleur douce, épars sur ton visage, Enveloppa tes traits calmes et languissans! Quel regard, quel sourire, à peine sur ta couche Entr'ouvraient tes yeux et ta bouche!

Et que de miel coulait de tes faibles accens!

Oh! qu'une belle est plus à craindre,

Alors qu'elle gémit, alors qu'on peut la plaindre,
Qu'on s'alarme pour elle. Ah! s'il était des cœurs,
Fanny! que ton éclat eût trouvés insensibles,
Ils ne resteraient point paisibles
Près de ton front, voilé de ces douces langueurs!

Oui, quoique meilleure et plus belle, Toi-même cependant tu n'es qu'une mortelle: Je le vois; mais, du Ciel, toi, l'orgueil et l'amour! Tes beaux ans sont sacrés. Ton âme et ton visage

Sont des Dieux la divine image;

Et le Ciel s'applaudit de t'avoir mise au jour.

Le Ciel t'a vue en tes prairies

Oublier tes loisirs, tes lentes rêveries;
Et tes dons et tes soins chercher les malheureux;
Tes délicates mains à leurs lèvres amères

Présenter des sucs salutaires,

Ou presser d'un lin pur leurs membres douloureux.

Souffrances que je leur envie!

Qu'ils eurent de bonheur de trembler pour leur vie,
Puisqu'ils virent sur eux tes regrets caressans;
Et leur toit rayonner de ta douce présence;
Et la Bonté, la Complaisance,

Attendrir tes discours, plus chers que tes présens!

Près de leur lit, dans leur chaumière, Ils crurent voir descendre un ange de lumière, Qui des ombres de mort dégageait leur flambeau: Leurs cœurs étaient émus comme, aux yeux de la Grèce,

La victime qu'une Déesse

Vint ravir à l'Aulide, à Chalchas, au tombeau 1.

1. «D'autres poètes ont feint que Diane, ayant eu pitié d'IphigćOŒuvres posthumes.

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Non, non: je ne veux point t'honorer en silence,
Toi qui crus par ta mort ressusciter la France,
Et dévouas tes jours à punir des forfaits!
Le glaive arma ton bras, Fille grande et sublime!
Pour faire honte aux Dieux, pour réparer leur crime,
Quand d'un homme à ce monstre ils donnèrent les traits!

Le noir serpent, sorti de sa caverne impure,
A donc vu rompre enfin, sous ta main ferme et sûre,
Le venimeux tissu de ses jours abhorrés!
Aux entrailles du tigre, à ses dents homicides,
Tu viens redemander et les membres livides,
Et le sang des humains qu'il avait dévorés!

Son œil mourant t'a vue, en ta superbe joie,
Féliciter ton bras, et contempler ta proie;
Ton regard lui disait : « Va, Tyran furieux!
« Va, cours frayer la route aux tyrans, tes complices!
<< Te baigner dans le sang fut tes seules délices:
<< Baigne-toi dans le tien, et reconnais des Dieux! >>>

La Grèce, ô Fille illustre! admirant ton courage,
Épuiserait Paros pour placer ton image
Auprès d'Harmodius, auprès de son ami1;
Et des chœurs sur ta tombe, en une sainte ivresse,
Chanteraient Némésis, la tardive déesse,

Qui frappe le méchant sur son trône endormi.

1. Aristogiton.

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