Il se plaint qu'elle échappe et glisse de sa main. Celui qu'un vrai démon presse, enflamme, domine, Ignore un tel supplice: il pense, il imagine. Un langage imprévu, dans son âme produit, Naît avec sa pensée, et l'embrasse et la suit. Les images, les mots que le génie inspire, Où l'univers entier vit, se meut et respire, Source vaste et sublime, et qu'on ne peut tarir, En foule en son cerveau se hâtent de courir. D'eux-même ils vont chercher un nœud qui les rassemble; Tout s'allie et se forme, et tout va naître ensemble.
Sous l'insecte vengeur envoyé par Junon Telle Io tourmentée, en l'ardente saison, Traverse en vain les bois et la longue campagne, Et le fleuve bruyant qui presse la montagne; Tel le bouillant poète, en ses transports brûlans, Le front échevelé, les yeux étincelans, S'agite, se débat, cherche en d'épais bocages S'il pourra de sa tête apaiser les orages,
Et secouer le dieu qui fatigue son sein. De sa bouche, à grands flots, ce dieu dont il est plein, Bientôt en vers nombreux s'exhale et se déchaîne; Leur sublime torrent roule, saisit, entraîne. Les tours impétueux, inattendus, nouveaux, L'expression de flamme aux magiques tableaux, Qu'a trempés la nature en ses couleurs fertiles; Les nombres tour à tour turbulens ou faciles: Tout porte au fond du cœur le tumulte et la paix ; Dans la mémoire au loin tout s'imprime à jamais.. C'est ainsi que Minerve, en un instant formée, Du front de Jupiter s'élance tout armée, Secouant et le glaive et le casque guerrier, Et l'horrible Gorgone à l'aspect meurtrier. Des Toscans, je le sais, la langue est séduisante: Cire molle, à tout feindre habile et complaisante, Quiprend d'heureuxcontours sous les plus faibles mains. Quand le Nord, s'épuisant de barbares essaims, Vint, par une conquête en malheurs plus féconde, Venger sur les Romains l'esclavage du monde, De leurs affreux accens la farouche âpreté Du latin en tous lieux souilla la pureté. On vit de ce mélange, étranger et sauvage, Naître des langues sœurs, dont le tems et l'usage, Consacrant par degrés l'idiome naissant, Illustrèrent la source et polirent l'accent, Sans pouvoir en entier, malgré tous leurs prodiges, De la rouille barbare effacer les vestiges.
De là du Castillan la pompe et la fierté, Teint encor des couleurs du langage indompté Qu'au Tage transplantaient les fureurs musulmanes. La grâce et la douceur sur les lèvres toscanes Fixèrent leur empire; et la Seine à la fois De grâce et de fierté sut composer sa voix. Mais ce langage, armé d'obstacles indociles, Lutte, et ne veut plier que sous des mains habiles. Est-ce un mal? Eh! plutôt rendons graces aux Dieux : Un faux éclat long-tems ne peut tromper nos yeux; Et notre langue même, à tout esprit vulgaire De nos vers dédaigneux ferinant le sanctuaire, L'avertit dès l'abord que, s'il y veut monter, Il faut savoir tout craindre et savoir tout tenter; Et, recueillant affronts ou gloire sans mélange, S'élever jusqu'au faîte ou ramper dans la fange.
autels, Juges vains et frivoles,
Ces héros conquérans, meurtrières idoles, Tous ces grands noms, enfans des crimes, des malheurs, De massacres fumant, teints de sang et de pleurs. Venez tomber aux pieds de plus nobles images : Voyez ces hommes saints, ces sublimes courages, Héros dont les vertus, les travaux bienfaisans, Ont éclairé la terre et mérité l'encens;
Qui, dépouillés d'eux-même et vivant pour leurs frères, Les ont soumis au frein des règles salutaires, Au joug de leur bonheur; les ont faits citoyens; En leur donnant des lois, leur ont donné des biens, Des forces, des parens, la liberté, la vie; Enfin, qui d'un pays ont fait une patrie.
Et que de fois pourtant leurs frères envieux Ont d'affronts insensés, de mépris odieux,
1. Voyez la notice au sujet de ce poème. (Note de l'Éditeur.)
Accueilli les bienfaits de ces illustres guides! Comme dans leurs maisons ces animaux stupides Dont la dent méfiante ose outrager la main
Qui se tendait vers eux pour apaiser leur faim. Mais n'importe: un grand homme, au milieu des supplices, Goûte de la vertu les augustes délices. Il le sait: les humains sont injustes, ingrats. Que leurs yeux un moment ne le connaissent pas; Qu'un jour, entre eux et lui, s'élève avec murmure D'insectes ennemis une nuée obscure; N'importe: il les instruit, il les aime pour eux. Même ingrats, il est doux d'avoir fait des heureux. Il sait que leur vertu, leur bonté, leur prudence, Deviendront son ouvrage et non sa récompense; Et que leur repentir, pleurant sur son tombeau, De ses soins, de sa vie, est un prix assez beau. Au loin dans l'avenir sa grande âme contemple Les sages opprimés que soutient son exemple; Des méchans dans soi-même il brave la noirceur; C'est là qu'il sait les fuir: son asile est son cœur. De ce faîte serein, son olympe sublime,
Il voit, juge, connaît. Un démon magnanime, Agite ses pensers, vit dans son cœur brûlant, Travaille son sommeil actif et vigilant, Arrache au long repos sa nuit laborieuse, Allume avant le jour sa lampe studieuse, Lui montre un peuple entier, par ses nobles bienfaits, Indompté dans la guerre, opulent dans la paix;
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